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Augustin oppose aux livres des philosophes, non une doctrine, mais le Christ lui-même

CHAPITRE 3 – LA LECTURE DES ÉPÎTRES DE SAINT PAUL ET LA RECONNAISSANCE DE LA MÉDIATION NÉCESSAIRE DU

1. Augustin oppose aux livres des philosophes, non une doctrine, mais le Christ lui-même

Tout d'abord, Augustin rappelle le problème qui se posait à lui : « Et je cherchais la voie pour acquérir la vigueur qui me rendrait capable de jouir de toi. »217

Augustin explique qu'il ne cherchait pas à être plus certain de l'existence de Dieu, ainsi que nous l'avons vu, après son expérience de retour sur lui-même, il dit qu'il aurait douté de son existence plutôt que de celle de Dieu, il cherchait en fait à être plus stable alors que le poids des habitudes charnelles l'empêchait de rester emporté par ses élans vers Dieu. Augustin dit même, nous l'avons vu, qu'il faillit se perdre dans un excès de confiance en lui et ce qu'il comprenait alors qu'il « bavardait comme un fin connaisseur »218

. Comme les philosophes néoplatoniciens, il a failli croire qu'on pouvait se hisser à Dieu par ses propres forces et oublier que ce qu'il a compris lui a été donné. Nous avons aussi rappelé, à ce sujet, qu'il voyait dans le fait qu'il a découvert le sens des textes chrétiens après avoir lu les livres des néoplatoniciens un signe de la Providence qui lui a appris ainsi que le salut ne peut venir que de l'enseignement du Christ. La faiblesse qu'Augustin éprouve est la difficulté à être maître de lui-même alors qu'il est encore attaché aux choses matérielles par la concupiscence et le poids de ses mauvaises habitudes. Avant et même lorsqu'il se mit à lire les écrits de Paul, il éprouvait toujours cet asservissement, aussi remarque-t-il en utilisant les expressions pauliniennes : « même si l'homme goûte la loi de Dieu selon l'homme

216Confessions, VII, 18, 24, BA 13, p. 631. 217Confessions, VII, 18, 24, BA 13, p. 631. 218Confessions, VII, 20, 26, BA 13, p. 637.

intérieur, que fera-t-il de l'autre loi qui, dans ses membres est en lutte contre la loi de son esprit et le rend captif de son péché qui est dans ses membres ? »219

Augustin désigne la situation dont il a réservé la présentation au chapitre VIII des Confessions et qui consiste dans la découverte du combat de deux volontés en soi-même, la nouvelle qui est comme nous l'avons vu, volonté de s'unir au Bien après avoir découvert qui il est et l'ancienne qui n'est que la force des mauvaises habitudes liées à une vie de péché. On peut rappeler ici que l'influence de saint Paul a conduit Augustin dès l'écriture des Confessions à reconnaître un rôle important à la grâce pour restaurer notre volonté220

et c'est en ce sens qu'il faut comprendre la métaphore du Christ médecin et du besoin d'être « guéri » présenté par Augustin.

Ce qui est remarquable ici est qu'Augustin commence à présenter la solution de son problème avant de le décrire et il précise tout de suite « et je ne trouvais pas, tant que je n'avais pas embrassé le Médiateur entre Dieu et les hommes, l'Homme Jésus-Christ, qui est au-dessus de tout, Dieu béni à jamais. » Augustin avant de nous présenter ce qu'il a lu tient à insister sur le fait que le Christ lui-même est la voie qui lui manquait. Il nous semble ainsi qu'il veut insister sur le fait qu'il ne s'agit pas d'opposer deux doctrines, mais bien de reconnaître que la reconnaissance du Christ n'est pas simplement l'adhésion intellectuelle à son message, mais une conversion de l'être tout entier alors qu'on peut rencontrer par l'intermédiaire du Christ fait homme un dieu personnel. Augustin le présente par ses propres paroles : « Je suis la voie, la vérité et la vie » et note que « la nourriture que par faiblesse, je ne pouvais prendre, il la mélange à la chair, puisque le Verbe s'est fait chair, afin que pour notre enfance ta sagesse devînt du lait, elle par qui tu as créé toute chose »221 Augustin explique ainsi qu'en s'incarnant le Christ s'est offert comme une voie à l'homme en venant le rejoindre dans les conditions temporelles de sa vie. La vie et la mort du Christ, et sa résurrection, sont en effet le témoignage sensible de l'amour de Dieu pour l'homme et du fait que nous sommes invités à partager sa vie. Dire que la nourriture spirituelle dont

