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Des profils spécifiques derrière « les » supporters

temps des supporters

3.2.2 Les supporters comme standard sportif ?

3.2.2.2 Des profils spécifiques derrière « les » supporters

En fait, pour L’Equipe, la reconnaissance d’un supportérisme en tant que phénomène social observable et d’une catégorie générique « les » supporters, ne signifie pas l’absence de sous-ensembles plus ou moins identifiables au sein de cette catégorie. De la même façon des catégories autres que « supporters » qui avaient été construites dans les périodes précédentes ont encore cours, mais plus occasionnellement.

Ainsi, les vocables « spectateurs », « publics », « audience », « chambrée », « assistance » (…) peuvent-ils encore être employés, tout comme les mots renvoyant à l’âge, au sexe ou au lieu de résidence (les Toulousains, les Stéphanois, les Marseillais, ou encore les Lorrains, les Bretons…), autrement dit des vocables ayant une fonction « englobante » et permettant en outre, de façon très pragmatique, de varier le vocabulaire dans les articles afin d’éviter la répétition du terme « supporter ». Ces termes sont alors de simples « ornements » du discours. Les « curieux » sont toujours présents, comme s’ils traversaient toutes les époques, mais ils sont sinon moins nombreux, du moins peu représentés par L’Equipe.

Il est plus intéressant car cela renvoie à des discours et à des pratiques qui circulent dans la configuration médiatico-sportive, de se pencher sur la caractérisation et l’usage par

L’Equipe des profils de supporters, et plus particulièrement de certains d’entre eux,

souvent en lien avec des préoccupations commerciales.

Le hooligan dont on ne veut et pour lequel on ne trouve plus désormais de « circonstances atténuantes » et l’ultra qui fait peur car il est peu contrôlable ont un point commun, outre le rapport à la violence que nous analyserons dans le dernier paragraphe de cette section : ils doivent être éloignés des stades ou à tout le moins mis à l’écart à l’intérieur de sorte que l’on puisse leur appliquer des dispositifs spécifiques. Il s’agit tout autant de contrôler les débordements que de rassurer les supporters « pacifiques » (ce terme revient de façon récurrente) ainsi que les « nouveaux publics » que l’on cherche à attirer. Ces opérations s’effectuent sous une bannière bien commode et très vendable : redonner à ce sport son image populaire au bons sens du terme.

193 En fait, comme le souligne Bromberger le hooligan et l’ultra sont perçus comme des « obstacles sur le chemin d’une standardisation managériale et commerciale du

spectacle sportif » (Bromberger, 1998, 110). Il faut donc les gérer en conséquence, en

combinant des mesures coercitives avec des mesures d’ordre économique et financier, sur le modèle du football anglais. En augmentant sensiblement le prix des places et en généralisant la technique de l’abonnement, les dirigeants entendent -avec l’appui de la plupart des médias- décourager les spectateurs à faible pouvoir d’achat, ceux-là mêmes qu’ils accusaient de ternir l’image du football. Ce faisant, ils portent atteinte à la dimension populaire du football au profit de spectateurs qui peuvent payer le prix de leur sécurité.

On relèvera, bien qu’il soit absent de notre corpus, l’existence d’un profil particulier de supporter apparu au début des années 2000 et parfois surnommé par dérision « footix », notamment par d’autres supporters qui le considèrent comme un pseudo-supporter en raison sa fidélité plus que douteuse. En effet, le footix est changeant : il a tendance à se proclamer du jour au lendemain supporter d'un nouveau club, principalement en raison des « bons » résultats de celui-ci, puis d’un autre dès que les résultats s’inversent. Les clubs cherchent à attirer un public sans doute plus aisé, mais également plus familial, dans un cadre plus accueillant et dans un univers dépourvu des formes de violence les plus socialement rejetées. Ainsi, dès la fin des années 1990, les dirigeants français et ceux de Lille et du PSG en particulier, à l’instar de leur homologues anglais, créent des centres de vie autour et dans les stades (brasseries, boutiques, jeux, concours…).

Le stade devient progressivement un lieu de vie où l’on passe du temps en famille et où les activités proposées dépassent le seul spectacle sportif, même si celui-ci reste encore l’élément central. Or qui dit famille, dit femmes et enfants, c’est-à-dire des catégories qui avaient soit déserté les stades en raison de la violence, soient qui n’y sont jamais venues.

