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l’enseignant en classe de langue

1.2.2. L’explication et l’argumentation

Raccah (2005 : 200) prétend que toute explication est une argumentation et rejoint ainsi Baker (1994). Ce dernier estime que dans un dialogue argumentatif, chaque participant est amené à expliciter les raisonnements sous-jacents à son diagnostic (médical, dans son contexte de recherche), très souvent pour le défendre. Il parle d’un premier sens du terme « explication ». De notre point de vue, Baker tend à confondre justification (« expliciter les raisonnements ») avec argumentation (« défendre un diagnostic ») et explication (« faire comprendre » qui est le deuxième sens proposé par Baker). La différence première entre explication et argumentation est

67 qu’argumenter a communément pour objectif de faire adhérer à un discours grâce à des techniques de communication. Le discours explicatif de l’enseignant en classe de langue n’essaie pas d’influencer l’apprenant mais présente un discours qui se veut à dominante objective (Halté, 1987 ; 1989). La difficulté sera d’arriver à identifier chaque type de discours car leurs démarches s’interpénètrent. Ainsi, « dans la polémique, ce qui peut être une explication pour l’un (objectivante, didactique), devient argumentation pour un autre (point de vue intéressé, justification ad hominem ou apologie) » (Borel, 1980 : 21). Par conséquent, c’est la situation de communication et la définition des rôles des interlocuteurs qui permet de distinguer ces deux genres discursifs.

L’argumentation peut pourtant utiliser les marques énonciatives explicites qui servent habituellement l’explication. Dire « je vais vous expliquer que… » pour, en fait, argumenter dans un sens précis est une pratique courante. Il peut y avoir une interaction symbolique entre les énoncés purement explicatifs et l’effet pragmatique voulu (Borel, 1980 : 28). Néanmoins, l’objectif principal de l’explication n’est pas de servir de support à l’argumentation. Elle définit normalement la position des locuteurs (celui qui explique en sait plus que l’autre) et les choses dont il parle (en déployant une intelligence objective). C’est une sorte de norme intériorisée reconnue par l’interlocuteur. « Toutefois, si la réalité de l’explication n’est pas d’essence polémique, puisque sa reconnaissance suppose celle de l’autorité de celui qui parle, cela ne signifie pas que sa pratique ne le soit pas » (Borel, 1980 : 29). La propriété du discours explicatif est qu’il est discours d’autorité, légitime mais sa fonction sociale peut aussi être d’argumenter. Ainsi, « supposer que la pratique du discours explicatif échappe à la polémique, c’est confondre ce qui règle la communication et ce qui détermine l’« instauration » de celle-ci dans une situation concrète de langage » (Ebel, 1981a : 31).

Dans le cadre scolaire, il peut y avoir amalgame entre « faire comprendre » et vouloir « faire adhérer à un propos ». La technique explicative peut être parfois difficilement discriminée de la technique argumentative. Il sera question, dans notre étude, de relever les discours qui tentent d’expliquer des mots de vocabulaire même s’ils se transforment en effet argumentatif. C’est une stratégie de discours mise au point par les enseignants qui a pour objectif principal de faire comprendre, par n’importe quel moyen. Comme ces derniers ne peuvent être contestés directement par leurs apprenants, de par leur statut, ils peuvent se permettre d’user d’argumentation.

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1.2.3. L’explication et la justification

L’explication et la justification tendent à être confondues comme nous l’avons vu avec Baker (1994 : 2). Vasseur parle même d’explication/justification (2004 : 2). Il nous semble assez maladroit d’associer ses deux types de discours dans le sens où ils n’ont pas les mêmes objectifs pragmatiques. Ils infèrent une position au locuteur et provoquent un effet discursif spécifique.

Lecomte (1981b : 35) s’attache à dissocier l’explication et la justification en fonction de la position du locuteur. Il pense qu’en expliquant, l’enseignant se fera témoin de son discours. Ses dires seront de l’ordre du vrai ou du faux, l’apprenant ne pouvant que s’accommoder aux choses, « [repère] son monde comme appartenant aux « mondes possibles » qui, en quelque sorte lui préexistent » (Lecomte, 1981b : 35). A l’opposé, la justification tenterait de rapprocher deux assertions, « l’une justifiant l’autre, c’est-à-dire devant la faire apparaitre comme vraisemblable, permise ou dicible à un interlocuteur quelconque » (idem). L’enseignant serait alors en position d’agent et assimilerait son point de vue au discours qu’il proclame. Deux idées intéressantes ressortent de cette analyse : la position du locuteur et l’effet discursif qui existe entre « dire » et « vouloir dire », l’un influant l’autre.

