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La cité de Dieu révélée aux païens : opposition entre les saints anges et les démons

Dans le livre XI, Augustin, après avoir réfuté les différentes formes de paganisme, veut montrer la naissance de la Cité de Dieu et expliquer pourquoi un combat oppose celle- ci à une cité qu'il appelle terrestre et qu'il présente comme étant dominée par des faux dieux. Il commence par énumérer les caractères de la Cité de Dieu : elle est « glorieuse », fondée par Dieu pour l'éternité, joyeuse, inébranlable311

comme nous l'apprennent les Saintes Écritures : « Ces témoignages et d'autres semblables qu'il serait trop long de citer, nous ont appris l'existence d'une Cité de Dieu, dont nous aspirons être les citoyens poussés par cet Amour que son fondateur a mis en nous.»312

C'est donc bien aussi par l'intermédiaire des vérités révélées que nous pouvons apprendre qu'il existe un Dieu unique, créateur de tout ce qui existe. C'est un être suprême qui est le fondateur de cette cité, mais certains hommes sont dans l'ignorance de son existence et Augustin présente ainsi la situation des païens : « À ce Fondateur de la sainte Cité, les citoyens de la cité terrestre préfèrent leurs propres dieux, ignorant qu'il est le Dieu des dieux – non des dieux faux, c'est-à-dire impies et orgueilleux qui privés de la lumière immuable et commune à tous, réduits par là, à une sorte de pouvoir indigent, poursuivent leur domination pour ainsi dire personnelle en réclamant les honneurs divins de ceux qu'ils se sont assujettis par leur tromperies – mais des dieux pieux et saints qui mettent leur joie plutôt à se soumettre eux- mêmes à lui seul, que beaucoup d'autres à eux-mêmes, et à adorer Dieu plutôt que de se faire adorer à sa place »313

. On apprend ainsi qu'il faut distinguer des bons anges qui ne réclament pas un culte pour eux-mêmes et des mauvais anges et que ces derniers peuvent être identifiés aux dieux des païens. La cité terrestre apparaît alors comme celle qui est asservie à de faux cultes et Augustin les a dénoncés dans les dix premiers livres en dénonçant leur vanité : ils ne peuvent en aucune façon offrir à l'homme le bonheur car le

311La cité de Dieu, XI, 1, BA 35, p. 31. « C'est là en effet qu'il est écrit : On dit de toi des choses glorieuses,

Cité de Dieu ! (Ps. XLVII, 2-3) et dans un autre psaume, on lit Le Seigneur est grand et digne des plus hautes louanges dans la Cité de notre Dieu, sur sa montagne sainte, lui qui accroît la jubilation de toute la terre (Ps. XLVII, 9) Et un peu plus loin dans le même psaume : Comme nous avons entendu, ainsi nous avons vu dans la Cité du Seigneur des vertus, dans la Cité de notre Dieu ; Dieu l'a fondée pour l'éternité.

(Ps. XLVII, 9) De même ailleurs : Un fleuve de joie inonde la Cité de Dieu ; le Très-Haut a sanctifié son

tabernacle ; Dieu est au milieu d'elle : elle ne sera point ébranlée. (Ps. XLV, 5-6) ».

312La cité de Dieu, XI, 1, BA 35, p. 33. 313La cité de Dieu, XI, 2, BA 35, p. 33.

pouvoir de ceux qui sont adorés comme des dieux est usurpé ; c'est justement l'incapacité de la religion païenne à apporter le bonheur qui est la preuve de sa vanité. Augustin peut alors leur opposer le Dieu unique qui est l'être qui existe souverainement et qui apparaît alors seul capable de donner à l'homme, non pas simplement la prospérité matérielle, mais le bonheur éternel que l'on peut reconnaître, ainsi que l'on reconnu les philosophes, comme l'union avec la divinité.

La première présentation qu'Augustin fait des deux cités est commandée par l'ordre d'exposition qu'il suit et n'est qu'indicative : expliquant aux païens quel est le bonheur que la religion chrétienne promet, il précise quelle est leur situation vis-à-vis de la Cité de Dieu. Il apparaît alors que non seulement ils sont hors de celle-ci, mais qu'ils appartiennent à ce qu'Augustin appelle la « cité terrestre ». Il ne faut pas croire qu'Augustin désigne ainsi un état en particulier. Comme le souligne J.-C. Guy, Augustin veut présenter le sens de la destinée humaine : « S'il veut apporter une réponse définitive et totale au problème de l'humanité, il lui faut rendre compte non seulement du Bien, mais encore du Mal qui agit dans le monde ; il lui faut surtout définir dans quel rapport réciproque se situent le Bien et le Mal à l'oeuvre dans l'histoire. C'est ce qu'il exprimera dans la figure de l'opposition des deux cités 'mystiques', la cité de Dieu et la cité diabolique. Ces deux cités sont à comprendre en un sens 'spirituel', c'est-à-dire en tant que figurant les forces du Bien et du Mal à l'oeuvre dans l'histoire ; en aucun cas, elles ne peuvent être prises pour la figure de l'État chrétien et de l'État païen. »314

Cette première opposition entre les deux cités exprime déjà néanmoins la polarité de chacune : la cité de Dieu est la communauté de ceux qui reconnaissent un Dieu unique et comprend des hommes et des créatures spirituelles, tandis que la cité terrestre est la communauté de ceux qui ne reconnaissent pas cet être suprême et le culte qui lui est dû et est composée d'hommes mais aussi d'êtres spirituels qui demandent un culte pour eux mêmes alors qu'ils se sont détournés de leur créateur, c'est pourquoi cette cité est parfois qualifiée de diabolique. Ce qui est important à comprendre est que le ciel et la terre désignent des valeurs différentes, des modalités d'être selon des principes opposés. La « cité » n'est donc pas ici précisément une ville, un empire ou un mode de gouvernement, mais elle désigne ici une communauté basée sur disposition intérieure car ce qui fait l'union de ses membres c'est un accord de volontés. Nous pouvons remarquer qu'Augustin, dès le début de son ouvrage, avait évoquée la cité de Dieu en indiquant que le sort des individus n'est définitivement fixé qu'au jour du jugement dernier et que

l'appartenance à l'Église ne suffit pas pour être certain de faire partie de la cité de Dieu315 . À la différence de ce qui se passe pour les créatures spirituelles dont le destin est scellé une fois pour toutes, comme nous le verrons, les hommes ont leur vie qui s'inscrit dans une histoire, aussi ont-ils sans cesse à se convertir et à rechoisir Dieu comme le bien suprême et à lui accorder le culte qui lui est dû. Comme l'explique J.-C. Guy, leur vie est « une marche, une perigrinatio qui remet à chaque instant en question sa direction ou vers Jérusalem ou vers Babylone »316

, Jérusalem et Babylone sont prises comme la métaphores de ces deux figures mystiques que sont la cité de Dieu et la cité terrestre.

2. Les anges sont des créatures créées qui sont lumière en tant qu'elles