• Aucun résultat trouvé

II. La sélection modale dans la proposition en aunque

3. Le mode comme attitude modale

3.1. Les oppositions extralinguistiques

3.1.1. Indicatif « mode de la réalité » vs subjonctif « mode de la non-réalité »

3.1.1.7. Jacques de Bruyne

Dans sa Grammaire d’usage de l’espagnol moderne, J. de Bruyne met en doute l’explication de la grammaire traditionnelle :

Traditionnellement, il est dit que l’emploi de l’indicatif ou du subjonctif après cette conjonction [aunque] dépend de la façon dont la non réalisation de l’effet escompté est exprimée : en effet, le motif d’échec invoqué dans la subordonnée peut être présenté comme réel ou hypothétique. Des études spécialisées sur ce point, la plupart d’entre elles récentes, montrent toutefois que cette interprétation doit être nuancée. Dans cet ordre d’idées, on prendra particulièrement garde aux remarques suivantes :

L’emploi de l’indicatif implique toujours l’existence d’une raison RÉELLE qui s’oppose à l’action exprimée par le verbe principal (une difficulté ou un obstacle), ce qui n’exclut nullement que la construction avec aunque + subjonctif puisse introduire un obstacle réel (voir exemple d)469.

467 Op. cit., p. 459-459. 468 Op. cit., p. 459.

163

Cette grammaire est ainsi la seule, parmi les grammaires destinées à un public francophone incluses dans cette étude, qui admette qu’une construction avec aunque + subjonctif peut introduire un obstacle réel. La sélection modale opérée dans une proposition en aunque dépend, d’après cet auteur, du sens que le locuteur donne à la conjonction :

L’usage de l’un ou de l’autre MODE dépend du sens que le locuteur donne à la conjonction aunque.

S’il s’agit d’exprimer une antithèse, le verbe qui suit est à l’indicatif. On a alors en fait affaire à deux propositions COORDONNÉES ; ce faisant, la proposition, introduite par aunque est considérée comme la plus importante ou tout au moins aussi importante que la partie de la phrase qui de façon superficielle peut apparaître comme principale.

Si par contre aunque a une valeur de concession, la conjonction est suivie d’un verbe au subjonctif, mais dans une proposition SUBORDONNÉE qui exprime un contenu secondaire. Souvent, on observe une similitude très forte entre les propositions concessives et les subordonnées conditionnelles470.

Cette affirmation est néanmoins criticable. L’usage de l’indicatif ou du subjonctif ne peut pas dépendre du sens que le locuteur donne à la conjonction, car le signifié de aunque est toujours le même. Dans l’article « De la concession en espagnol. Le signifiant AUN/AUNQUE », J.-C. Chevalier, M. Launay et M. Molho affirment à ce propos : « Le vrai est donc que aunque indifférent à la variation modale, unifie toute espèce de dualité, notionnelle ou autre, qu’on lui proposera : todo es uno »471

. Dans le même sens, A. Veiga et M. Mosteiro Louzao soutiennent : « en el caso de las construcciones con aunque el significado concesivo de la conjunción no sufre alteración »472.

Il est certain que, lorsque le segment introduit par aunque est argumentativement le plus fort, c’est-à-dire lorsque aunque instruit une relation adversative, on utilise généralement l’indicatif. Mais, une proposition en aunque peut également se construire à l’indicatif lorsqu’elle instruit une relation concessive. Par conséquent et en désaccord avec l’auteur, le mode ne peut pas se justifier par la force argumentative du segment introduit par ce relateur. Autrement dit, la sélection modale dans la proposition en aunque ne peut pas s’expliquer par la relation mise en place par ce relateur.

470 Op. cit., p. 511-512. 471 Op. cit., p. 8. 472 Op. cit., p. 111.

164

L’affirmation de la troisième remarque : « Du point de vue pratique, on retiendra que la conjonction aunque est apparemment plus souvent suivie du subjonctif que de l’indicatif » demande une vérification par des données objectives. Quoi qu’il en soit, la raison de l’emploi du subjonctif ne peut pas reposer sur le simple fait que le locuteur veuille donner à la conjonction aunque une valeur concessive. La justification de cet emploi, pour qu’elle soit motivée, doit être basée sur ce que les formes subjonctives « disent » dans le système de la langue.