219Confessions, VII, 21, 27, BA 13, p. 639.

220A. Solignac rappelle, dans son introduction, « au moment même où il se mit à écrire les Confessions,

Augustin venait de reprendre, sur les instances de l'évêque de Milan, Simplicianus, l'examen de l'Épître aux

Romains. Il avait à cette occasion corrigé le semi-pélagianisme larvé qu'il avait jusque là admis de bonne foi ;

l'impossibilité de délimiter, dans le domaine de l'action humaine, une zone qui relèverait uniquement de la liberté personnelle, lui était apparue en pleine lumière : tout est grâce, sans la grâce la liberté ne réussit jamais à se rendre effective pour le bien ; la réalisation du bien suppose, non seulement une synergie mystérieuse de la grâce et du libre arbitre, mais encore une pénétration de la grâce au coeur du libre arbitre pour le restaurer, le féconder, le rendre effectif : 'c'est Dieu qui opère en nous de vouloir et de faire' affirme saint Paul, (Phil., II, 12-13) ; et 'par là, ajoute Augustin, il nous montre assez que la bonne volonté elle-même résulte de l'action de Dieu.'(De div. Quaest. Ad Simpl. I, 1, 11) ».

Augustin avait besoin a été « mélangée à la chair » souligne que Dieu vient rejoindre chacun, et Augustin en particulier, au coeur de sa vie grâce à l'Incarnation qui est la manifestation sensible de l'amour de Dieu pour l'homme et de l'annonce du fait que nous sommes appelés à vivre de sa vie. Ce qu'Augustin a reçu en lisant les Epîtres de saint Paul, plus que la découverte d'une doctrine, a été l'invitation à s'engager en se convertissant au Christ présenté comme la seule voie vers Dieu. On peut remarquer que c'est simultanément qu'Augustin a compris la miséricorde de Dieu et la nature de son péché alors qu'il reconnaît la grandeur du mystère chrétien de l'Incarnation. O. Du Roy note, en effet, que « cette expérience de grâce va de pair avec le constat de son péché. Aussi est-elle l'expérience d'un salut donné dès maintenant en Jésus-Christ. »222 Cela signifie que si l'homme peut rencontrer Dieu, c'est en définitive parce que Dieu lui-même vient le rencontrer dans son histoire. O. Du Roy peut alors expliquer qu'Augustin identifie désormais la conversion à une marche vers Dieu dans laquelle nous pouvons nous engager dès à présent même si nous sommes encore incapables d'avoir une vision de Dieu. Il précise que ce salut, « il ne faut pas attendre d'être entièrement purifié et guéri pour le recevoir. Autrement dit il [Augustin] n'assimile plus le salut avec la vision de Dieu ou l'intelligence de son mystère. Il comprend que le salut est cette 'marche dans la voie de Dieu'. Aussi ajoute-t-il avoir découvert dans saint Paul : « que celui qui de loin ne peut voir, marche cependant dans la voie (qui de longinquo uidere non potest, uiam tamen ambulet) »223

Il apparaît donc que, pour Augustin, c'est bien le Christ lui-même qui est la voie qu'il faut suivre et bien que les philosophes néoplatoniciens aient pu entrevoir de loin le bonheur que Dieu promet, la patrie où nous sommes appelés à vivre de la vie de Dieu, ils sont incapables, s'ils rejettent le Christ, de trouver comment s'y rendre. Nous pouvons ici remarquer que même pardonné, le péché n'est pas effacé et que la vie sur terre est un perpétuel chemin de conversion. Reconnaître le Christ comme le sauveur et la voie, c'est cependant déjà être en chemin et Augustin reconnaîtra même que les « parvuli » qui se convertissent grâce à la révélation, mais ne prennent pas la mesure de ce que cela peut signifier philosophiquement sont plus avancés, d'après Augustin, que les philosophes eux-mêmes.

