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Les anges et les hommes : des créatures raisonnables qui peuvent s'unir à Dieu

L'homme est créé à un moment donné. Il est créé indépendamment des anges et Dieu a un projet pour lui et même s'il sait que cette créature va pécher, il a le projet de la rédemption. Augustin, nous invite à considérer qu'en chaque homme se joue l'opposition entre les deux cités, comme celle-ci s'est jouée en Adam qui est le premier homme créé unique. Pour expliquer le rapport des hommes et des anges au temps, P. Piret souligne que le moment où est crée l'homme est « irréductible au développement du temps cosmique dans lequel il est inséré »361

, ce qui signifie qu'il y a un commencement de l'homme voulu par Dieu, ce qui témoigne de la bonté de Dieu à notre égard. Il faut comprendre aussi que la vie de chaque homme est commencement en ce qu'il devra faire comme Adam un choix entre les deux cités. P. Piret explique ainsi : « La création de l'homme est postérieure à celle des anges et à celle du monde : tout homme en Adam partage l'instant des anges et le temps du monde. Aussi, le choix ou le refus du bien, que les esprits angéliques ont exercé dans l'instant de leur relation spirituelle à Dieu, seront présents à l'homme en chaque temps et seront proposés à sa volonté suivant une certaine ordonnance du temps. Nous précédant en deça de notre génération et présente à l'intime de notre existence, la double donnée de 'mort et vie' (livre XIII) et de 'chair et esprit' (livre XIV) exprime le surgissement des deux Cités en nous mêmes. »362

C'est donc à la fois le péché originel et le combat que chacun doit mener dans sa vie qui sont à examiner pour comprendre en quoi consiste l'opposition des deux tendances envers chaque cité en nous et Augustin nous propose ainsi une réflexion sur la condition humaine. P. Piret invite, par ailleurs, à remarquer que la cité de Dieu est la plus originaire et qu'elle surgit encore. En effet, toutes les créatures sont sorties

361P. Piret, op. cit., p. 194. 362P. Piret, op. cit., p. 195.

bonnes des mains du créateur, le mal n'est que second. D'autre part, on peut dire que la cité de Dieu surgit encore car chaque homme au cours de l'histoire de l'humanité se trouve confronté au choix entre les deux cités et ce ne sera qu'à la fin des temps que sera révélé le nombre de ceux qui participeront à la cité céleste, ceux qui auront été fidèles durant leur pélérinage terrestre. À la fin du livre XI, Augustin présente la gradation des êtres au chapitre 16 et indique que l'on met les êtres vivants au dessus des êtres inanimés, puis parmi les êtres intelligents, les immortels au-dessus des mortels. Cependant il souligne que « dans les créatures raisonnables, la volonté et l'amour ont pour ainsi dire un si grand poids que, malgré la supériorité des anges sur les hommes selon l'ordre de la nature, les hommes vertueux n'en sont pas moins au-dessus des anges mauvais, selon la choix de la justice »363. Il apparaît alors que ce qui compte avant tout chez les créatures raisonnables soit le fait qu'elles choisissent ou non d'adhérer à Dieu.

Après avoir étudié la naissance des deux cités parmi les créatures spirituelles, Augustin doit expliquer leur naissance parmi les hommes. Il rappelle ainsi à la fin du livre XII que les hommes ont été créés à partir d'un seul homme et qu'au nom de la prescience de Dieu, on doit reconnaître qu'« en ce premier homme créé à l'origine, ce sont deux sociétés et comme deux cités qui ont pris naissance dans le genre humain. De lui, en effet, devaient provenir les hommes destinés à partager, les uns les supplices des mauvais anges, les autres la récompense des bons ; et cela par un jugement de Dieu, qui pour être caché, n'en est pas moins juste. »364

Augustin veut ainsi dire qu'en Adam, Dieu avait prévu les deux cités. Dieu n'a pas voulu le mal, mais il savait que des créatures allaient pécher et dans sa divine Providence, il avait prévu tout le bien qui pourrait sortir du mal. Augustin en insistant sur le fait qu'en créant Adam Dieu avait déjà connaissance de toute l'histoire de l'humanité veut insister sur le fait que Dieu créé l'homme dans le temps sans volonté nouvelle. Il souligne : « Dieu, bien qu'éternel et sans commencement lui-même a ourdi la trame du temps à partir d'un commencement, et dans ce temps il a fait l'homme qu'il n'avait jamais fait auparavant ; et il l'a fait, non par une décision soudaine et nouvelle, mais immuable et éternelle »365

Augustin présente cela comme un mystère, mais il insiste sur le fait que l'incarnation du Christ dans le temps permet de donner un sens à notre vie et de sortir des théories circulaires qui posent que l'âme se réincarne et qui sont incapables de

