• Aucun résultat trouvé

D EGRÉ DE SAILLANCE DE LA RACINE

MOTS CHOISIS

1. D EGRÉ DE SAILLANCE DE LA RACINE

1.1. DÉFINITION

Le degré de saillance de la racine contenue dans un mot-cible correspond au degré avec lequel la racine contribue à donner aux locuteurs le sentiment que le mot perçu est morphologiquement complexe15. Il s’agit donc de déterminer la perception des locuteurs

quant à la participation de ce segment à la formation du mot, influence qui est certainement à la fois d’origine formelle et sémantique. Par exemple, le mot lavage peut être considéré comme un mot très suffixé (i.e. morphologiquement complexe), puisque le segment lav- contribue de façon importante à la signification du mot et n'est pas une forme allomorphe de la racine de départ [lav(er)]. Le degré de saillance de sa racine sera donc probablement élevé. Le mot productible, bien que suffixé, pourrait être jugé un peu moins suffixé que le mot lavage car le lien entre la racine et le mot entier, bien que régulier, nécessite l’utilisation d’une règle d’allomorphie (produi(re) -> product). Le degré de saillance de sa racine sera donc moindre. Par contre, le mot vignette, même s'il contient un segment similaire à une racine sur le plan formel - vigne - est plutôt peu ou pas suffixé. En effet, vignette ne signifie pas "petite vigne", mais correspond au motif ornemental d'un livre. Le degré de saillance de sa racine

sera faible. Mangouste est clairement non suffixé (il n'existe pas de suffixe –ouste). Le degré de saillance de la racine sera proche du minimum.

Si cette définition permet de catégoriser plus ou moins simplement les mots de la langue en "mots complexes" (ici mots suffixés) ou "mots monomorphémiques" (ici mots pseudo- suffixés et mots non analysables sur le plan morphologique), elle met parallèlement en évidence que chaque mot de la langue ressemble plus ou moins à un mot complexe. A l'une des extrêmes, se trouvent les mots non-analysables (mouche, table); à l'autre extrême se placent les mots complexes (finesse, déboucher). Entre deux se situent d’une part les mots complexes avec allomorphie (opacité, putrescible) et d’autre part, les mots pseudo- complexes avec un seul élément analysable sur le plan formel en termes morphologiques (langouste, patraque) et avec deux éléments formellement similaires à un morphème (vignette, détester) (cf. Figure 9).

Figure 9: Exemple d'un continuum entre des mots dont le degré de saillance de la racine est bas et des mots dont le degré de saillance de la racine est élevé.

Le degré de saillance de la racine pourrait bien influencer les caractéristiques des représentations ainsi que le décours temporel des procédures sous-tendant la reconnaissance des mots complexes. Prenons par analogie la notion de degré de préfixation. Plusieurs psycholinguistes (Laudanna, Burani & Cermele, 1994; Schreuder & Baayen, 1994 ; Wurm, 1997) proposent de ne plus assimiler les mots monomorphémiques dont le degré de préfixation est faible à ceux dont le degré préfixation est plus élevé. Seuls les mots dont le

degré bas degré élevé

degré de préfixation est élevé seront analysés en termes morphologiques. Il est donc probable que plus la présence de la racine d'un mot complexe est prégnante ("saillante"), plus la probabilité qu'une analyse morphologique soit appliquée est grande.

1.2. HYPOTHÈSES LIÉES AU DEGRE DE SAILLANCE DE LA RACINE

D'un point de vue général

Laudanna, Burani, & Cermele (1994) ainsi que Schreuder & Baayen (1994) proposent que la probabilité avec laquelle une procédure de décomposition morphologique aboutira à un résultat correct est d'autant plus élevée que les morphèmes composant le mot sont saillants pour le sujet. Ces auteurs ont ainsi opérationnalisé la notion de prefix likelihood comme correspondant au rapport entre le nombre de mots attestés véritablement préfixés et le nombre de mots contenant la séquence orthographique correspondant au préfixe retenu (i.e. les mots préfixés mais aussi pseudo-préfixés) (pour une discussion plus approfondie, voir chapitre II). Ils proposent que plus le prefix likelihood est élevé, plus les composants morphémiques sont saillants, plus la probabilité qu'une analyse décompositionnelle soit mise en place est importante et donc plus la probabilité que le mot analysé soit répertorié sous un format décomposé dans le lexique mental est élevée.

"When the proportion (or the proportion of occurrences) of truly prefixed word- types (or word-tokens) beginning with a given prefix is large with respect to the total number (or the total number of occurrences) of word-types (or word-tokens), in which the same initial orthographic sequence is present, the process of morphological decomposition would be more often successful. Thus, prefixes enhancing the success rate of the morphological parsing procedure (no matter

how it is modeled) by virtue of this empirical proportion are, in principle, more likely to be represented in the lexical processing system." (Laudanna & Burani,

1995, p. 353).

Le degré de saillance de la racine pourrait également être une mesure permettant de prédire la probabilité avec laquelle les mots perçus sont analysés en termes morphologiques. Plus la racine est saillante, plus la probabilité qu'une analyse morphologique soit appliquée est élevée, plus la probabilité que les mots qui contiennent cette racine soient représentés sous un format décomposé est importante.

Petit rappel théorique

Nous l'avons vu dans la partie théorique, les modèles de Frauenfelder & Schreuder (1992) et Schreuder & Baayen (1995) peuvent rendre compte de l'influence du degré de préfixation des mots sur le type de traitements opérés. Plus précisément, ces auteurs proposent que plus la probabilité qu'un segment formellement similaire à un préfixe particulier s'avère un véritable préfixe est élevée, plus la représentation associée aura un niveau d'activation élevé et donc plus elle jouera un rôle important durant la reconnaissance des mots qui la contiennent. Les mots à degré de préfixation élevé devraient donc être reconnus plus rapidement que les mots dont le degré de préfixation est bas. Ils bénéficient en effet d’un double codage, l’un relatif au mot entier et l’autre correspondant aux morphèmes qui les composent. Le même raisonnement peut être formulé pour les mots dont le degré de saillance de la racine est respectivement élevé et bas.