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5. Présentation et discussion des résultats

5.5. Discussion générale des résultats

Dans cette dernière partie, nous mettons en lien les différents éléments soulevés dans la présentation de nos résultats et nous les discutons à la lumière de notre cadre théorique.

Nous allons tenter d’établir des liens entre d’une part la conception qu’ont les enseignants des violences, leur vécu, les implications de ces violences sur leur activité professionnelle et leur identité professionnelle. Pour cela nous allons nous focaliser sur notre question de recherche et tenter d’apporter des réponses en nous référant à tout ce que nous avons pu mettre en évidence jusqu’ici. Pour rappel notre question de recherche est la suivante : « En quoi le vécu de situations de violence impacte-t-il l’activité des enseignant-e-s en contexte d’école de pédagogie spécialisée ? ».

Pour commencer, nos données ont confirmé que les violences étaient multiples et polymorphes, mais aussi que la notion même de « violence » était subjective et sujette à l’interprétation. En effet, tous les professionnels ne définissent et ne conçoivent pas la violence de la même façon. Comme l’affirme très justement Michaud (1999) « la violence, ce sont non seulement des faits, mais aussi nos manières de les appréhender, de les juger, de les voir – et de ne pas les voir » (cité dans Carra, 2012, p. 9).

Ensuite, nous avons pu montrer que le vécu des violences dépendait de chaque individu en fonction de leur sensibilité, mais aussi et surtout en fonction d’une série de paramètres situationnels, contextuels et personnels. Parmi ces paramètres, nous avons surtout vu qu’au-delà de la nature de la violence, il s’agissait surtout du sentiment de perdre le contrôle, de ne pas être en mesure de gérer une situation et d’être désemparé qui faisait le plus violence aux enseignants. Comme le soulevaient déjà Carra (2009), Galand (2004) et Jeffrey (2011) dans la littérature, ce qui fait violence aux enseignants c’est avant tout la remise en question de leur autorité, de leurs compétences et toutes les situations qui échappent à leur contrôle

et mettent en danger leur statut. Selon ces auteurs, ce qui fait violence est associé à une perte de contrôle et une forme d’incapacité de l’enseignant à mener à bien sa mission. Cette préoccupation de ne pas être en mesure de gérer une situation violente est renforcée d’ailleurs par le fait que les enseignants sont demandeurs de formation. Il est vrai que la plupart des enseignants interviewés dans le cadre de cette recherche estiment ne pas être suffisamment formés à la gestion des situations de violence.

Nous avons également pu montrer que le vécu des violences avait des implications sur l’identité professionnelle des enseignants. Ces derniers auraient tendance à ne plus se sentir enseignant dès lors qu’ils passent trop de temps à faire de la discipline et à gérer les comportements perturbateurs de certains élèves. Nous avons également pu voir que les violences qui plaçaient les enseignants dans une position d’impuissance impactaient considérablement leur identité d’enseignants et contribuaient à un certain flou identitaire chez les professionnels.

Parallèlement à ce vécu, nous avons montré que les enseignants s’ajustaient sur le plan pédagogique, didactique et collaboratif pour composer avec ces situations de violence.

Effectivement, en référence au modèle des libertés et contraintes contextuelles et situationnellesdéveloppé par Pelgrims (2001, 2006, 2009), les situations de violence semblent se poser pour les enseignants comme une contrainte de fonctionnement spécifique à l’enseignement en contexte spécialisé qui les contraindrait à s’ajuster. Nous avons également pu confirmer le fait que ces ajustements répondaient pour les enseignants à un besoin de préserver la situation d’enseignement-apprentissage et de ne pas perdre le contrôle de la situation.

Compte tenu de ces différentes conclusions, nous constatons que l’activité déployée par les enseignants face aux violences a pour objectif de leur permettre de ne pas se trouver en situation d’échec et d’impuissance, mais aussi de préserver leur identité professionnelle, laquelle comme nous avons pu le montrer est fragile.

Enfin, nous avons pu remarquer que les types de mesures déployées par les enseignants face aux violences ne sont pas anodins dans la mesure où celles-ci s’inscrivent également en lien avec un système de contrainte et de liberté particulier, celui de l’enseignement en contexte d’institution spécialisée. En effet, les ajustements opérés par les enseignants sont possibles en contexte d’institution spécialisée parce que ce contexte se caractérise par une liberté de rendement, de fonctionnement et de programme permettant aux enseignants d’agir sur le temps d’enseignement, les objectifs et d’autres aspects pédagogiques, didactiques et collaboratifs. Les stratégies d’ajustement déployées par les enseignants sont donc liées aux contraintes et libertés de fonctionnement propre au contexte d’institution spécialisée. Ainsi, nous avons montré dans nos résultats que certains enseignants modifiaient leurs exigences sur le plan didactique lorsqu’un élève se montrait violent. Le fait de privilégier cette stratégie plutôt qu’une autre d’avoir opté pour cette mesure plutôt qu’un autre semble fortement lié au contexte étant donné qu’en institution il n’y a pas

d’impératif de programme et de rendement. Les enseignants se sentent ainsi libres de réduire les exigences didactiques.

En somme, si nous faisons un pas en arrière et que nous observons l’ensemble des résultats obtenus dans ce travail de recherche, nous pouvons conclure que la question des situations de violence en milieu scolaire est bien plus nuancée qu’on voudrait le croire et que ce qui fait violence aux enseignants spécialisés tient surtout au fait de perdre le contrôle sur la situation. Pour se préserver de ces situations inconfortables, les enseignants s’ajustent. Ces ajustements, comme nous avons pu le montrer, sont infléchis par des contraintes et des libertés de fonctionnement propre au contexte d’institution spécialisée.