363La cité de Dieu, XI, 16, BA 35, p. 85. 364La cité de Dieu, XII, 28, BA 35, p. 245. 365La cité de Dieu, XII, 15, BA 35, p. 197.

donner à penser le bonheur complet et éternel de l'âme366

. Augustin leur oppose l'idée que l'histoire a un sens, qui est celui de l'avènement de la cité de Dieu, et qu'au cours de l'histoire de l'humanité, chaque homme peut choisir ou non d'y participer. C'est Dieu même qui la fonde et il vient dans l'histoire assurer la voie,par l'incarnation et la résurrection du Christ, pour permettre à l'homme d'accéder à la béatitude éternelle. Augustin explique ainsi en se référant à saint Paul « Une seule fois le Christ est mort pour nos péchés et ressucité d'entre les morts, il ne meurt plus : la mort n'a plus d'emprise sur lui367

. Et nous, après la résurrection, nous serons éternellement avec le Seigneur. »368

P. Piret souligne qu'ainsi Augustin insiste sur l'originalité de la perspective chrétienne : « unicité d'un moment ('une seule fois') et achèvement du temps non par lui-même mais par l'éternité ('mort', 'réssucité') »369

. C'est donc la réflexion sur le mystère de Dieu qui découvre ce que la pensée des cycles éternels ne peut découvrir : le commencement de l'homme dans le temps et sa fin qui est Dieu. La cité de Dieu est ainsi présentée comme la destinée béatifiante de l'homme. Certes, en créant Adam, Dieu a su que ce dernier allait inaugurer une histoire de l'humanité marquée par le péché des hommes, mais il avait aussi prévu son intervention dans l'histoire par l'Incarnation et le fait que la cité de Dieu allait recruter des citoyens durant ce qu'il appelle son pélérinage terrestre. La création d'un seul homme inaugure la multitude : « Dieu sans changement de volonté, avant qu'aucun homme ne fût jamais, a institué dans le temps l'homme temporel et d'un seul homme a tiré la multitude »370

. Il apparaît ainsi que l'origine des deux cités chez les hommes était déjà connue en Adam, bien que chaque existence humaine soit nouvelle et singulière et ait aussi à choisir entre ces deux cités.

Étudier la naissance de ces deux cités conduit à examiner comment des anges, puis des hommes ont pu choisir de se détourner de Dieu. Il n'y a pas quatre cités car le bien suprême qui est l'union à Dieu est offert à toute créature raisonnable et que les cités reposent sur des accords de volontés. Les hommes, à la différence des anges, ont une existence qui s'inscrit dans le temps, mais on peut dire que dans leur choix, ils se retrouvent devant la même alternative que les anges : se tourner ou non vers Dieu. Même si l'on peut dire que les anges ont été créés avant les hommes, au moment même de l'instauration du temps et du monde, ils peuvent être ceux qui incarnent pour les hommes

366La cité de Dieu, XII, 28, BA 35, p. 211. 367Rom., VI, 9.

368La cité de Dieu, XII, 14, BA 35, p. 195. 369P. Piret, op. cit., p. 189.

l'opposition de deux principes spirituels, de deux cités, si on reconnaît que ce qui nous unit à eux c'est une disposition intérieure. A. Chapelle note ainsi : « la chute des anges a, pour Augustin, une importance décisive parce qu'elle fait percevoir, dès cette première origine de la création, la racine de l'affrontement qui parcourt chacun d'entre nous. La chute de l'ange est d'aujourd'hui. Elle a lieu le jour unique qui est tous les jours (cf. XI, 9). On peut raconter l'histoire : il y a eu la chute des anges, puis le diable a tenté Ève, puis il y a nos fautes. C'est vrai du point de vue de l'histoire, mais l'histoire ne supprime pas, elle suppose la présence d'esprit à esprit. C'est à l'intérieur de nous-même qu'Augustin veut nous faire comprendre cette chute de l'ange (cf., de façon semblable, Ignace de Loyola, Exercices spirituels, N. 50 : premier exercice de la première semaine) »371. La chute de l'ange est d'aujourd'hui parce qu'elle est ce choix que l'ange fait de toute éternité de se tourner ou non vers Dieu. C'est parce que la cité terrestre et la cité céleste sont des communautés fondées sur des accords de volontés que l'on peut reconnaître que nos choix se font toujours en dernière analyse entre choisir d'obéir à Dieu ou choisir de lui désobéir, ce qui peut s'exprimer aussi entre choisir d'obéir à Dieu ou choisir de se tourner vers le diable. Dire que la chute de l'ange se rejoue en chaque homme, c'est insister sur le fait que chacun se trouve devant le choix entre deux principes spirituels : la cité céleste et la cité terrestre372

. Augustin veut ainsi nous faire reconnaître la « chute de l'ange » en nous en montrant que c'est contre une disposition intérieure en nous qu'il faut lutter.