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L'humilité comme la leçon de l'Incarnation

CHAPITRE 1 – RECONNAÎTRE LE CHRIST SAUVEUR, C'EST SE RECONNAÎTRE PÉCHEUR

2. L'humilité comme la leçon de l'Incarnation

Augustin, lorsqu'il présente les vingt-deux ouvrages de la cité de Dieu, précise que les dix premiers sont une réponse aux objections des païens et annonce que, dans les douze suivants, il expliquera la naissance, le développement et la fin de la cité de Dieu. Il pense ainsi préparer le lecteur païen à la révélation chrétienne en lui montrant que seule la religion chrétienne peut apporter à l'homme le bonheur qu'il espère. Le livre X de la Cité de Dieu est ainsi un livre charnière où Augustin identifie le bonheur que l'homme recherche au désir d'être uni à Dieu. Augustin reconnaît que cela a pu être reconnu par certains philosophes platoniciens, mais il affirme que ceux-ci n'ont pas été capables de reconnaître le véritable culte qui convient au Dieu unique alors qu'ils ont refusé le Christ médiateur. En définitive, pour connaître le véritable contenu de cette espérance, il faut se tourner vers les textes sacrés.

a. « Mon bien est d'être uni à Dieu »

Augustin commence par rappeler son accord avec les philosophes sur le fait que le bonheur des êtres célestes et celui de l'homme est de participer à la lumière divine qui est distincte de lui453

. Il s'étonne alors qu'ayant reconnu cela, les philosophes n'aient pas été capables de reconnaître que le culte ne devait être rendu qu'au Dieu unique source de toute félicité et condamne cette attitude en se référant à saint Paul : « si dès lors connaissant Dieu, les platoniciens ou tous ceux qui ont professé ces opinions, l'avaient glorifié comme Dieu et lui avaient rendu grâce, ils ne se seraient pas perdus dans le néant de leurs pensées454

, les uns sanctionnant les erreurs des peuples, les autres n'osant leur résister. »455 Augustin affirme, au contraire, que les bons anges sont fort désireux de nous voir partager leur béatitude, cela lui paraît découler logiquement du fait qu'eux-mêmes tirent leur

453On peut remarquer qu'il « force » un peu le sens des formules qu'il reprend à Plotin car comme nous

l'avons vu la séparation ontologique entre le créateur et les créatures est plus marquée chez Augustin que chez les néoplatoniciens. La cité de Dieu, X, 2, BA 34, p. 431, Augustin fait ce rappel : « En cette question, nous n'avons aucun conflit avec ces éminents philosophes : ils ont vu en effet, ils ont dit de milles manières que la béatitude de ces êtres célestes comme la nôtre provient d'une certaine lumière intelligible qui leur est présentée ; lumière qui est Dieu pour eux, sans se confondre avec eux, qui les éclairent de telle sorte qu'ils resplendissent et qu'en participant à elles ils soient constitués parfaits et bienheureux. Plotin, en expliquant la pensée de Platon, affirme souvent et avec force que cette âme qu'on croit être l'âme du monde ne reçoit pas son bonheur d'une autre source que la nôtre ; et cette source est une lumière distincte d'elle, qui l'a créée et dont l'illumination intelligible la fait resplendir. »

454Rom., I, 21.

béatitude du fait d'être soumis à Dieu et il soulignera plus loin que la simple piété nous conduit à penser ainsi. Il s'agit alors de reconnaître quel est le sacrifice qui nous permet de participer à la vie divine source de félicité. Le rappel de l'accord avec les philosophes a pour enjeu de rappeler que le but que constitue cette participation est le plus haut bonheur que peut connaître l'homme. Augustin rappelle ainsi que « notre bien dont le terme ultime pose un si grave problème parmi les philosophes n'est autre chose que le fait d'être uni à Dieu, le seul dont l'étreinte incorporelle, s'il est permis de parler ainsi, féconde l'âme intellectuelle et la remplit de vertus véritables »456

