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D EGRÉ DE TRANSPARENCE SÉMANTIQUE

MOTS CHOISIS

2. D EGRÉ DE TRANSPARENCE SÉMANTIQUE

2.1. DÉFINITION

Le degré de transparence sémantique d'un mot correspond au degré avec lequel la signification du mot entier peut être prédite sur la base de la signification de chaque morphème qui le compose. Par exemple, la signification de lavage peut être déduite des morphèmes qui le composent: lav (V) + age ("action de V"), alors que celle de mangouste ne peut en aucun cas être déduite des segments qui le composent, mang- et ouste. Le degré de transparence sémantique de certains mots complexes peut toutefois paraître plus élevé que pour d'autres. En effet, un mot composé de deux morphèmes liés par une règle de formation de mots n'impliquant pas d'allomorphie (fillette, déboucher) paraîtra plus transparent qu'un mot contenant une allomorphie (déductible, opacité). Au sein des mots monomorphémiques également, certains mots sembleront plus transparents que d'autres, tels que pilule ("un petit quelque chose" car le fragment -ule est présent, mais les mots pile et pilule n'ont pas de lien sémantique clair) ou lavabo ("quelque chose qui a une relation avec l'action de laver", mais - abo n'est pas un suffixe) par rapport à mouffette ou encore langouste.

Selon cette définition, la notion de transparence sémantique semble fort proche de la notion de degré de saillance de la racine. Une réponse claire qui permettrait de départager ces deux notions n’a pu être trouvée dans la littérature. En effet, Wurm (1997) ne définit pas précisément la notion de transparence sémantique. Il propose qu'un mot est transparent sur le plan sémantique s'il entretient avec sa racine une relation sémantique évidente, tels que government et govern. Marslen-Wilson et al. (1994) proposent que

"a morphologically complex word is semantically transparent if its meaning is synchronically compositional. Words like happiness or unhappy are semantically transparent because their meaning is directly derivable from the

meaning of their stem {happy} together with their respective affix {-ness} and {un-} (Marslen-Wilson et al., 1994, p. 5).

Ces auteurs ne proposent toutefois pas de critères opérationnels qui pourraient aider les chercheurs à traiter les cas intermédiaires (à notre avis, la notion de transparence sémantique n'est pas dichotomique mais graduelle!).

2.2. HYPOTHÈSE THÉORIQUE LIÉE AU DEGRÉ DE TRANSPARENCE SÉMANTIQUE

D'un point de vue général

Les procédures d'analyse morphologique pourraient n'être activées que si les mots perçus possèdent certaines caractéristiques. Plus particulièrement, elles pourraient n'être appliquées que si les mots complexes sont suffisamment transparents sur le plan sémantique. Par exemple, les modèles de Frauenfelder & Schreuder et de Schreuder & Baayen tiennent compte du degré de transparence sémantique des mots analysés pour décrire les procédures qui leur sont appliquées. Plus précisément, Frauenfelder & Schreuder proposent que seuls les mots transparents sur le pan sémantique sont reconnus par voie analytique et bénéficient en conséquence d'une double activation au niveau sémantique (activation de chaque morphème). La vitesse à laquelle ces mots sont reconnus serait donc plus élevée que pour les mots opaques sur le plan sémantique qui eux ne bénéficient que de l'activation de la représentation entière qui les codent. Schreuder & Baayen quant à eux proposent que l'importance du

feedback que les représentations sémantiques envoient aux concept nodes est fonction du

degré de transparence sémantique du mot analysé. Plus il est transparent, plus le feedback est important et donc plus le mot est reconnu rapidement.

Plusieurs recherches se sont intéressées à cette hypothèse. Ainsi, d’après les résultats qu’ils ont obtenus, Marslen-Wilson, Tyler, Waksler, & Older (1994) ont conclu que seuls les mots transparents sur le plan sémantique (insincere, punishment) sont représentés dans le lexique mental sous un format décomposé. A l'opposé, les mots dont la sémantique est opaque (depress, successor) y seraient listés sous un format unitaire. Allant dans le même sens, Wurm (1997) propose sur la base de ses données empiriques que seuls les mots transparents sur le plan sémantique sont reconnus par décomposition morphologique (pour une revue plus précise des résultats, voir chapitre II).

2.3. RELATION TRANSPARENCE SÉMANTIQUE ET TRANSPARENCE FORMELLE

D'autres facteurs peuvent toutefois être fortement corrélés avec le degré de transparence sémantique. En effet, les mots transparents sur le plan sémantique ont tendance à être plus transparents sur le plan phonologique que les mots opaques. E anglais par exemple, Cutler (1981) a montré que dans des tâches

• de jugement d'acceptabilité de néologisme (est-ce que *incestuousness est considéré comme plus ou moins acceptable que *incestuosity),

de production de néologisme ("The topical heat made them languid. The topical

heat ... them"),

• de décision lexicale (pour des items tels que captivity = mot et *rubicativity = non- mot),

les sujets montrent une tendance plus marquée à considérer les non-mots dont la structure morphologique est transparente sur le plan formel comme des mots de la langue que les non- mots dont la structure morphologique est opaque sur le plan formel. On notera que pour cette auteur, un mot a une structure morphologique transparente sur le plan formel si la forme

phonologique de la base est préservée après l'adjonction de l'affixe (la racine conserve son profil accentuatoire et phonologique). Ainsi, si l'on en croit cette auteur, les deux notions que nous étudions ici sont très proches l'une de l'autre et covarient de façon importante.

L’effet du degré de transparence sémantique en reconnaissance des mots parlés morphologiquement complexes ne peut cependant être réduit à un effet du degré de transparence phonologique. En effet, Marslen-Wilson et al. (1994) ont montré que le recouvrement phonologique entre le mot-amorce et le mot-cible dans une tâche de décision lexicale intermodale n'affecte pas l'importance de l'effet d'amorçage morphologique observé pour les formes morphologiquement complexes. Autrement dit, le degré de transparence phonologique n'influence pas les procédures de reconnaissance des mots complexes alors que le degré de transparence sémantique le fait. L'influence du degré de transparence sémantique peut donc être distinguée de celle associée à la ressemblance formelle entre deux mots complexes.

Finalement, la discussion ne se focalise pas uniquement sur la relation entre transparence sémantique et phonologique. Une autre notion, celle de la fréquence d'apparition dans la langue, intervient également. Ainsi, la fréquence des mots transparents sur le plan sémantique a tendance à être plus basse (Baayen, 1989). L'effet de la structure morphologique pour les mots transparence sur le plan sémantique pourrait être plus important car ces mots sont peu fréquents (pour une discussion de l'influence de la fréquence d'apparition dans la langue sur l'organisation du lexique mental et plus précisément sur la nature des représentations des mots complexes, voir chapitre II).

En résumé, le degré de transparence sémantique, bien que reconnu comme étant une caractéristique importante, peut co-varier avec d'autres dimensions, dont le degré de transparence phonologique et la fréquence d'usage des mots.