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Typologie des assemblages d’ostréidés et interprétations paléoenvironnementales

2 Matériel et Méthodes

2.3 L’enregistrement du temps dans les assemblages : la condensation et l’amalgame temporel

La question de l’enregistrement du temps dans une unité bio-sédimentaire nécessite de discuter deux concepts majeurs que sont la condensation et l’amalgame temporel. Ils se retrouvent souvent associés voire confondus mais ils ne répondent cependant pas à la même définition. Il paraît important de les définir pour pouvoir correctement appréhender les divers assemblages rencontrés sur le terrain.

2.3.1 Condensation

Le terme de condensation s’utilise lorsque le ratio [(temps de dépôt)/(épaisseur de sédiment)] est important. Cette notion repose sur le libre arbitre de chacun si l’on s’en réfère à la définition de Jenkins (1971) : «A condensed sequence is defined as a bed that is

considerably reduced in thickness relative to another of equal age». Le terme de condensation est alors utilisé à trois échelles d’observations.

(1) Tout d’abord, la condensation peut être décelée au niveau d’un plan. Les assemblages d’ostréidés les colonisant seront appelés « structures 2D ». Ces surfaces condensées peuvent être considérées comme le summum de la condensation puisqu‘elles résultent d’un taux de sédimentation nul. Ces surfaces condensées sont fréquemment assimilées à des discontinuités sédimentaires et sont utilisées pour découper le remplissage sédimentaire en unités discrètes. Plusieurs exemples seront commentés dans ce chapitre car les huîtres en tant qu’organismes encroûtants ont la particularité de pouvoir coloniser ce type de surface et d’être parmi les seuls témoins de ces hiatus sédimentaires.

(2) En second lieu, une condensation moins prononcée conduit à la création de bancs en 3 dimensions (« structure 3D »). Ces bancs se distinguent par une série de caractères généraux tels que la présence d’oxyde métallique (fer, manganèse, …), de nodules (carbonatés, phosphatés, …), d’une augmentation croissante de la bioturbation et surtout une concentration de plus en plus importante d’organismes au sein du banc. Les huîtres, compte tenu de leur ubiquité et de leur abondance récurrente au sein des coupes, peuvent servir de bons référentiels dans l’estimation de cette condensation. Il est en effet fréquent de retrouver pour de mêmes espèces et pour des conditions environnementales semblables, une grande disparité entre les densités de populations. Il paraît néanmoins important de ne pas conclure trop hâtivement car comme le signalait Kidwell (1991), concentration ne signifie pas obligatoirement condensation : les bioconstructions à ostréidés ne peuvent être considérées comme des environnements condensés.

(3) De nombreux articles relatent également des condensations à l’échelle d’une série sédimentaire (Courville et Collin, 2002 ; Jenkyns, 1971 ; …). Elles sont le produit composite d’une juxtaposition de discontinuités (2D) et de corps sédimentaires (3D). Cette échelle d’observation n’est donc pas discutée dans ce chapitre.

La condensation des assemblages est reconnue pour affecter la géométrie des unités et la morphologie des organismes qui les composent (Kondo et al. (1998) ; Kidwell, 1985 ; 1986 …). Les assemblages d’huîtres ne seraient déroger à cette règle et les exemples présentés tenteront de mettre en évidence leurs principales caractéristiques à ces deux échelles d’observations.

2.3.2 L’amalgame temporel ou «Time-averaging»

La notion d’amalgame temporel ou « Time-averaging » fut introduite par Walker et Bambach (1971). Elle caractérise un « fossil assemblage… that accumulate from the [local] live community during the time required to deposit the containing sediment ». Par extension, ce terme définit les assemblages constitués d’organismes non contemporains. Les processus responsables de tels mélanges méritent alors d’être explicité afin d’anticiper sur l’importance de l’amalgame temporel susceptible d’affecter un assemblage. Selon Fürsich et Aberhan (1990), les facteurs responsables de l’amalgame temporel peuvent être classés dans trois catégories.

(1) Facteurs sédimentologiques : cette vaste catégorie regroupe plusieurs phénomènes tel que l’hydrodynamisme du milieu et le taux de sédimentation. Si le premier est facilement décelable par la présence de figures sédimentaires (rides 2D, 3D, stratifications croisées, HCS, SCS,…). le deuxième est plus difficile à appréhender.