. Augustin présente ainsi Dieu à partir de la métaphysique qu'il a trouvée chez les néoplatoniciens, mais il va expliquer le culte qui lui est dû en se basant sur les textes de la révélation chrétienne. Il peut alors, grâce à la reconnaissance de la fin qui est de s'unir à Dieu, présenter le vrai culte en le définissant à partir des commandements chrétiens : « Ce bien, il nous est prescrit de l'aimer de tout notre coeur, de toute notre âme, de toutes nos forces ; c'est vers lui que doivent nous conduire ceux qui nous aiment et que nous devons conduire ceux que nous aimons. On accomplit ainsi les deux préceptes dont dépendent toute la Loi et les prophètes : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de tout ton esprit ; et tu aimeras ton prochain comme toi-même457

. Pour que l'homme, en effet, sache s'aimer soi-même, une fin lui a été fixée à laquelle, en vue d'être heureux, il doit rapporter tous ses actes ; car celui qui s'aime ne veut rien d'autre qu'être heureux : et cette fin, c'est de s'unir à Dieu. »458

C'est en trouvant Dieu à l'intérieur de lui et en se centrant sur lui que l'homme peut ensuite recevoir sa vie de lui et Augustin, tout en soulignant qu'il serait logique que les saints anges nous souhaite de partager leur bonheur qui est d'être uni à Dieu, remarque que c'est aimer son prochain que de lui souhaiter, de même, le bonheur de connaître cette union.

b. Il s'agit d'un retour à Dieu

Augustin se propose au début du livre X de réfléchir sur le vocabulaire employé pour désigner le culte de Dieu. Avant de rentrer dans le détail des manières de rendre un culte à Dieu qu'Augustin présente ici, nous voulons rappeler que lorsqu'il présente celles qui ont pour but la purification, Augustin rappelle que celles-ci constitent en un retour. Il explique « pour le voir comme il pourra être vu et pour nous unir à lui, nous nous purifions

456Confessions, X, 3, 2, BA 34, p. 437. 457Matth., XXII, 37 et suiv.

de toute souillure des péchés et des mauvaises convoitises et par son nom, nous nous consacrons. Car il est lui-même la source de notre béatitude et le terme total de notre aspiration. En le choisissant ou plutôt en le rechoisissant (car nous l'avions perdu par notre négligence) – et en le rechoissant donc (religentes), d'où vient dit-on, le mot de religion – nous tendons vers lui par notre amour, afin qu'en parvenant à lui, nous trouvions notre repos, et nous soyons heureux parce que rendus parfait grâce à cette fin. »459

Augustin veut ici souligner que l'homme qui se tourne vers Dieu le fait en reconnaissant qu'il s'était détourné de lui, ce qui est remarquable aussi est qu'Augustin présente le bonheur comme le but de la religion alors qu'il s'agit du salut offert par Dieu. Ceci nous permet de reconnaître qu'Augustin met en perspective cette présentation de la religion par l'expérience de salut qui a été la sienne, même s'il ne fait pas encore référence au contenu de la révélation. Nous pouvons remarquer quAugustin parle du service qu'on doit à Dieu en se référant au « rites sacrés » et au culte que l'on doit rendre à Dieu « en nous-mêmes » sans les opposer, il commente ainsi : « car tous ensemble et chacun nous sommes son temple : il daigne habiter à la fois dans l'union de tous les coeurs et dans notre coeur à chacun ; il n'est pas plus en tous qu'en chacun, n'étant ni dilaté par la masse, ni rétréci par la division. »460

