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explicatives en classe de langue

1.3.3. Les enjeux didactiques

En outre, un apprenant peut identifier l’existence d’une explication lexicale sans la comprendre. Il faut alors regarder de plus près ce qui se passe entre les participants de l’interaction (Mondada & Pekarek Doehler, 2001, 2004 ; Pekarek Doehler, 2000 ; Seedhouse, 2004), surtout qu’il est question de rapports de force lorsqu’il y a explication. Car celui qui explique (l’enseignant) est en position de le faire et celui qui reçoit l’explication (l’apprenant) en sait moins que son interactant. Et il ne s’agit pas d’aller contre l’interlocuteur mais de mener un parcours discursif avec lui pour qu’il arrive à comprendre.

79 Pour constater la présence d’une explication, il faut regarder s’il y a une relation interactionnelle dans la classe. C’est ce qui différencie principalement l’explication de l’information. Et ce rapport est valable pour tout discours, textuel ou non. Le narrateur anticipera les feed-back des lecteurs comme le fait le locuteur face au destinataire d’un message. Il ne s’agit pas de signaler, d’indiquer des informations mais bien de faire découvrir, de faire comprendre. L’explication n’a de dessein que si elle envisage la compréhension du message, ce qui implique bien entendu qu’elle se conçoit par le biais d’autrui (présent ou non, interlocuteur ou lecteur).

Dans notre cas, il est question de classe d’enseignement de langue française. L’enseignant observe et analyse son public en permanence. Il réajuste ainsi son discours au fur et à mesure des interactions. Dans l’explication, l’enseignant propose un discours, les apprenants interprètent le message et renvoient des signaux à leur interlocuteur qui, à son tour, interprétera et réajustera au besoin son futur message. Le discours explicatif trouve ainsi sa place dans la classe. Il y a explication lorsque qu’il y a rupture de la compréhension (De Gaulmyn, 1986), celle-ci pouvant être manifestée de manière totalement implicite (par exemple perçue par l’enseignant sur le visage de ces apprenants) ou explicite (clairement énoncée par les élèves). Dès lors, le discours explicatif a pour objectif de mettre en avant le phénomène-obstacle, d’amener une nouvelle information et a pour enjeu définitif de rétablir la compréhension.

Mais l’enseignant est-il préparé à énoncer de tels discours ? Le champ du savoir expliquer (Schneuwly & Dolz, 1998 ; Nonnon, 1999) est inexistant comme si ce discours n’était qu’instinctif et ne relevait en rien d’un apprentissage conscient. Le postulat serait donc que tout le monde sait expliquer. Pourtant, la question de la compétence explicative se justifie pleinement. Il n’est pas aisé d’expliquer individuellement un terme à un groupe d’individus alors que ce terme fait l’objet d’un apprentissage singulier.

De plus, selon l’objet d’apprentissage, nous pouvons imaginer que les discours explicatifs varient quelque peu. La compétence explicative correspondrait pour Brassart & al. (1986 : 76) à une « capacité à sélectionner, mobiliser et articuler plusieurs (micro)-opérations cognitives et/ou langagières (…) dans le but d’expliquer ». Tout l’art

80 revient à l’enseignant qui sait gérer l’interaction verbale, évaluer le degré de compréhension de chaque apprenant en temps réel, ajuster son discours monogéré, pour ne laisser aucun participant dans le doute, tout en conservant un discours collectif. En outre, l’enseignant jongle entre un lexique difficile à expliquer qu’il doit s’approprier et le fait de transformer ce lexique en un discours interprétable pour les apprenants.

Cette transposition didactique (Chevallard & Joshua, 1985 : 39), c’est-à-dire « l’ensemble des transformations adaptatives qui vont rendre [le savoir à enseigner] apte à prendre sa place parmi les objets d’enseignement », tente de rendre enseignable des savoirs. Et cela passe par la mise en texte des savoirs qui sont décontextualisés et recontextualisés dans la sphère pédagogique pour devenir des objets d’enseignement (Py, 2005 ; 2007)1. Et la nature des savoirs en est certainement modifiée car les savoirs à enseigner répondent à des objectifs d’enseignement. Cela pose le problème de la réduction du savoir. Quand on simplifie le savoir à l’extrême, il ne reste plus rien à comprendre et la remise en contexte s’avère périlleuse. Mais parce que l’objectif n’est pas de proposer un discours explicatif parfait à une classe qui ne le comprend pas, mais bien de faire comprendre, assimiler et réutiliser des connaissances, et même si le discours explicatif semble de prime abord approximatif et peu convaincant, il ne doit être observé qu’au regard des résultats qu’il engendre. Dans tous les cas, les discours explicatifs sont réussis s’ils sont adaptés à la situation et aux interlocuteurs et pas seulement parce qu’ils ont une forme canonique.

