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En tant que méthode, l’historiographie doit être clairement définie. Elle renvoie tout simplement aux manières dont les historiens écrivent l’histoire, et ici celle de domaines spécifiques, le sport et le football. Elle est donc un passage obligé pour comprendre d’où vient une discipline sportive, comment elle s’est constituée. Il ne s’agit donc pas de dresser une bibliographie des recherches existantes, même si celle-ci peut s’avérer utile, mais plutôt d’interroger ces recherches à plusieurs niveaux (Prost, 1996 ; Veyne, 1996) :

- Quelle est la place du domaine étudié dans l’ensemble du champ scientifique ? Comment est-il considéré et comment se situe-t-il dans chaque discipline (a priori, la place du sport en histoire n’est pas la même qu’en sociologie ou en sciences de l’information et de la communication) ?

34 - Comment l’auteur se situe-t-il lui-même et est-il situé dans le domaine qu’il étudie, dans sa propre discipline et par les autres disciplines ? Savoir qui écrit quoi est essentiel pour comprendre l’œuvre (Bloch, 1997 ; Febvre, 1992). Il est important de replacer le chercheur dans le contexte qui influence son écriture. - Quelle est la place des problématiques construites par les chercheurs dans le

contexte scientifique et pratique (politique, économique, culturel…) de leur époque. Comment se positionne la recherche dans chaque discipline ainsi que par rapport à l’objet étudié (sport de manière générale, pratiques sociales, publics, économie du sport…) ?

Il s’agit donc d’analyser et d’interpréter des positionnements, des pratiques scientifiques, des cadres théoriques et méthodologiques et des travaux, ce qui revient à s’interroger sur le sens des recherches des auteurs, à un moment donné et dans un contexte spécifique. Les comprendre permet de les situer et de se situer par rapport à un objet et par rapport à d’autres manières de faire.

Cela permet de mieux comprendre les raisons pour lesquelles nous avons accordé une place aussi importante à des questions qui pourraient paraître périphériques par rapport au noyau dur de notre sujet de thèse : qu’est ce que le sport ? Depuis quand parle-t-on de « sport » ? Car du choix de la date et donc d’une définition dépend la conception de la périodisation de l’histoire du sport. Par conséquent, au début du XXème siècle, les travaux continuent de vouloir appliquer le terme de sport aux jeux de l’Antiquité et à ceux du Moyen Âge. Cela peut s’expliquer aussi par le fait que les chercheurs tiennent toujours à légitimer leur objet. Les auteurs français postérieurs qui, majoritairement, défendent une coupure quasi-paradigmatique, sont pour la plupart fortement ancrés dans le champ académique, soit celui de l’histoire, soit plus sûrement celui des Sciences et techniques des Activités Physiques et Sportives (STAPS), de création récente, puisqu’elles ont été reconnues comme 74ème section du Conseil National des Universités (CNU) en 1984.

Dans cette interdiscipline que sont les STAPS (Klein dir., 1998)30, l’histoire du sport s’est construite au contact d’autres sciences sociales, en particulier la sociologie (surtout), l’anthropologie, la psychologie et plus récemment l’économie et la gestion. Elle a ses lieux d’expression -laboratoires31

, sociétés savantes32, revues, colloques, journées

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Les STAPS sont la seule section du CNU constituée à la fois par des sciences de la vie et de la santé et des sciences humaines et sociales. Régulièrement avancée et tout aussi régulièrement mise en doute, la fertilisation croisée reste une question vive… qui n’exclut pas des réponses partielles liées à des bouts de chemin faits ensemble.

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Ainsi, à Toulouse, SOI -équipe SHS de PRIMSHS, laboratoire de STAPS- se partage à peu prés équitablement entre sociologues et historiens.

35 d’études…-, qu’elle partage souvent avec d’autres, ses territoires symboliques, ses thèses et HDR33, et enfin ses corpus théoriques dont des ouvrages analytiques, critiques ou de synthèse, mais aussi des actes de colloques ou des numéros de revues rendent compte régulièrement. On en citera quelques-uns, parmi les plus récents : Terret, Froissart, 2013 ; Sorez dir., 2012, Clastres, Dietschy, 2011 ; Attali dir., 2010.