Une fois encore, Augustin s'appuie la révélation chrétienne, puisqu'il s'appuie sur un passage de saint Paul, mais il l'explique par la métaphysique qu'il a héritée des néoplatoniciens : Dieu est un être incorporel et c'est lui le créateur de toute chose, c'est pourquoi on peut le rencontrer au plus intime de soi-même. Néanmoins, il y a aussi une nouveauté radicale dans ce que dit l'apôtre, comme le souligne Augustin : l'homme, composé d'âme et de corps, est présenté aussi comme le temple de Dieu, ce qui insiste sur son prix et d'autre part, le fait que l'union des chrétiens puisse être habitée par Dieu est ce qui ne pourra être compris que par l'explication du fait que l'Église est le corps mystique du Christ. Nous pouvons remarquer que dans les deux cas pour exprimer l'union à Dieu, l'expression « élevons notre coeur » traduit l'acte de se tourner vers Dieu pour pouvoir le recevoir. Augustin souligne en effet : « quand notre coeur s'élève vers lui, il est son autel ; son Fils est le prêtre par qui nous le fléchissons »461

. Il indique ainsi que lorsque nous nous tournons vers Dieu, nous pouvons espérer que Dieu se tourne vers nous et c'est par l'intermédiaire du Christ que peut avoir lieu une telle rencontre. Le verbe « fléchir » rappelle le fait que Dieu pourrait légitiment être en colère après nous du fait que nous nous sommes éloignés de lui, mais le Christ est venu révéler la miséricorde de Dieu et est la voie qui mène vers

459Confessions, X, 3, 2, BA 34, p. 437. 460Confessions, X, 3, 2, BA 34, p. 435. 461Confessions, X, 3, 2, BA 34, p. 435.

lui.

c. « Le sacrifice qui plaît à Dieu est un esprit brisé »

Augustin, dans ce livre X de La cité de Dieu, veut établir quel est le culte que l'on doit à Dieu. Après avoir rappelé qu'on ne doit sacrifier qu'à Dieu seul, il se propose de réfléchir au sacrifice que l'on doit offrir à Dieu. La première de ses remarques est importante et elle consiste à dire que Dieu n'a pas besoin de nos dons : « Au reste, qui serait assez fou pour estimer que les offrandes faites dans les sacrifices puissent répondre à quelque besoin de Dieu ? La divine Écriture nous en apporte maints témoignage ; pour ne pas allonger, qu'il suffise de rappeler ce court passage d'un psaume : J'ai dit au Seigneur : Tu es mon Dieu car tu n'as pas besoin de mes biens (Ps L, 18 suiv.) »462

. Augustin peut conclure alors que tout culte légitime qu'on rend à Dieu profite à l'homme non à Dieu. L'enjeu est de comprendre comment nous pouvons nous unir à Dieu. Il peut, à partir de là, expliquer que les sacrifices extérieurs sont les signes de ce que doit être le sacrifice intérieur. Pour expliquer le sens de la nouvelle religion qu'est venu fonder le Christ, il explique ainsi « dans les sacrifices où les patriarches immolaient des animaux et qu'aujourd'hui le peuple de Dieu relit dans l'Écriture sans plus les pratiquer, il faut voir uniquement la figure des [choses] qui s'accomplissent parmi nous, en vue de nous unir à Dieu et de porter vers lui notre prochain. Le sacrifice visible est donc le sacrement (sacramentum), c'est-à-dire le signe sacré du sacrifice invisible. Voilà pourquoi chez le prophète l'homme pénitent ou le prophète lui-même, cherchant pour ses péchés la bienveillance de Dieu, lui dit : 'Si tu avais voulu un sacrifice, je te l'aurais offert ; mais aux holocaustes tu ne prends pas plaisir. Le sacrifice pour Dieu est un esprit brisé : un coeur contrit et humilé, Dieu ne le dédaignera pas (Ps. 50, 18-19) »463

. Augustin décrit une sorte de pédagogie de Dieu qui a commencé par prescrire dans l'ancienne Loi des sacrifices extérieurs pour que l'homme comprenne que Dieu désirait qu'ils fassent un effort pour s'unir à lui. Il précise toutefois que ce type de sacrifice ne convient qu'à un temps particulier : « ils devaient être remplacés, en temps opportun et déterminé, de peur qu'on les crût enviables pour Dieu ou du moins acceptables pour nous, plutôt que ceux dont ils étaient la figure. »464

Augustin insiste donc sur le fait que les sacrifices visibles ne doivent

462Confessions, X, 3, 2, BA 34, pp. 439-441. 463Confessions, X, 5, BA 34, p. 441.