Prendre en considération la classe dans son ensemble, c’est alors rendre compte des rôles de chacun dans l’interaction. « [Et] parce que le savoir expliquer fait intégralement partie du métier d’écolier et que l’excellence de ce métier est une condition évidente de réussite, le passage du discours explicatif comme moyen ordinaire d’enseignement/ apprentissage au statut d’objet d’enseignement revêt un incontestable enjeu » (Halté, 1988 : 3).

Une fois que les rôles sont bien déterminés dans la classe, l’enseignant peut proposer un « cahier des charges » qu’il convient, pour tous, de respecter. C’est, d’une part, prévoir ce qui peut poser problème aux apprenants et donc, ce qui peut originer une boucle explicative mais c’est aussi, d’autre part, imposer aux apprenants un rôle et

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81 des fonctions bien précises pour qu’ils soient actifs dans leurs apprentissages. Notamment, cela consiste à confronter les apprenants à des situations potentiellement difficiles et les accompagner pour dépasser ces obstacles afin de continuer à progresser. La tâche de l’enseignant en classe est alors délicate car l’apprentissage du lexique constitue les fondements des apprentissages linguistiques. C’est par le moyen lexical que les apprenants peuvent se servir de la langue et se l’approprier (Gaonac’h & Fayol, 2003 : 17-20). C’est une base non suffisante mais nécessaire pour commencer à parler (Cuq, 2004).

En classe de langue maternelle, l’apprentissage du lexique est valorisé principalement dans les travaux écrits (Schneuwly, 2004). Ce lexique est pourtant souvent appréhendé à l’oral en premier lieu par gain de temps. Ainsi, est-il demandé à l’apprenant natif (que nous avons observé) de savoir réutiliser des mots vus à l’oral en classe et de les intégrer dans des écrits qui peuvent être évalués scolairement (Dubois, 2004). Pour les apprenants de langue étrangère et seconde (que nous avons également observés), le lexique vu en classe servira non seulement à l’écrit mais aussi à l’oral. Les apprenants sont amenés à s’exprimer pour rendre compte de leur compétence orale et doivent aussi réintroduire leurs connaissances à l’écrit. Les deux compétences, production orale et écrite seront évaluées académiquement. On comprend alors toute l’importance de bien comprendre le lexique qui compose les textes littéraires et on évalue promptement les effets positifs engendrés sur l’acquisition de connaissances et la compréhension de futurs textes (Beck, Perfettti & Mc Keown, 1982 : 506-521).

De plus, l’acquisition du lexique impose trois processus : la compréhension du lexique vu en classe à l’oral, son intégration dans la mémoire à long terme (Baddeley, 1997) et sa réutilisation, à l’écrit ou à l’oral (Bogaards, 1994). Notre étude s’attachera à mettre en place un protocole expérimental qui tentera de rendre compte de ces trois étapes. Il sera difficile de différencier ce qui provient de l’ordre de la compréhension et ce qui provient directement de la rétention dans la mémoire à long terme. L’un pouvant ne pas impliquer l’autre et vice-versa. Un apprenant peut très bien avoir compris sur le moment le mot de vocabulaire expliqué sans pour autant le retenir. Et il peut avoir retenu un terme sans être capable de lui donner une signification qui lui

82 aura été présentée par l’enseignant (cf. Mayes, 2000, on peut répéter sans être capable d’expliquer). Ce sujet fera l’objet d’une discussion infra1.

1.4. Hypothèses pour notre étude

L’étude du processus explicatif au travers du discours des enseignants se révèle être complexe tant les variables en jeu sont nombreuses. Pourtant, en délimitant très clairement notre protocole expérimental et en restant rigoureuse, nous tentons de conserver au maximum toute l’authenticité des discours en classe. Ceci nous oblige à regarder la classe dans sa globalité et à interroger plusieurs disciplines pour répondre à nos interrogations. La question de l’explication relève à la fois de la dynamique discursive de l’ensemble-classe, des pratiques enseignantes (prévues et effectives) mais aussi du fonctionnement cognitif des enseignants et des apprenants (processus d’enseignement-apprentissage, processus de compréhension et mémorisation du lexique). En outre, cet environnement est conditionné par le type de texte expliqué et le lexique qui le compose. Ainsi, la question centrale de notre travail de recherche est la suivante : Dans quelle mesure le discours explicatif de l’enseignant aide-t-il l’apprenant dans l’accès au sens lexical ? Cette problématique générale fait naitre diverses questions que nous traiterons successivement en interrogeant tour à tour les différentes disciplines concernées.

Les perspectives de ce travail sont tout autant d’ordre méthodologique, cognitif que didactique. Nous avons créé des conditions d’observation afin de maitriser toutes les variables, montrer les effets des pratiques enseignantes sur la compréhension et mémorisation de lexique par les apprenants et évaluer les retombées sur la formation des enseignants. Les résultats seront davantage qualitatifs que quantitatifs dans la mesure où ils apportent un certain éclairage sur le phénomène qui nous préoccupe.