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explicatives en classe de langue

1.3.1. Les enjeux interactionnels

Les séquences explicatives en classe de langue peuvent prendre des formes langagières diversifiées, orales ou écrites (manuels scolaires, exposés, débats, explications de texte, par exemple). Notre propos concernera uniquement les explications fournies par l’enseignant à l’oral lors d’explications de texte parce que c'est moins l'activité globale que le format d'interaction localement accompli qui détermine le type de ressources mises en œuvre (Mondada & Pekarek Doehler, 2001, 2004). Le professeur aura alors pour mission principale de faire comprendre les textes littéraires que nous lui aurons proposés.

Ces textes, datant de la fin du XIXème siècle contiennent des mots, termes ou expressions difficiles à comprendre pour un apprenant qu’il soit de français langue maternelle ou langue étrangère ou seconde. Au niveau de l’ancrage séquentiel, l’explication peut être soit auto-déclenchée, soit hétéro-déclenchée (Colletta & Pellench, 2005 : 6). Ces termes sont utilisés par Colletta & Pellench pour rendre compte du travail discursif de l’enfant et nous les utiliserons pour parler du discours de l’enseignant. Ainsi, une explication auto-déclenchée1 sera une demande d’explication de l’enseignant suivie de sa réponse explicative. Alors qu’une explication hétéro-déclenchée désignera une demande d’explication de l’apprenant suivie du discours explicatif de l’enseignant. Le discours de l’enseignant peut varier en fonction de cet ancrage séquentiel dans le sens où il n’avait peut-être pas prévu d’expliquer un mot alors que la demande lui en est faite. Il devra produire spontanément un discours explicatif en interaction.

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74 L’enseignant n’est pas le seul acteur du discours explicatif. La participation interlocutive et la gestion interactionnelle de la classe peuvent être des facteurs de variation du discours explicatif de l’enseignant : soit il est monopolisé par l’enseignant, soit il est partagé dans la classe, soit il est dans un premier temps partagé puis glisse progressivement vers un monologue de l’enseignant. Dans le premier cas, l’enseignant peut imposer sa vision des choses et soumettre une explication préalablement préparée ou non aux apprenants. Il estime qu’en fonction des connaissances antérieures des élèves, le discours explicatif fourni suffira à faire comprendre. L’enseignant est en position d’autorité (au sens de Bourdieu) et son discours fait loi. C’est une explication monologuée (Colletta & Pellench, 2005 : 6) mais nous lui préfèrerons le terme d’explication auto-reformulée1 (Gülich & Kotschi, 1987 ; Rançon & Spanghero-Gaillard, 2005 ; 2007d) dans le sens où le discours explicatif est en soi un discours de reformulation et que l’enseignant prend à sa charge ce discours.

Dans le deuxième cas, l’enseignant incite ses apprenants à découvrir ensemble le sens du mot ou de l’expression. Il fait appel aux connaissances antérieures de chacun et laisse le discours se partager au sein de la classe. Cette co-construction du sens n’est possible que si les apprenants ont les connaissances suffisantes pour déduire/induire le sens du mot. C’est à l’enseignant qu’appartient le choix de proposer cette technique explicative. Il a la nécessité de connaitre suffisamment bien ses apprenants (leurs connaissances, leurs représentations, leurs stratégies d’apprentissage, etc.) pour présenter un discours dont il n’aura pas la maitrise absolue. Il devra jouer le rôle de chef d’orchestre pour amener progressivement à la bonne compréhension de l’élément textuel. C’est une explication dialoguée (Colletta & Pellench, 2005 : 7), partagée entre les locuteurs. L’enseignant pourra paraphraser le discours des apprenants, il procèdera à une hétéro-reformulation (Gülich & Kotschi, 1987 ; Rançon & Spanghero-Gaillard, 2005 ; 2007d).

Dans le dernier cas, l’enseignant peut laisser le discours explicatif se partager entre les membres de la classe mais va progressivement récupérer ce discours pour l’achever. Ce glissement discursif de l’hétéro-reformulation à l’auto-reformulation (Rançon, Spanghero-Gaillard, Dat & Billières, 2008) opéré par l’enseignant peut être

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75 conscient ou inconscient. Ainsi, l’interaction première entre apprenants et enseignant s’éclipse progressivement en un monologue de l’enseignant. C’est lui qui aura le dernier mot sur l’explication alors que l’inverse est quasi impossible. L’apprenant ne peut pas s’exprimer après un monologue de l’enseignant, en tout cas, cela semble peu probable lorsque les apprenants sont des novices (enfants, jeunes adultes ou adultes débutants). Nos apprenants ne sont pas dans ce cas, néanmoins nous n’avons observé de leur part la remise en question des discours explicatifs auto-reformulés des enseignants.

Lehuen & Luzzatti (2000 : 245) ont fait appel au modèle genevois (Roulet & al., 1987) pour modéliser la progression du dialogue explicatif dans le discours. En partant des notions de complétude interactionnelle et de complétude interactive, ils ont mis en évidence que les axes suivis par le dialogue divergeaient. La complétude interactionnelle est définie comme étant dépendante de la satisfaction d’une contrainte d’un double accord (Grize, 1979) qui permet la clôture d’une négociation. Dès que les interlocuteurs estiment qu’un accord est obtenu, la contrainte du double accord est satisfaite et on peut dire qu’il y a complétude interactionnelle.

La complétude interactive dépend, quant à elle, de la contrainte de la clarté et de la cohérence. Les interlocuteurs vont tenter de remédier le plus rapidement possible au désaccord qui les occupe car il entrave la complétude interactionnelle. La négociation ne peut pas se poursuivre dans de bonnes conditions. Même si Lehuen & Luzzatti (2000) parlent de négociation et non d’explication, la notion de négociation intervient dans le processus explicatif lorsqu’il y a partage de la parole. La co-construction du sens présuppose la négociation des représentations de chacun sur l’objet à expliquer et à comprendre.

Ainsi, dans ce modèle, le dialogue explicatif peut prendre deux tournures. Soit l’interaction se passe bien et les interventions s’enchainent sans difficulté ; il y a réalisation de la complétude interactionnelle et le dialogue suit un axe régissant. Soit les interlocuteurs ont besoin de précision, de reformulation car le discours explicatif n’est pas correctement cerné ; il y a cependant réalisation de la complétude interactive et le dialogue suit un axe incident. Les recherches menées par ces auteurs montrent que

76 leur étude présente le premier axe comme étant représentatif de confrontations et le second axe, d’explications.

Dans notre cas, c’est-à-dire l’explication orale de lexique par les enseignants en classe de français, les deux axes peuvent rendre compte d’explications. Les discours explicatifs peuvent s’enchainer sans difficulté ou nécessiter des explicitations. Cela dépendra de la situation dans laquelle les interlocuteurs évolueront. Dans tous les cas, on peut nommer le discours explicatif comme étant une unité minimale d’interaction (Lehuen & Luzzatti, 2000 : 251) dans laquelle nous retrouvons l’ouverture, le cœur de l’explication et la clôture discursive (Ducancel, 1991; De Gaulmyn, 1986, 1991 ; Gülich, 1986, 1991 ; Landolfi, 1989 ; Lepoire, 1999 ; Salo I Lloveras, 1990 ; Fasel, 2007, à paraitre). Il participe de ce fait à un étayage du discours pédagogique (Bruner, 1983).