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Une étiquette plus appropriée : « interordonnée bipolaire »

Dans une étude intitulée Cláusulas y oraciones, Guillermo Rojo74 passe en revue le classement traditionnel des différents types de propositions afin d’offrir une nouvelle typologie plus cohérente et adéquate. Selon cet auteur, le fait que la tradition ne reconnaisse que deux types de relations syntaxiques entraîne des inexactitudes importantes :

El reconocimiento de únicamente dos relaciones sintácticas posibles, la coordinación y la subordinación, ha provocado […] la situación entre las que poseen relación de subordinación de un tipo de cláusulas que en modo alguno pueden considerarse subordinadas a la supuestamente principal, sino que están en relación de interdependencia o interordinación con ella. Por la misma razón, pero en sentido contrario, las cláusulas entre las que no se puede detectar una relación de subordinación clara han sido incluidas entre las coordinadas75.

Bien que l’auteur n’offre aucune énumération précise, on peut déduire de ses commentaires et exemples que les constructions en cause sont les causales, les concessives, les consécutives et les conditionnelles, mais aussi les adversatives, traditionnellement considérées comme coordonnées. G. Rojo propose de les nommer « bipolares », terme qu’il définit comme suit : « [aquellas oraciones] en cuyo interior se da una relación de interordinación entre las cláusulas que normalmente las constituyen »76. L’auteur explique ce qu’il entend par « interordinación »77 en ces termes : « Ambas cláusulas se exigen mutuamente (lo cual es independiente del hecho de que una de ellas podría aparecer aislada sin alteración de forma, que es lo que tiene en cuenta la teoría tradicional) »78. Autrement dit, selon G. Rojo, le fait que le membre sans relateur puisse apparaître de façon isolée ne signifie pas qu’il n’y ait pas de relation d’interdépendance. L’affirmation selon laquelle les constructions bipolaires sont constituées de propositions interdépendantes ne fait pas pourtant l’unanimité. Partant du fait que « por lo que se refiere a condicionales, concesivas y, con mayor evidencia, adversativas, nadie ha puesto en duda la posibilidad de aparición aislada de una

74 G. Rojo, Cláusulas y oraciones, Santiago de Compostela, Universidade de Santiago de Compostela, 1978.

75 Ibid., p. 108-109. 76 Op. cit., p. 108.

77 Bien qu’ils coïncident sur l’essentiel, G. Rojo préfère le terme « interordinación » à celui de « interdependencia », formulé par la glossématique, parce qu’il garde un paraléllisme avec « coordinación » et « subordinación ».

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de las cláusulas, la considerada habitualmente como principal », Antonio Narbona Jiménez79 soutient que les bipolaires n’établissent pas une relation d’interdépendance entre leurs membres, mais une relation de dépendance unilatérale qu’il dénomme « determinación ». Or, s’il est incontestable que la proposition introduite par aunque peut être supprimée, cela n’implique pas pour autant que la proposition sans relateur ne dépende pas de celle-ci. En d’autres termes, le fait qu’une construction telle que « Aunque llueve, salgo » permette la suppression de la proposition « aunque llueve » sans donner lieu à une construction agrammaticale ne signifie pas que la proposition « salgo » n’entretienne aucun lien sémantique avec ladite proposition. Bien au contraire, dans la construction « Aunque llueve, salgo » la déclaration /llover/ dépend de la déclaration /salir/ et vice versa, la déclaration /salir/ dépend de la déclaration /llover/. Juan Antonio Moya Corral80 explique l’interdépendance dont il est lieu ici en ces termes : « Existen determinadas estructuras de pensamiento en las que las ideas se relacionan de un modo integrado o complementario. A este tipo de relación muy conexa es a la que responden […] las construcciones interordinadas »81. C’est dans le même sens que s’expriment les académiciens dans la NGLE :

[…] entre los componentes de los períodos concesivo y condicional se establece una relación de INTERDEPENDENCIA, en el sentido de que ninguno de los miembros puede ser suprimido sin alterar el significado del conjunto, o incluso comprometer la agramaticalidad de la construcción82.

Par conséquent, il sera soutenu dans ces pages, à l’instar de G. Rojo, que les constructions avec aunque sont constituées de deux éléments sémantiquement interdépendants, relation qui détermine leur statut syntaxique. La cohérence de cette approche explique que la dénomination de « bipolaires interordonnées » ait été majoritairement très bien reçue par la communauté linguistique. En effet, nombreux sont les auteurs qui l’approuvent et l’intègrent dans leurs descriptions. L’un d’eux est María Helena Cortés Parazuelos83. Cet auteur considère

79 A. Narbona Jiménez, « Sobre las oraciones bipolares », Alfinge, 1, 1983, p. 121-139.

80 J. A. Moya Corral, Los mecanismos de la interordinación: a propósito de « pero » et « aunque », Granada, Universidad de Granada, 1996.