L’explication de cette grammaire s’achève sur plusieurs exemples commentés :

a. Aunque me ha ofendido profundamente, sabré perdonarle (Esbozo, 557). Bien qu’il m’ait offensé profondément, je saurai lui pardonner. Ici, on insiste sur la RÉALITÉ de l’offense subie.

Le sens est : je vais certes lui pardonner, MAIS cela ne change rien au FAIT qu’il m’a profondément offensé473.

Cette « insistance » dont parle J. de Bruyne n’est au fait qu’un effet de sens permis par la valeur propre que cette forme verbale présente dans le système de la langue.

b. Solucionado el conflicto de Segema, aunque habrá huelga (titre du journal Diario 16, édition Málaga, 13-08-1993, 7)

Le conflit de la Segema a été résolu, pourtant, il y aura grève.

Il existe un certain contraste entre la première partie de cette phrase, qui pourrait être précédée de a pesar de (« malgré ») et la seconde, où l’on pourrait avoir pero (« mais »)

De plus, le futur habrá lève toute ambiguïté sur la date de la grève, alors que le subjonctif haya, du fait de son indétermination chronologique, pourrait signifier aussi bien que la grève est déjà en marche474.

Cet aunque peut certes être interprété comme « adversatif », car il introduit le segment argumentativement le plus fort sa postposition obligée et la pause en sont les signes , mais l’emploi de l’indicatif ne peut pas se justifier par cette seule valeur discursive, car cette proposition peut aussi, comme le reconnaît l’auteur lui-même, se construire avec une forme subjonctive : « Solucionado el conflicto de Segema, aunque haya huelga ». Il semble donc qu’au-delà de la plus grande précision temporelle du futur par opposition à l’indétermination

473 Op. cit., p. 512. 474 Op. cit., p. 512.

165

chronologique du présent du subjonctif, c’est une représentation linguistique différente qui est à la base de cette alternance modale.

c. Aunque te quedes solo en el mundo, siempre tendrás a tu madre para hacerle confidencias (C. FUENTES, La región más transparente, cité dans l’Esbozo, 558).

Même si tu es seul au monde, tu auras toujours ta mère pour que tu puisses te confier à elle.

La proposition introduite par aunque est moins importante par rapport à ce qui est dit dans la principale. La concessive a ici à peu près le même sens qu’une proposition conditionnelle introduite par si : (incluso) si te quedas solo… que nous avons traduit en français par : « même si…»475.

La proposition introduite par aunque constitue certainement l’argument faible et son sens est sans doute proche d’une proposition conditionnelle introduite par si, mais aucune des deux observations n’explique l’usage du subjonctif.

d. Aunque sea mi hijo le castigaré (C. HERNÁNDEZ, Sintaxis española, 271) Même si c’est mon fils, je le punirai.

L’essentiel de ce qui est dit ici, c’est que quelqu’un, le fils en l’occurrence, doit être PUNI. Face à cette réalité, le fait que cette personne soit mon fils apparaît secondaire.

La même phrase avec le verbe à l’indicatif (aunque es mi hijo…) présenterait les choses tout différemment d’un point de vue affectif ; je le punirai, certes, mais je ne peux oublier qu’il s’agit de mon fils, et la charge émotive est radicalement différente : cela me fera mal476.

D’après cette grammaire le fait exprimé par la proposition introduite par aunque est « secondaire » si elle est au subjonctif, affirmation difficile à cautionner, car à l’indicatif le fait d’« être le fils de » est également secondaire. La raison qui permettrait de le considérer comme secondaire serait que ce fait constitue un argument faible, l’argument fort étant la volonté de punir. En outre, il faut rappeler que aunque peut aussi introduire l’argument fort, ce qui est justement le cas de le aunque dit « adversatif », contexte discursif où l’on peut aussi trouver une forme subjonctive. Par conséquent, l’affirmation selon laquelle une proposition en aunque au subjonctif fait référence à un fait secondaire est irrecevable. Quant à l’explication de l’emploi de l’indicatif, elle semble aussi contestable, car une charge émotive différente n’est qu’un effet de sens imprécis et absolument subjectif qui ne justifie nullement la valeur propre d’un mode.

475 Op.cit., p. 512. 476 Op. cit., p. 512.

166