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L’expression d’une « condition insuffisante »

2. Vers une sémantique de la construction avec aunque

2.3.4. L’expression d’une « condition insuffisante »

Le fait que, comme la notion de « cause », la notion de « condition » suppose une antériorité notionnelle, explique que beaucoup d’auteurs aient aussi recours à cette notion pour rendre compte de la relation concessive. L’un des premiers fut James E. Algeo188, qui parle d’une « unexpressed assumption » formulée en ces termes : « if A ; then normally B ». Selon cet auteur, toute construction concessive implique une condition de validité générale en indiquant, en même temps, que cette condition est insuffisante. S’il est vrai que la sémantique de la concession est proche de celle de la condition, il est néanmoins difficile d’admettre que toute construction concessive reconnaisse une condition de validité générale. Il y a en revanche tout lieu de penser que cette explication répond au besoin de rendre compte de la relation sous-jacente à toute

187 M. C. Garrido Rodríguez, « Gramaticalización y marcadores del discurso: los contraargumentativos », Estudios humanísticos.

Filología, nº 28, 2006, p. 9-26.

188 J. E. Algeo, « The concessive conjunction in Medieval Spanish and Potuguese; its Function and Development », Romance

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construction concessive, relation qui ne peut pas être toujours formulée au moyen d’une construction conditionnelle, bien qu’elle se fonde sur le même mécanisme logique que celle-ci. L’expression d’une « condition inopérante »

Comme cela a été dit, dans l’Esbozo de una nueva gramática de la lengua española, les académiciens soutiennent que la proposition concessive exprime une objection ou une difficulté qui n’empêche pas la réalisation de ce qui est « dit » dans la proposition principale. Cet obstacle inefficace est perçu par les auteurs comme une « condición inoperante », raison pour laquelle ils affirment que les concessives et les conditionnelles ont des significations apparentées : « Es como una condición que se considera desdeñable e inoperante para la realización del acto. Las oraciones concesivas tienen, por consiguiente, semejanza de sentido con las condicionales »189. S’il est vrai que ces deux constructions présentent des caractéristiques sémantiques proches, cela ne constitue pourtant pas un argument pour affirmer qu’une proposition concessive est une condition qui n’a pas d’effet. Voici un exemple qui le fait ressortir :

(B 64) Te considera muy inteligente, casi una superdotada, aunque eso ya lo sabíamos.

(p. 243)

Cette construction ne permet pas de poser que « Si ya lo sabíamos » alors « no te considera inteligente ». En d’autres termes, le fait que l’énonciateur sache que Beatriz est intelligente ne constitue nullement une condition qui détermine l’avis d’autrui sur ses capacités intellectuelles.

L’expression d’une « anticondition »

Dans leur étude consacrée au subjonctif, El subjuntivo. Valores y usos, Julio Borrego Nieto, José J. Gómez Asencio et Emilio Prieto de los Mozos190 différencient ce que le sujet

189 Op. cit., p. 557.

190 J. Borrego Nieto, J. J. Gómez Asencio et E. Prieto de los Mozos, El subjuntivo. Valores y usos, Madrid, Sociedad General Española de Librería, 1990 (4e éd.) [1986].

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parlant perçoit lorsqu’il emploie une proposition concessive de ce qui est proprement exprimé par la concessive :

Es creencia compartida por la mayoría de los hablantes (o al menos por el hablante y su interlocutor en ese momento) que B representa un impedimento o un obstáculo para el cumplimiento de A; no obstante, A – a pesar de B – se cumple. Podríamos decir que B representa una anticondición para A, es decir, que normalmente si de se da B no se da A; en las oraciones concesivas se resta poder a la anticondición, se le niega la validez a B y se dice que A se cumple (se cumplirá, se cumplió…) a pesar de la actuación de B191.

Malgré la volonté des auteurs de fonder leur explication sur une analyse proprement linguistique, elle se révèle à nouveau inadéquate. D’après eux, dans une construction du type « aunque B, A », B constitue une anticondition, du fait que B implique la négation de A. L’exemple fourni « Aunque estoy enfermo, trabajo » est interprété par les auteurs comme suit : « Se entiende que B (estar enfermo) es obstáculo o impedimento para el cumplimiento de A (trabajar), es decir, que normalmente si se da B –si alguien está enfermo– se da no A –no trabajar »192. Or, s’il est vrai que la construction dont il est ici question permet d’être paraphrasée au moyen d’une construction conditionnelle, toute construction avec aunque ne permet pas cette paraphrase. Tel est le cas de l’exemple suivant :

(B 65) Pero tiendo a creer, quiero creer, que aunque nacemos con unas cartas dadas está

en nuestra mano cómo jugarlas. (p. 246)

Cette construction du type A aunque B ne permet pas de poser que « Si nacemos con unas cartas dadas » alors « no está en nuestra mano cómo jugarlas ». Il est donc difficile d’accepter que le terme B, « nacemos con unas cartas dadas », représente une anticondition. « Une phrase conditionnelle »

Dans la Grammaire espagnole de Jean Bouzet193 les propositions concessives figurent dans le chapitre consacré à la phrase conditionnelle. Certes, comme il a été déjà signalé, la

191 Ibid., p. 69-70. 192 Ibid., p.70.

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sémantique de la concession est proche de celle de la condition, mais ce lien n’est pas un argument suffisant pour considérer la proposition concessive comme un type de phrase conditionnelle, car toute concessive n’exprime pas forcément une condition. De surcroît, cette grammaire n’offre aucune explication sur le lien entre la concession et la condition, pas plus que sur la relation instruite dans une construction « dite » concessive. Il y a seulement une différenciation entre celles qui portent sur un fait réel et celles qui portent sur un fait supposé ou douteux, distinction purement référentielle qui se révèle inefficace, car, ainsi qu’il sera expliqué dans le chapitre concernant la sélection modale, elle n’arrive pas à rendre compte du mode employé dans une proposition en aunque.