Son action sur un éventuel amalgame temporel est en effet beaucoup plus indirecte. Un environnement condensé ne créé pas d’amalgame temporel mais catalyse l’action d’un autre agent. Plus cette condensation est importante plus l’épaisseur de sédiment remanié représente un large période de temps. C’est donc là la principale source de confusion entre condensation et amalgame temporel. Il paraît alors important de bien s’attacher à différencier les deux paramètres au cours des analyses car les niveaux condensés ne sont pas systématiquement affectés par un amalgame temporel et réciproquement.

(2) Facteurs biologiques : les bioturbations sont également souvent associées à d’importants remaniements. Ce paramètre est bien souvent sous estimé. Le premier organisme à induire d’importantes modifications est d’ailleurs probablement le paléontologue qui mélange inconsciemment différentes tranches de sédiments lors de son échantillonnage.

(3) Facteurs diagenétiques : les processus diagenétiques sont souvent peu efficaces et leur action est indirecte. La dissolution différentielle des organismes et la compaction du sédiment encaissant amènent le rapprochement de différentes tranches de temps. Tout comme la condensation, cette compaction catalysera l’action d’agents responsables des amalgames temporels.

Ces facteurs peuvent amener à qualifier différents assemblages par une nomenclature formalisée par Kidwell et Bosence (1991). L’importance et surtout l’incidence d’un amalgame temporel sur les interprétations environnementales sont graduelles. Ces qualificatifs servant de trame à la présentation de nos différents types d’assemblages d’ostréidés. Trois termes principaux servent à qualifier les assemblages issus de communautés locales victime d’un amalgame temporel :

- les « census assemblage » ; ce terme introduit par Hallam (1972) fut redéfini par Kidwell (2001) et Kidwell et Bosence (1991) ; il regroupe les assemblages issus d’une même communauté d’origine ; ces unités biosédimentaires représentent des histoires de très courtes durées de l’ordre de la journée à la dizaine d’années (Kidwell, 1997) ; l’enfouissement est rapide et l’amalgame temporel qui les affecte est minimal voir nul ; ce type d’assemblage est considéré comme rare dans le répertoire fossile (Néraudeau, 1991) constituent plus de 50% des assemblages étudiés ;

- les « within habitat time averaged »; ce terme fut originalement défini par Walker et Bambach (1971) ; il peut être aussi approximativement traduit en français par l’expression « assemblages victimes d’un amalgame temporel de populations issues d’un même habitat » ; cet amalgame temporel local peut différer de plusieurs ordres de grandeurs ; il peut être faible avec le simple remaniement de deux cohortes successives ou fort dans le cas d’assemblages distaux aux conditions environnementales stables sur plusieurs millions d’années ;

- les « multi habitat time averaged » ou « Environmentally condensed assemblages » (Fürsich, 1975) ; ils peuvent être aussi approximativement traduits en français par l’expression « assemblages victimes d’un amalgame temporel de populations issues d’habitats différents » ; l’amplitude de l’amalgame temporel est directement liée à la fréquence des changements environnementaux ; plus ces variations seront rapprochées, plus des

amalgames temporels pourront être susceptibles de produire ces types d’assemblage

L’identification de ces différents types d’assemblages est primordiale puisque l’amalgame temporel induit d’importants biais sur les assemblages finaux. Fürsich et Aberhan (1990) ont ainsi signalé l’impact que peuvent avoir ces amalgames temporels sur les reconstitutions paléoenvironnementales. Ils démontrent ainsi le caractère obsolète de nombreux paramètres fréquemment utilisés dans ce type d’étude (fig. 3-5), tels que :

- l’abondance absolue et relative des taxons : d’après les cas théoriques présentés, ils ont pu mettre en évidence que seuls les environnements stables peuvent être reconstitués sans ambiguïté par le biais de ce paramètre ; un milieu légèrement instable peut être sujet à l’implantation soudaine d’une espèce opportuniste qui viendrait au final biaiser l’assemblage d’origine et à terme les conclusions paléo-écologiques ;

- la diversité des taxons : le même type de raisonnement peut également faire réfléchir sur l’utilisation de la diversité dans les reconstitutions environnementales ; l’amalgame temporel induit une surestimation de la véritable diversité de la thanathocénose d’origine.