L’explication et la justification peuvent alors se rencontrer à l’identique dans leurs formes linguistiques (Ducrot, 1975, in Borel, 1981c : 6 & Lecomte 1981b : 42). Mais c’est au niveau pragmatique que ces discours se différencient par les rapports de force qu’ils engendrent. Chesny-Kohler (1983 : 65) explique que celui qui « fait comprendre » à son interlocuteur est en position forte, en position d’autorité parce qu’il détient le savoir. Elle parle, en reprenant les termes de Bourdieu, « d’une sorte de territoire délimité qui est sous la juridiction de celui qui, par sa compétence, est investi d’un capital symbolique d’autorité » (Chesny-Kohler, 1983 : 65). A contrario, celui qui doit se justifier voit son autorité et son territoire mis en cause.

De leur côté, Brassart & al. (1986 : 92) proposent de scinder les conduites explicatives en trois catégories : l’explication, la justification et l’autojustification.

69 L’explication se produirait dans le cas d’un changement d’hypothèse et expliciterait les éléments utilisés alors que la justification maintiendrait l’hypothèse tout en se plaçant dans le domaine de l’explicite. L’idée d’hypothèse est assez éloignée de la notion de capital symbolique d’autorité de Chesny-Kohler empruntée à Bourdieu et nous ne sommes pas tout à fait convaincue que ce terme d’hypothèse soit approprié. Néanmoins, cette vision de changement ou de maintien d’état est intéressante dans le sens où elle rend l’explication dynamique en l’opposant à la justification statique. L’autojustification serait, quant à elle, une sorte d’absence d’argument, une forme de « raisonnement tautologique » (Brassart & al., 1986 : 92) où n’apparaitrait ni élément d’explication ni justification explicite. Il ne serait question que d’un mouvement spiralaire, proche de la répétition.

L’explication et la justification traduiraient en revanche un « je-vérité » (pour reprendre le terme des auteurs) qui se voudrait être un « on-vérité », intégré par le destinataire. D’un point de vue énonciatif, suite à l’analyse des énoncés comprenant « je dis », Lecomte (1981b : 43-45) distingue un effet pragmatique entre expliquer et justifier. Pour lui, l’explication contient une sous-modalité performative et la justification renferme une sous-modalité informative.

Dans le premier cas, il appartient au locuteur de prouver sa valeur explicative à la lumière du vrai ou du faux. Dans le deuxième cas, le locuteur essaie de donner un sens aux assertions qu’il propose, un ordre subjectif des arguments. Ce sont les valeurs qui priment sur les faits (Borel, 1981c : 5-7). Et en regardant les places des locuteurs, il confirme que le locuteur d’une explication est témoin alors que le locuteur d’une justification est agent (propos rejoignant ceux de Borel, 1981a : 25 ; De Gaulmyn, 1991). Borel schématise ainsi sa pensée (1981b : 47) :

Modalité Comportement Résultat « Parce que »

Agent = informatif  justificatif

JE DIRE

Témoin = performatif  explicatif

On comprend bien que l’explication est objectivante (cf. Halté, 1987 : 6-9, 95 ; 1989 : 96, 99-100) alors que la justification serait subjectivement marquée. Lecomte

70 ajoute qu’expliquer est de l’ordre du vrai alors que justifier est de l’ordre du vraisemblable (198b : 44). Il faut nuancer ses propos car il est tout à fait possible de vouloir expliquer sans mauvaise foi ou sans preuve qu’ « un train a du retard parce qu’il y a eu un incident sur une voie alors qu’en fait, son retard est due à une autre cause ». Si le locuteur n’a pas eu les bonnes informations et qu’il explique à tort, sa parole ne pourra être remise en cause. Pourtant, son acte de langage reste bien une explication. En classe de langue, nous pouvons supposer que la justification sera absente des discours pédagogiques dans le sens où l’enseignant n’a potentiellement aucune raison d’avoir à se justifier face à des apprenants de par sa position hiérarchique et son devoir de transmission de connaissances.