L’expression d’une « condition non suffisante »

Dans le chapitre que S. Rodríguez Rosique consacre au « Significado de una expresión concesiva », elle soutient que l’idée de contraste d’une concessive provient du fait qu’elle contredit une implication causale présupposée. L’auteur l’exprime en ces termes :

El significado contrastivo que caracteriza a las concesivas deriva del hecho de que contraviene una implicación causal presupuesta. Así, en una oración como:

(9) Aunque llueve voy a salir,

Se contraviene una implicación causal del tipo: (10) Si llueve, normalmente no se sale194.

Cette affirmation l’amène à situer les concessives dans l’axe de la causalité et à les définir au moyen du concept de « condition » :

[…] se puede ofrecer una definición de concesividad que, por un lado, recoja la intuición tradicional, (que detecta el carácter contrastivo), y, por otro, sitúe a las concesivas en el eje de la causalidad, junto a las condicionales y a las causales. En este sentido, en las construcciones concesivas, aunque siempre introduce una condición no suficiente (causa ineficiente, obstáculo superable o condición desdeñable) que contraviene una relación implicativa presupuesta195.

194 Op. cit., p. 164. 195 Op. cit., p. 179.

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Il faut d’abord objecter à ces lignes que le fait de situer la relation concessive dans l’axe de la causalité répond à nouveau à une analyse purement phénoménologique. D’autre part, il faut signaler que la notion de « condición no suficiente » n’intègre pas celles de cause ou d’obstacle, comme le laisse entendre la parenthèse de cette citation. Cet amalgame terminologique laisse transparaître une confusion notionnelle qui pousse à rechercher dans une autre perspective ce qui caractérise le sémantisme d’une construction avec aunque.

L’expression d’une « condition contrariée »

Dans la NGLE les académiciens soutiennent toujours que les constructions concessives intègrent une relation conditionnelle :

En las oraciones concesivas no se cumple esta relación causal, pero se contraría en ellas un supuesto que se puede formular con una condicional. Así en la oración Aunque se lo explicaron muy bien, no lo entendió se contraría la expectativa que se infiere de la oración condicional Si algo se explica bien, se entiende196.

On peut objecter à ces lignes l’incohérence de détacher la causalité de la concession197 et de continuer à la relier à la condition, relation qui comme celle établie entre un effet et une cause est basée sur une analyse essentiellement phénoménologique. S’il est vrai que l’exemple fourni par cette grammaire permet une paraphrase conditionnelle, cela n’est pas toujours possible. Tel est le cas de l’exemple suivant :

(B 63) Primero estuve en un hospital, no demasiado tiempo, me parece, aunque lo

cierto es que no recuerdo gran cosa. (p. 287)

Cette construction ne permet pas effectivement de supposer que « Si lo cierto es que no recuerdo gran cosa » alors « no estuve en un hospital ». Autrement dit, le fait que

196 Op. cit., p. 3535.

197 Bien que dans cette citation les académiciens reconnaissent que « en las oraciones concesivas no se cumple esta relación causal » quelques pages plus loin ils disent le contraire : « en Aunque no me han otorgado el crédito, ampliaré la casa se habla, como en los casos examinados en los apartados anteriores, de una condición inoperante o de una causa ineficaz » (p. 3543), analyse basée, comme il a été déjà expliqué, sur une observation purement phénoménologique.

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l’énonciateur ne se rappelle pas grand-chose ne constitue nullement une condition qui détermine son séjour à l’hôpital.

Pour appuyer leur position les académiciens ont recours à l’argument suivant : « Las equivalencias entre aun si y aunque se han manejado repetidamente para apuntar que cabe concebir las prótasis concesivas como construcciones complejas que pueden contener condicionales como uno de sus componentes »198. Dans la perspective théorique adoptée dans le présent travail, ces équivalences ne permettent pas de montrer qu’une construction concessive intègre une relation conditionnelle, car ce qui est « dit » par aun si et aunque n’est visiblemente pas la même chose.

2.3.5. Conclusions

Les propositions explicatives présentées dans cette section se fondent toutes sur une analyse purement référentielle, autrement dit, leurs approches sont centrées sur le référent, sur ce à quoi les constructions dites « concessives » renvoient dans la réalité extralinguistique et non sur ce qui les caractérise en langue. S’il est vrai qu’une proposition en aunque peut évoquer un obstacle inopérant, une cause inefficace ou une condition insuffisante, cela n’est pas toujours le cas. Ces trois définitions sont de ce fait insuffisantes. Dans le présent travail, la perspective adoptée sera justement de type contraire : faisant abstraction des multiples capacités référentielles de ces structures, afin d’éviter de prendre la langue pour la réalité, on tentera de décrire ce qui caractérise une construction avec aunque dans le système de la langue, car, on considère, comme le fait remarquer G. Luquet, que la tâche du linguiste est de décrire des représentations plus générales et abstraites que les situations d’expérience qu’elles permettent d’évoquer :

La tarea del lingüista, cuando describe las unidades significantes de una lengua, consiste pues en describir significados, y no capacidades referenciales. Consiste en describir representaciones más generales y abstractas que los objetos o las situaciones de experiencia que permiten evocar, mucho más generales y abstractas, incluso, que las representaciones que caben en la conciencia lingüística –las que informan la competencia– de los hablantes199.

198 Op. cit., p. 3542. 199 Op. cit., 2004, p. 27.

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