Augustin oppose donc aux platoniciens, non pas un doctrine, mais le Christ lui- même. Il commence donc par présenter l'Incarnation de celui-ci en indiquant quel est son but. Nous allons citer ce passage même s'il est assez long car il nous paraît important de l'étudier en détail. Augustin explique ainsi : « car ton Verbe, l'éternelle Vérité, dominant de

222O. Du Roy, op. cit., p. 94.

loin les parties supérieures de ta création (superioribus creaturae tuae partibus), élève jusqu'à lui ceux qui lui sont soumis ; mais dans les parties inférieures (in inferioribus), il s'est bâti une humble demeure avec notre limon afin par elle, de détacher d'eux-mêmes ceux qu'il doit soumettre et les faire passer jusqu'à lui, en guérissant leur enflure et nourrissant leur amour ; tout cela pour que la confiance en eux-mêmes ne les fassent pas s'écarter davantage, mais que plutôt ils deviennent faibles, en voyant à leurs pieds la divinité affaiblie qui prend en partage notre tunique de peau, et, que harassés, ils se prosternent devant elle, tandis qu'elle se dressant, les relèvera. »224

Augustin nous explique ici que Dieu lui-même s'est abaissé s'incarnant et est venu rencontrer l'homme dans sa condition mortelle et temporelle. On retrouve le cadre métaphysique d'une hiérarchie dans ce qui existe et qui avait permis à Augustin de présenter le péché comme une perversion de la volonté des créatures qui s'attacheraient à des choses inférieures à elles, les biens purement matériels. Or Dieu est ici présenté comme renonçant à son statut de supérieur pour s'incarner dans les choses inférieures, seul moyen pour prendre contact avec notre faiblesse et venir ensuite restaurer notre liberté par la résurrection. Dieu s'est abaissé à partager notre mortalité pour nous relever225

. Augustin précise que Dieu va ainsi « détacher d'eux-mêmes » les hommes, c'est-à-dire, en fait les délivrer de l'orgueil et de la fausse confiance en eux alors que la seule attitude authentique pour l'homme est de se recentrer sur Dieu qu'il trouve au fond de lui pour recevoir de lui sa vie et son identité d'être appelé à partager la vie de Dieu. L'enflure désigne l'orgueil et le fait de s'enfler au-dehors, désigne, comme nous l'avons vu, la recherche de la satisfaction par la consommation des biens matériels. Augustin insiste sur le fait que c'est en voyant la divinité s'abaisser que l'homme pourra comprendre ce qu'est l'humilité et à quelle vie il est appelé. Dieu « prend en partage notre tunique de peau », cette expression symbolise les conséquences du péché originel, Augustin insiste ici sur le fait que le Christ est venu nous libérer des conséquences du péché et restaurer notre volonté. Il insiste sur la nécessité de s'abaisser à l'exemple du Christ pour pouvoir être relevé par lui. Ce premier moment où l'homme reconnaît sa misère est indispensable et Augustin va expliquer que cette humilité nécessaire à l'accueil du Christ est la leçon même de l'Incarnation.

224Confessions, VII, 18, 24, BA 13, p. 631.

225Comme le remarque O. Du Roy, op. cit., p. 90, « Seul un Médiateur peut, en restant attaché aux réalités

supérieures et en se rendant participant des réalités inférieures, les relier et les rapprocher. On voit toute l'importance qu'Augustin attache après coup à une juste conception de l'Incarnation. »