81 Ibid., p. 97. 82 Op. cit., p. 3530.

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qu’il s’agit de la terminologie la plus adéquate parmi celles qui ont été employées jusqu’à nos jours, ce qui ne l’empêche pas toutefois de relever ses insuffisances :

Pese a que « el concepto de bipolaridad no se define con facilidad en términos sintácticos » y que « la existencia de función de interdependencia, lo que implica necesariamente la concurrencia de dos, y sólo dos, polos o miembros (…), no pasa de ser una mera condición para que pueda hablarse de estructura bipolar y no constituye marca positiva suficiente de identificación y, mucho menos, caracterización », nosotros hablaremos de bipolaridad concesiva, tanto sintáctica, como semántica, por parecernos la terminología más adecuada de las utilizadas hasta la fecha, y porque no es nuestra intención detenernos en este problema de clasificación y denominación de oraciones84.

S’il est vrai que la « bipolarité » syntaxique n’a pas été étudiée de façon très poussée, cette relation a été néanmoins bien définie : « bipolaire » se dit de toute construction propositionnelle constituée de deux pôles entretenant entre eux une relation d’interdépendance. Le fait que, comme le signale Mª. H. Cortés Parazuelos, cette interdépendance ne soit qu’une condition et ne constitue pas une caractéristique suffisante pour identifier une proposition concessive n’invalide pas la notion de « bipolarité » en tant qu’appellation syntaxique. Cela ne fait que montrer l’insuffisance de l’approche syntaxique et la nécessité d’une description plus approfondie de ce type de propositions.

Dans un souci d’approfondir la relation syntaxique qui nous occupe, J. A. Moya Corral consacre quelques pages à réfléchir à la notion d’« interordination ». Dans un premier temps, l’auteur détermine la différence entre la relation de coordination et la relation d’interordination au moyen d’une caractéristique qui définit positivement les membres de la première et négativement ceux de la deuxième : « los miembros coordinados pueden alterar su posición sin que cambie su función o, lo que es lo mismo, los miembros coordinados no adquieren un valor especial por su posición con respecto al nexo »85. Cette valeur particulière acquise par les membres d’une construction interordonnée est preuve de la relation étroite qui s’établit entre eux. Les conjonctions d’interordination ont ainsi le rôle de marquer, au moyen de la position qu’elles occupent dans l’énoncé, la valeur des membres qu’elles relient. Autrement dit,

84 Mª. H. Cortés Parazuelos, « “Inhibición” o “indiferencia”: Rasgo común a expresiones de sentido concesivo », Revista de Filología

Románica, 10, 1993, p. 112. 85 Op. cit., p. 37.

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elles informent sur la façon d’interpréter la relation qu’elles instruisent. J. A. Moya Corral l’exprime en ces termes :

[…] las conjunciones de este tipo cumplen un doble cometido: en primer lugar, definen la relación que existe entre los dos segmentos que conectan (condicionalidad, concesividad, adversatividad) y, en segundo lugar, indican el valor que le corresponde a cada miembro de la relación, a fin de que dicha relación pueda ser interpretada correctamente86.

La conjonction est effectivement, comme le signale J. A. Moya Corral, le point central d’une construction interordonnée et son emplacement est sans doute déterminant, car il attribue une valeur spécifique à chaque membre. Il est donc pertinent, comme le fait l’auteur, de nommer les membres qu’elle relie par sa présence ou son absence. J. A. Moya Corral parle de « miembro conjuntivo » et « miembro no conjuntivo », terminologie que l’on adoptera dans ces pages pour sa simplicité et sa clarté.