La proximité interdisciplinaire, et mieux encore la fréquentation d’autres disciplines, la spécialisation pour ne pas dire la focalisation des recherches sur des « objets sportifs » et un attachement fort aux méthodes historiographiques et aux références théoriques acquises durant la formation font de ces chercheurs doublement spécialisés des historiens un peu particuliers. Par ailleurs, rares sont ceux qui travaillent sur le sport en général. Le sport s’étudie évidemment au pluriel. « Les » sports présentent sans doute nombre de points communs, mais en même temps, chacun est autonome et possède ses particularités liées à son histoire et à ses modalités d’institutionnalisation, à ses propriétés formelles -par exemple, ses règles-, à ses publics (Terret, 1996). Cela apparaît nettement lorsque l’on prend en compte le genre : les sports dits « masculins » comme la boxe, le football ou le rugby, les sports dits « féminins » comme la gymnastique artistique ou encore les sports moins « genrés » comme l’alpinisme, confirment l’existence de processus et de comportements différents en fonction de l’institution en question. De plus, les sports ne sont pas pratiqués ni appréciés de la même manière selon le rapport que chaque individu (être social relevant d’appartenances sociales et être subjectif) entretient avec la discipline qu’il pratique ou qu’il fréquente en tant spectateur, lecteur, auditeur, téléspectateur ou internaute.

Dans le cadre de la compréhension des lectures sportives, la domination masculine et mieux encore le genre deviennent pour les historiens des objets récurrents, d’autant que

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La Société Française d’Histoire du Sport (SGHS) créée en 1985 et réformée en 2003, rassemble une centaine de spécialistes relevant pour l’essentiel des STAPS. Elle organise tous les deux ans des Carrefours d’Histoire du Sport, colloques thématiques rassemblant plusieurs dizaines de contributeurs issus de différentes disciplines académiques (publication d’actes) ainsi que des journées d’études. En 2008, elle a créé avec la Société Française de Sociologie du Sport la revue

Sciences Sociales et Sport.

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Entre 2009 et 2013, la Société Française d’Histoire du Sport a recensé pas moins de trente thèses et HDR -soutenues dans une dizaine d’Universités- sur des sujets très divers : Sports et pratiques corporelles chez les déportés, prisonniers de guerre et requis français en Allemagne durant la Seconde Guerre Mondiale (1940-1945) ; Cinquante ans de campagnes d’éducation pour la santé (1960-2010) ; La chevalerie des sportsmen, Pierre de Coubertin (1863-1937) ; L’image du basket-ball dans la presse sportive ; Entraîneur de football : histoire d’une profession de 1890 à nos jours

; Aux origines de l’organisation du sport en France. L’histoire de l’institutionnalisation du sport et de l’olympisme (1887-1930) ; Comment devient-on sportif ? Le destin de deux générations (1935-2010) ; Les filles de l’eau. Une histoire des femmes et de la natation en France

36 les travaux de terrain, tout autant que les pratiques et les discours des instances sportives montrent régulièrement que le sport et les sports restent encore un espace masculin. L’histoire « genrée » du sport opère aujourd’hui un retour sur la question des origines évoquée supra, avec des interrogations, des concepts et méthodologies influencés par la sociologie contemporaine et la pluridisciplinarité. Ce faisant, les recherches revisitent avec de nouveaux outils une question traditionnelle, celle du corps (Corbin, Courtine, Vigarello, 2005-2006). Or le sport est sans doute l’un des moteurs historiquement et sociologiquement les plus efficaces de la reproduction des hiérarchies de genre, sociales ou ethniques. De sorte que le questionnement des pratiques et des discours sportifs est un formidable moyen d’interroger la société et son évolution.

L’approche diachronique du sport et les thématiques qui lui sont consubstantielles prennent alors la forme d’une frise, qui facilite la lecture des événements dans une période particulière. Le principe de frise chronologique sur laquelle se pose une suite d’événements n’est pas la méthode employée par la plupart des historiens du sport. Elle sera pourtant la nôtre. En effet, il ne s’agit pas pour nous de placer des bornes dans le temps et d’analyser ensuite comment les choses évoluent. Il s’agit de vérifier comment les thématiques telles que le rapport sport/médias, les spectacles et les publics sportifs sont traitées dans un temps et un espace donnés. L’approche méthodologique se déploie en fait sur deux grands axes :

- La définition d’un temps et d’un découpage temporel est en lien avec les thématiques sportives et leurs évolutions en évitant de plaquer une chronologie existante.

- Ce découpage est défini par les sources et les corpus documentaires choisis. Avant de se lancer dans la lecture des sources, l'historien réfléchit sur les documents qui pourraient répondre à la question historique qu'il se pose.

2.2.2 D’objets en objets : une nécessaire circulation