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L’encastrement sanitaire de l’économie de la santé : une économie de la connaissance

Dans le document L’économie de la médecine libérale (Page 37-41)

1.6. LE DOUBLE ENCASTREMENT DE L’ECONOMIE DE LA SANTE

1.5.3. L’encastrement sanitaire de l’économie de la santé : une économie de la connaissance

Le premier encastrement est constitué par la dépendance de l’économie de la santé vis-à-vis du sanitaire. Cet élément est essentiel et reste dans le non-dit ou n’est exprimé que de manière implicite, ce qui a pour effet de créer une incompréhension entre les économistes de la santé d’une part, les professionnels de santé et la population d’autre part.

Ce premier élément est en rapport avec la nature particulière du « bien » santé. Un consommateur qui acquiert un bien, court un risque essentiellement financier. Certes, il peut y avoir également des désagréments divers liés à l’utilisation de ce bien, il peut même y avoir des risques sanitaires. Néanmoins, le premier risque est financier.

Dans le domaine de la santé, la perspective est inversée car la maladie est la source essentielle de désutilité du malade (Le Pen 2002), l’éventuel préjudice financier n’est que secondaire. Il s’agit pourtant d’une évidence, mais pour une raison difficile à comprendre, elle est passée sous silence par la quasi-totalité des auteurs.

On peut illustrer cette notion si essentielle d’un exemple caricatural. Une personne opérée dans une clinique privée devra presque toujours payer un dépassement d’honoraires (plusieurs centaines d’euros) non pris en charge par son assurance complémentaire. Or, la chirurgie étant opératrice dépendante, l’intervention peut ne pas réussir. Il existe, en outre, un risque opératoire de décès du patient. Dans les deux cas le malade aura perdu son argent. Toutefois, dans la première hypothèse, sa santé se sera dégradée ou ne se sera pas améliorée alors que dans la deuxième, le patient sera mort.

Cela signifie que l’objectif du malade n’est qu’accessoirement économique. Il est avant tout, voire exclusivement sanitaire. D’ailleurs, on serait en droit de s’interroger sur un malade qui considèrerait d’abord ses intérêts économiques et secondairement ses intérêts sanitaires.

1.5.3.1. Information et connaissance

L’économie de la santé met, avec raison, l’accent sur les importantes asymétries d’information dont la santé est le champ (voir introduction). Bien que nombre d’auteurs aient une définition large de la notion d’information incluant celle de connaissance, elle met rarement en avant le fait qu’il s’agit d’abord d’une économie de la connaissance. Or, il existe une différence fondamentale entre information et connaissance (Foray 2000).

L’information correspond à un ensemble de données formatées et structurées reçues par un canal de communication oral ou écrit essentiellement. La connaissance correspond d’abord à des capacités cognitives résultant d’un apprentissage plus ou moins long, à des capacités de contextualiser les données reçues, de les critiquer et de les reproduire.

Il y a donc nécessité de dépasser la notion courante d’économie de l’information pour considérer l’économie du savoir ou de la connaissance (Petit 1999). De plus, il existe une véritable révolution technologique en rapport avec l’explosion des connaissances, mais aussi avec l’émergence des technologies de l’information. Or, cette mutation technologique émergence dans un univers très décentralisé et où existe une importante division du travail, ce qui n’est pas sans poser des problèmes d’organisation majeurs, d’autant plus que les intérêts des acteurs sont différents (Ibid.). Par exemple, l’intérêt des médecins généralistes diffère de celui des spécialistes comme de celui des auxiliaires médicaux. De même, le mode de rémunération des médecins recèle des incitations à prendre en compte dans la régulation de la médecine libérale (Franc 2001, Rochaix 2004).

Cet aspect de l’économie de la santé comme économie de la connaissance a des implications évidentes. La première est que les ressources essentielles d’un système de santé sont les professionnels de santé (l’offre de soins) et, conséquemment, les ressources cognitives et la formation. C’est également important en raison de l’importance des crédits alloués à la recherche médicale dans les pays développés. En France, en 2008, les dépenses de recherche médicale et pharmaceutiques s’élevaient à 7,4 milliards d’euros (Fénina et al. 2009).

Le deuxième aspect est représenté par la création d’un langage propre à la médecine comme à toute science ou technique.

Ainsi, le « Dictionnaire universel de médecine » de Robert James publié entre 1743 et 1745 comprend 500 articles. Le « Dictionnaire des sciences médicales » de Charles-Louis-Fleury

Panckoucke publié en 60 volumes à Paris entre 1812 et 1822 comprend 4 000 notices9. De nos jours, la 29ème édition du dictionnaire des termes techniques de médecine comprend 1048 pages et 30 000 termes (Garnier – Delamare 2006) alors que le dernier dictionnaire de médecine publié chez Masson regroupe 35 000 définitions sur 1516 pages (Quévauvilliers 2007).

De plus, et surtout, l’économie de la santé comme économie de la connaissance a un impact majeur sur le comportement du malade (voir infra).

1.5.3.2. Une médecine fondée sur la connaissance scientifique

La médecine moderne est fondée sur la connaissance scientifique, elle-même née avec la méthode expérimentale. Cette méthode est basée sur l’observation scientifique des faits d’après une idée préconçue que l’on se propose de vérifier ou de contrôler afin de mettre en évidence les lois du mécanisme d’évolution des maladies et de leur déterminisme étiologique (Bernard 1865-2008).