Après avoir déterminé la différence entre coordination et interordination, J. A. Moya Corral se propose de distinguer la structure subordonnée de la structure interordonnée. Si dans une relation de coordination la position des deux membres est libre, dans une relation de subordination le relateur est étroitement lié à l’un des membres. Une structure subordonnée s’apparente de la sorte à une structure interordonnée, car dans ces dernières le relateur introduit aussi l’un des membres. Cela amène J. A. Moya Corral à affirmer qu’il existe un parallélisme formel entres les constructions subordonnées et les interordonnées. Mais cette ressemblance est purement formelle, car le relateur d’une structure interordonnée ne détermine jamais une relation de dépendance. L’auteur illustre cette différence au moyen des schémas suivants :

Subordinación A← B

A ← nexo ← B Interordinación M1 ← nexo M287

L’interordination est ainsi, à la différence de la subordination, une relation qui n’implique pas une relation de dépendance, mais d’interdépendance. Pour J. A. Moya Corral : « si

86 Op. cit., p. 38. 87 Op. cit., p. 40.

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desaparece uno de los miembros, desaparece toda la estructura; es más, si se elide uno de los miembros, se altera en gran medida el valor nocional del miembro que permanece »88. En effet, à la différence d’une relation de subordination, au sein de laquelle une proposition complémente l’autre, une relation interordonnée suppose la complémentarité des deux propositions. Cela implique qu’elles ont un même statut syntaxique et que leurs fonctions syntaxiques sont hiérarchiquement égales. Dans une étude intitulée « Adversatividad, concesión, restricción: relaciones lógicas y sintácticas », Francisco Hernández Paricio89 soutient qu’il s’agit d’une relation « con dos cláusulas en el nivel más alto, cada una de las cuales desempeña una función en el interior de la oración, sin que dicha función sea indiferentemente cumplida por cada una de las cláusulas »90. L’auteur propose le schéma suivant pour illustrer son explication91 :

La difficulté apparaît lorsqu’on essaie de déterminer la fonction que les interordonnées sont censées accomplir. A. López García constate cette difficulté :

El problema es si tal complementariedad puede ser caracterizada como noción funcional: aparte de definición lógica en términos de interordinación o interdependencia, la cual desborda incluso el ámbito del lenguaje, no parecen existir razones gramaticales que den cuenta de esta propiedad92.

Malgré la difficulté de trouver une fonction syntaxique qui rende compte du rôle accompli par les membres d’une construction « bipolaire interordonnée », cette dénomination est

88 Op. cit., p. 41.

89 F. Hernández Paricio, « Adversatividad, concesión, restricción: relaciones lógicas y sintácticas », in M. Iglesias Bango (coord.),

Gramma-Temas 2, León, Universidad de León, Centro de Estudios Metodológicos e Interdisciplinares, 1997, p. 157-229. 90 Ibid., p. 196.

91 Ibid., p. 201. 92 Op. cit., p. 3539.

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profitable en raison de sa capacité descriptive et de sa lisibilité. En ce qui concerne la construction avec aunque, elle rend parfaitement compte de ses deux caractéristiques principales, à savoir, son caractère binaire et l’étroite relation qui s’établit entre les deux membres qui la constituent. Cela explique que l’étude de Susana Rodríguez Rosique93, l’une des plus approfondies qui aient été publiées ces dernières années, intègre aussi cette dénomination. L’auteur affirme sans hésitation : « por lo que se refiere a su estatus sintáctico, es cierto que pueden entenderse como construcciones bipolares o interordinadas »94.

1.5. Conclusions

Le fait que la description syntaxique proposée dans ces pages s’accorde parfaitement avec la lecture que Jean-Claude Chevalier, Michel Launay et Maurice Molho,95 font de la matérialité du signe aunque a été l’argument déterminant pour intégrer dans le présent travail l’étiquette proposée par G. Rojo. Dans l’article que ces auteurs consacrent au signifiant aun/aunque, ils affirment : « la formation de aun en espagnol est indissociable de sa fonction unificatrice qui est de fonder l’image de l’unité sur une dualité originelle transgressée et de ce fait déchue »96. Force est de constater que les deux caractéristiques sur lesquelles se fonde cette étiquette se trouvent déjà inscrites dans le signifiant aunque : d’une part, la fonction unificatrice de ce relateur, qui est de fonder l’image de l’unité sur une dualité originelle, explique l’interdépendance des éléments unifiés ; d’autre part, le fait que cette fonction unificatrice se fonde sur une dualité originelle justifie le caractère binaire de la construction. En somme, l’étiquette « interordonnée bipolaire » ne décrit pas seulement de façon plus adaptée le statut syntaxique d’une proposition en aunque, elle a aussi l’avantage de se voir corroborée par une lecture de la matérialité de ce relateur.

93 S. Rodríguez Rosique, Pragmática y gramática. Condicionales concesivas en español, Frankfurt am Main, Peter Lang, 2008.

94 Ibid., p. 202.

95 J.-C. Chevalier, M. Launay et M. Molho, « De la concession en espagnol. Le signifiant AUN/AUNQUE », L’information grammaticale, 18, 1983, p. 3-8.

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