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L ES EFFETS MORPHOLOGIQUES PEUVENT ILS ÊTRE EXPLIQUÉS SANS FAIRE APPEL À LA NOTION DE

IV. MODÈLES DE LA RECONNAISSANCE DES MOTS COMPLEXES RENDANT COMPTE DES EFFETS DE LA TRANSPARENCE SÉMANTIQUE ET DU DEGRÉ D'AFFIXATION

3. L ES EFFETS MORPHOLOGIQUES PEUVENT ILS ÊTRE EXPLIQUÉS SANS FAIRE APPEL À LA NOTION DE

MORPHÈME?

Jusqu'à présent, nous avons décrit des modèles qui supposent que les procédures de reconnaissance lexicale sont sensibles à la structure morphologique des mots complexes et qui prévoient donc - tôt ou tard - l'intervention des représentations et/ou des procédures morphologiques. Un autre courant de recherches propose que les effets de la structure morphologique ne sont pas le reflet de l'intervention proprement dite des informations morphologiques, mais reflètent soit l'usage de stratégies conscientes (l'hypothèse du listage exhaustif de Butterworth par exemple; pour une description plus précise, voir ci- dessous), soit une qualité émergeante du système [les modèles connexionnistes comme celui de Seidenberg (1992)par exemple; pour une description plus précise, voir ci-dessous].

3.1. L'HYPOTHÈSE DU LISTAGE EXHAUSTIF (FULL LISTING HYPOTHESIS)

Butterworth (1983), un des tenants de l'hypothèse du listage exhaustif, postule que tous les mots connus du sujet, morphologiquement complexes ou non, sont listés sous une forme unitaire et autonome dans le lexique mental. Dans ce cas, l'accès à la représentation d'un mot complexe ou monomorphémique relève d'un même processus, la dimension morphologique de la langue n'étant pas représentée en tant que telle au niveau lexical. L'analyse des mots complexes n'implique donc pas de procédures de traitement spécifiques.

Pour pouvoir rendre compte des capacités créatives et des intuitions d'apparentement morphologique de l'usager, l'auteur postule l'existence de procédures supplétives (fall-back

un mot qu'il ne connaît pas (par exemple multinationalisation) ou lorsqu'il doit créer un nouveau mot, notamment lorsque l'item recherché est momentanément inaccessible (par exemple *reproduisible au lieu de reproductible). Elles lui permettraient également de relier entre eux les différents éléments d'une même famille morphologique (par exemple fleur, fleurir, déflorer, refleurir…).

Selon ce modèle, les effets de la structure des non-mots, de la fréquence de la racine, de la pseudo-préfixation et de l'amorçage morphologique seraient donc d'origine stratégique. Ils ne refléteraient pas l'emploi d'une procédure utilisée automatiquement, mais consciemment.

3.2. LES MODÈLES CONNEXIONNISTES

Pour l'approche connexionniste, les informations morphologiques ne sont pas prises en compte par les procédures de reconnaissance lexicale. Ce type de modèles propose que l'influence des informations morphologiques résulte d'interactions au sein du système. Les informations morphologiques seraient des qualités émergeantes du système (Rumelhart & McClelland, 1986; MacWhinney & Leinbach, 1991; Pinker, 1991). Elles ne seraient donc pas présentes telles quelles dans le lexique mental. Selon cette approche, les procédures permettant la reconnaissance des mots parlés complexes sont donc identiques à celles sous- tendant la reconnaissance des mots parlés simples. Aucune analyse morphologique particulière n'est postulée.

Seidenberg (1992) propose par exemple que les structures prises en compte par les procédures de reconnaissance visuelle des mots dérivés ne sont pas des unités linguistiques particulières, telles les syllabes ou les morphèmes, mais plutôt des fragments orthographiques redondants. Ainsi, les suffixes ou toutes autres séquences de graphèmes fréquentes seraient encodés sur la

base de leurs propriétés orthographiques. En conséquence, les informations relatives à la structure interne des mots ainsi que les effets liés en apparence aux informations morphologiques seraient le reflet du codage implicite des informations morphologiques par la redondance orthographique.

Plus précisément, les frontières morphologiques (et syllabiques) correspondraient, selon l'auteur, à une dépression (through) exprimée en terme de fréquence entre deux bigrammes successifs. Par exemple, la frontière morphologique entre le préfixe re- et la racine play de replay peut être décrite par les fréquences d'occurrences des bigrammes re/ep/pl, respectivement 771, 207, 1443. En observant ces chiffres, nous remarquons aisément que la frontière morphologique correspond à une diminution drastique de la fréquence d'occurrences des bigrammes.

3.3. LES DONNÉES EN DÉFAVEUR D'UNE RÉDUCTION DE L'INFLUENCE MORPHOLOGIQUE À UNE INFLUENCE ORTHOGRAPHIQUE.

De nombreuses données expérimentales montrent que les effets de la structure morphologique des mots ne peuvent en aucun cas être réduits à un seul effet de la redondance orthographique. Premièrement, en utilisant un paradigme de reconnaissance de mots après apprentissage de listes, Murrell et Morton (1974) ont observé un effet d'amorçage morphologique entre deux mots complexes (car et cars par exemple), alors qu'aucun effet d'amorçage n'est obtenu lorsque les deux mots entretiennent un lien purement orthographique (car et card par exemple). Deuxièmement, Napps (1989) et Napps et Fowler (1987) ont observé dans un paradigme d'amorçage que l'amorçage morphologique dure plus longtemps que l'amorçage orthographique. Troisièmement, Grainger, Colé & Segui (1991) ont obtenu, dans un paradigme d'amorçage masqué, un effet d'amorçage morphologique facilitateur et un effet d'amorçage orthographique inhibiteur. Quatrièmement, Feldman & Moskovljevic (1987) ont observé un effet

d'amorçage morphologique de même ampleur, que le mot-amorçe et le mot-cible soient écrits dans le même alphabet ou pas (écrit en romain et en cyrillique).

De plus, deux résultats s'opposent directement à la proposition de Seidenberg. Pillon (1998) a observé un effet de pseudo-préfixation alors que la fréquence des bigrammes était contrôlée. Dans une tâche de décision lexicale visuelle, Rapp (1992) a utilisé des mots préfixés et suffixés. Seuls certains d'entre eux ont une frontière morphologique qui correspond à une dépression de la fréquence des bigrammes. L'auteur manipule la couleur des lettres des non-mots-cible: soit le changement de couleur correspond à la frontière morphologique (untove), soit elle n'y correspond pas (untove). Les résultats ont montré que les non-mots dont la frontière morphologique correspond au changement de couleur sont reconnus plus lentement que les non-mots dont la frontière morphologique ne correspond pas au changement de couleur. Cet effet morphologique est observé que les items contiennent une dépression de fréquence des bigrammes correspondant à leur frontière morphologique ou non. L'auteur conclut que

"In the context of the present experiment, the finding that the inhibitory effects of morphological complexity are limited to consistently displayed nonwords suggests that in inconsistent display conditions the color manipulation successfully disrupted the perception of the affix" (Rapp, 1992: 44).

Dans ces deux dernières expériences, l'effet morphologique ne peut donc être réduit à un simple effet orthographique.

Plus globalement, ces résultats suggèrent - sans être exhaustifs - que l'influence des informations morphologiques peut être observée alors que l'intervention des similarités formelle ne peut être imputée.