Les études cliniques, si possible randomisées, représentent l’application actuelle de cette méthode expérimentale dans le but de mieux prendre en charge le patient. Cette médecine, appelée Evidence-based medicine (EBM) est définie comme l’utilisation consciencieuse et judicieuse des meilleures données actuelles de la recherche clinique, c’est-à-dire des faits démontrés comme origine essentielle du savoir, dans la prise en charge personnalisée de chaque patient (Sackett et al. 1996).

Ce nouveau paradigme est fondé sur le fait que si l’expérience clinique et la connaissance des mécanismes physiopathologiques sont nécessaires, elles sont insuffisantes. Il faut, en plus, confronter la pratique aux données acquises de la science (Evidence-based medicine working group 1992). La démarche d’EBM comprend quatre étapes : (1) formulation de la question ; (2) recherche des données ; (3) appréciation du niveau de preuves ; (4) proposition de prise en charge personnalisée (Rosenberg et Donald 1995).

Cette méthode, d’une très grande exigence, pourrait s’appliquer à plus de 80% des cas vus en médecine générale (Gill et al. 1996). Elle nécessite une bonne connaissance des techniques d’enquêtes ainsi que de la lecture critique des textes afin d’en apprécier la portée. Le lecteur

doit être capable d’évaluer la qualité de l’étude, c’est-à-dire qu’il doit pouvoir rechercher les éléments précis qui en font une bonne étude (Salmi 1998).

Toutefois, cette méthode est trop lourde pour être utilisée par le clinicien en pratique courante en raison de la masse trop importante de l’information médicale. Ainsi, un médecin interniste devrait lire 19 articles originaux par jour, 6 jours par semaine, afin de se tenir au courant de sa discipline (Durieux 1998), ce qui explique la nécessité de revues systématiques et l’élaboration de recommandations de pratique clinique définies comme « des propositions

développées méthodiquement pour aider le praticien et le patient à rechercher les soins les plus appropriés dans des circonstances cliniques données » (Institute of Medicine 1990). La

mise en œuvre de ces recommandations s’est avérée lente et difficile dans la mesure où les médecins ont tendance à pratiquer la médecine telle qu’ils l’ont apprise durant leurs études et à résister au changement (CNAMTS 2002b, Cholley et al. 2003).

Cela explique la nécessité d’aider les lecteurs pour analyser la littérature médicale (ANAES 2000a) ainsi que la recherche des meilleurs moyens de promouvoir l’évolution des pratiques vers une meilleure conformité avec les données acquises de la science (ANAES 2000b). C’est d’autant plus nécessaire, si l’on veut que la pratique évolue vers l’Evidence-based care, qu’en raison du manque de temps, la majorité des jeunes médecins est fortement demandeuse de synthèses de la littérature médicale (Guyatt et al. 2000) ce qui est conforme aux données françaises récentes selon lesquelles les recommandations de bonne pratique seraient le premier outil d’aide à la prescription des généralistes (Aulagnier et al. 2007).

En outre, deux problèmes sont particulièrement difficiles à résoudre, l’application des résultats des essais au cas particulier d’un patient donné et la participation active du patient. Pour le premier, le médecin doit garder du bon sens et se poser un certain nombre de questions : Le patient est-il très différent des participants de l’étude ? Le traitement est-il réalisable dans mon cadre de travail ? Quel est le rapport bénéfice/risque ? Les valeurs du patient vont-elles influencer la décision ? (Glasziou et al. 1999, Ross 1999). Le deuxième point concerne un des principes de l’Evidence-based medicine, à savoir la prise en compte des préférences du patient dans la décision, c’est-à-dire le respect de ses droits et de son autonomie dans l’objectif de la recherche de soins de qualité.

L’article 11 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé fait obligation à tout médecin d’informer tout patient sur son état de santé et de ne pratiquer aucun acte médical ni aucun traitement sans le consentement libre et éclairé du patient. Cette information porte sur « les différentes investigations, traitements

ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de

refus ». Le même article stipule « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et

compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé ». Mais se pose alors le problème de l’asymétrie de connaissance entre le médecin et

son patient, particulièrement avec les médecins spécialistes. Afin d’améliorer le pouvoir de décision du patient, l’information doit être présentée sous une forme accessible mais de bonne qualité, le médecin doit tout à la fois posséder des compétences techniques et des qualités relationnelles, avoir le souci de son patient, prendre le temps nécessaire et privilégier l’information orale (ANAES 2000c, Paling 2003).

Le principe selon lequel le panier de soins doit être fondé sur l’utilité prouvée de ces soins constitue un exemple de cet encastrement. De même, les efforts déployés en France pour promouvoir les bonnes pratiques médicales par l’évaluation des pratiques, la mise au point et la diffusion de recommandations par les agences dédiées à cette fonction, la maîtrise médicalisée des dépenses de santé relèvent de ce cadre.

Concernant la demande de soins, l’aléa moral ex post et la rationalité du patient constitue un autre exemple de ce principe essentiel (voir infra).

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