être compris que comme la figure du sacrifice invisible qu'il présente à partir d'autres passages de la bible465

: le culte que réclame Dieu est un culte intérieur, il s'agit de se tourner, ou plus exactement de se retourner, vers lui.

Augustin peut expliquer ainsi qu'à l'endroit où Dieu dit qu'il refuse un sacrifice, il montre qu'il veut un sacrifice : « il refuse le sacrifice des bêtes égorgées, et il veut le sacrifice d'un coeur brisé. »466 Ce qui est remarquable, c'est qu'un tel mouvement de retour vers Dieu soit associé par Augustin à un acte de contrition ; cela rejoint le fait que l'homme a commencé par s'égarer loin des sentiers de Dieu. Pour Augustin, la seule voie qui permet de retourner à Dieu est le Christ lui-même car par son Incarnation et par l'obéissance jusqu'à la mort à Dieu, il nous apprend l'humilité. L'homme doit donc avoir un coeur humble et repentant. Augustin cite Michée : « N'as-tu pas appris, ô homme, ce qui est bon ? Que pourrait te demander le Seigneur, sinon de pratiquer la justice, d'aimer la miséricorde et d'être prêt à marcher avec le Seigneur ton Dieu ? »467

Il cite aussi l'épître aux Hébreux : « N'oubliez pas de faire le bien et d'être généreux, car c'est par de tels sacrifices qu'on plaît à Dieu. »468

Il peut conclure alors « Voilà pourquoi ce texte : Je préfère la miséricorde au sacrifice, signifie seulement qu'il faut préférer un sacrifice à un autre sacrifice. Car ce que tous appellent sacrifice est signe du vrai sacrifice. »469

Le temps est venu d'offrir à Dieu le sacrifice d'un esprit brisé car le Christ est venu nous montrer comment prier Dieu en vérité. Nous ne pouvons en aucune façon nous hisser à Dieu par nous-mêmes, mais il s'agit de recevoir de lui ce que nous sommes en nous reconnaissant comme une créature pécheresse, comme l'explique Augustin : « Nous cesserons d'être des hommes pour devenir mieux, si nous commençons d'abord par nous reconnaître hommes : autrement dit pour nous élever à cette hauteur, il nous faut partir de l'humilité, de peur que, pensant être quelque chose alors que nous ne sommes rien, non seulement nous ne recevions pas ce que nous ne sommes pas, mais encore nous perdions ce que nous sommes »470 L'étape où l'homme reconnaît son péché est donc indispensable, mais il faut rappeler que nous sommes appelés à vouloir Dieu, mais à le vouloir par lui. C'est Dieu qui

465Confessions, X, 3, 2, BA 34, p. 443. Ps. XLIX, 14-15 « Offre à Dieu un sacrifice de louange, accomplis tes

voeux à l'égard du Très-Haut ! Invoque_moi au jour de la tribulation et je te délivrerai et tu me glorifieras » ; et suiv. « Que ferai-je pour atteindre le Seigneur, pour gagner mon Dieu, le Très-Haut ? Lui offrirai-je en holocauste des veaux d'un an ? Le Seigneur agréera-t-il le sacrifice de milliers de béliers, de dizaines de mille de boucs gras ? Lui donnerai-je mes premiers-nés pour mon impiété, le fruit de mes entrailles pour le péché de mon âme ? 466Confessions, X, 5, BA 34, p. 441. 467Mich., VI, 6. 468Hebr., XIII, 16. 469Confessions, X, 5, BA 34, p. 441. 470In Jo., I, 4.

vient vers l'homme et si la leçon de l'Incarnation est l'humilité, nous allons voir que c'est la charité qui explique le mystère de la rédemption.