La Coupe du monde de 1998 remportée par l’équipe de France sur le territoire français, très fortement médiatisée et souvent regardée en famille à la télévision est en général considérée comme un des tournants importants pour ces publics :

« Un véritable engouement familial s’observe pour le football après la Coupe du monde », (L’Equipe, 6 septembre 2000) ;

« Comme prévu, le public familial, ciblé par le club dès le début des années 2000, est au rendez-vous », (L’Equipe, 9 août 2010).

194 Les initiatives pour attirer ces nouveaux publics71 se répandent d’autant plus qu’elles « marchent » là où elles sont mises en œuvre et qu’elles sont popularisées et encouragées par toutes les instances du football :

« La Ligue de Football Professionnel a attribué à Toulouse un prix spécial du jury dans le cadre de son championnat de France des tribunes, lundi. La Ligue récompense des initiatives tarifaires à l'égard notamment des femmes et des jeunes. Par ce prix, elle se montre aussi sensible aux efforts du Président Olivier Sadran visant à faire du Stadium un lieu de vie festif et citoyen avant et après les rencontres du TFC. ‘Tout au long de la saison écoulée, les matchs au Stadium de Toulouse ont été l'occasion d'animations originales pour les supporters’ constate la LFP dans son communiqué. Toulouse a terminé la saison à la quatorzième place du ‘vrai’ championnat des tribunes, remporté par l'AS Saint-Etienne »,

(L’Equipe, 5 juin 2010).

Femmes et enfants sont régulièrement traités comme des supporters par L’Equipe et non comme de simples spectateurs, en tout cas quand ils en possèdent les attributs visuels (vêtements aux couleurs du club, peintures sur visage, comportements…) et sonores. Mais ce sont des supporters « décents » dont les bonnes pratiques permettent de renvoyer une image plus saine et plus lisse des supporters et du football. Mais il existe une autre catégorie que l’on ne peut pas véritablement présenter comme des supporters au sens que nous avons attribué à ce terme, mais qui a un comportement décent : les invités. Désireux d’attirer un public plus valorisant car composé généralement d’individus appartenant aux catégories supérieures, les dirigeants réservent un nombre grandissant de places (désormais autour de 15%) à des personnes triées sur le volet par les entreprises qui louent des loges, servant repas, petits fours et champagne. Le stade devient alors un lieu où il faut se rendre et, si possible, se montrer soit parce que l’on est soi-même une « personnalité », soit parce qu’on est vu en présence de personnalités. Il devient un lieu de pratiques ostentatoires.

En même temps qu’ils mettent de côté les supporters les plus virulents et les plus « populaires » pour en attirer d’autres plus « présentables », les clubs continuent à faciliter l’organisation de certains supporters en groupes officiels ou non-officiels, groupes

71

Parfois les clubs et L’Equipe utilisent le mot « jeunes ». Ce terme, sous sa forme substantivée ou adjective, désigne des individus dont l’âge physiologique et social reste imprécis et qui ont comme caractéristique d’être dans le viseur des actions de promotion mises en place par un club (Bonnet, Mignot, 2013).

195 auxquels ils donnent des facilités et qu’ils consultent sur des points divers (prix des abonnements, attribution de « quotas » de billets, occupation d’emplacements précis dans le stade, type d’animation des matchs…)72

. La plupart encouragent leur équipe mais ne s’opposent pas aux supporters avec lesquels ils peuvent entretenir des liens par Internet (ils fréquentent souvent les mêmes forums) ou en face à face, à l’occasion des rencontres auxquelles ils assistent. Ils ne doivent donc pas être confondus avec les hooligans ou les ultras qui, eux aussi, fonctionnent en groupes73.

« La communauté phocéenne appelle au calme face à l'arrestation de Santos74 », (L’Equipe, 23 juin 2010) ;

« Le club de supporters marseillais invite par ailleurs le public du Vélodrome au calme mardi soir (20h45), lors du match de Ligue des Champions face à l'Athletico Madrid », (ibidem).

Ces différents types de supporters construits par L’Equipe, plus ou moins en phase avec les représentations qui circulent dans le milieu du football à l’heure de sa mondialisation, montrent bien toute la complexité des représentations ainsi que les tensions et les évolutions qui peuvent exister dans la définition du supportérisme. Il nous reste encore à examiner comment la mondialisation travaille les identités collectives et renforce, dans un apparent paradoxe, les représentations communautaires.