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E FFET DE L ' AMORÇAGE MORPHOLOGIQUE

XIII. TAFT ÉTAIT AU COMMENCEMENT

3. E FFETS LIÉS À LA STRUCTURE INTERNE DES MOTS ET DES NON MOTS : DONNÉES PSYCHOLINGUISTIQUES

3.4. E FFET DE L ' AMORÇAGE MORPHOLOGIQUE

Principe de la technique

Par la technique d'amorçage (priming), les chercheurs visent à orienter les procédures de traitement d'un mot-cible (target), par la présentation préalable d'un mot-amorce (prime) qui entretient des relations spécifiques avec le mot-cible (voir exemple 2). Par exemple, le mot- amorce peut être identique au mot-cible (condition d'amorçage identique), peut être apparenté au mot-cible sur le plan sémantique (condition d'amorçage sémantique) ou formel (condition d'amorçage phonologique ou orthographique). Les effets d'amorçage sont mesurés en comparant la condition expérimentale (amorçage sémantique, morphologique, formel) à une condition contrôle dans laquelle les mots-amorçe et les mots-cible n'entretiennent aucune relation particulière.

Exemple 2 : différentes conditions d'amorçage Identique: soleil -> soleil Orthographique: maison -> mais

Sémantique: aveugle -> cécité

Neutre: pingouin -> rature

Hypothèses sous-jacentes

Si les procédures de reconnaissance des mots complexes impliquent à un moment donné du traitement une décomposition morphologique – les racines seraient représentées de façon isolée, alors la présentation préalable de la racine qui compose le mot-cible (insérée au sein d'un autre mot complexe ou présentée à l'état isolé) devrait en faciliter la reconnaissance. Par exemple, la présentation préalable des mots accroître ou croître devrait faciliter la reconnaissance de décroître. La reconnaissance du mot-cible croître devrait également être facilitée par la présentation préalable de accroître ou de décroître.

De plus, si les mots complexes n'ont pas de représentation propre dans le lexique mais sont subsumés par la racine qui les composent (hypothèse taftienne), alors l'amorçage morphologique devrait être de même ampleur que l'amorçage identique. Par exemple, la présentation préalable de accroître devrait avoir le même effet sur la vitesse d'identification de décroître que celle de décroître lui-même. L'effet devrait également être identique à l'amorçage de croître par croître.

Faits expérimentaux du domaine visuel

En utilisant les techniques d'amorçage morphologique et identique dans une tâche de décision lexicale, Stanners, Neiser, & Painton (1979) ont montré que la présentation préalable de deux amorces, la racine liée du mot-cible préfixé (-trieve) et un mot renfermant le préfixe (remit) du mot-cible (retrieve), facilite la reconnaissance ultérieure de ce dernier. Le même profil de résultats est observé lorsque le mot-cible est formé d'une racine libre. Dans ce cas, discomfort

est amorcé par les mots-amorce comfort et disarm. Toutefois, la facilitation obtenue n'est pas équivalente à l'effet d'amorçage identique (respectivement retrieve -> retrieve et discomfort -> discomfort).

Par ailleurs, Stanners et al. ont observé qu'un mot préfixé (par exemple unaware) peut amorcer le mot-racine qui la compose (dans l'exemple aware) et que cet effet de facilitation est de même amplitude que l'effet d'amorçage identique (aware -> aware) (voir également Fowler, Napps, & Feldman, 1985; Napps, 1989). D'autres recherches ont également montré que la présentation préalable d'un mot préfixé (refaire) peut amorcer un mot-cible de la même famille morphologique (ici défaire) (par exemple Burani & Laudanna, 1992 ; Feldmann, 1994 ; Stolz & Feldmann, 1995).

Effet stratégique

Les résultats de Stanners et al. pourraient être la conséquence, du moins en partie, de l'utilisation de stratégies prédictives par les sujets. Ils pourraient en effet remarquer que certains items se répètent en cours de liste et élaboreraient en conséquence des prédictions quant aux items qui leur seront présentés ultérieurement. Toutefois, lorsque Napps (1989) a limité l'effet des procédures stratégiques en diminuant le pourcentage d'items liés entre eux d'une manière ou d'une autre (de 80% dans l'expérience de Fowler et al. à 6.26%), les effets d'amorçage identique et morphologique restent similaires. Par items liés, l'auteur se réfère à toute paire mot-amorce/mot-cible qui contient deux mots reliés entre eux d'une manière ou d'une autre (situation d'amorçage identique, morphologique ou sémantique). L'effet d'amorçage morphologique ne peut donc être considéré comme l'unique résultat de l'application de stratégies prédictives.

Effet de la mémoire épisodique

L'effet de l'amorçage morphologique pourrait également refléter l'intervention de la mémoire à long terme (i.e. mémoire épisodique). Afin de limiter l'influence de ce facteur, Fowler, Napps, & Feldman (1985) ont étendu l'intervalle entre la présentation du mot-amorce et celle du mot-cible. Or, même avec un grand intervalle (48 mots), les auteurs ont observé que l'effet morphologique facilitateur est d'ampleur égale à l'effet d'amorçage identique (par exemple en anglais manage-manage) et ce, que l'amorce soit une forme fléchie (manages-manage) ou dérivée suffixée (management-manage). Ils concluent que l'effet d'amorçage morphologique n'est pas uniquement le résultat de l'influence d'informations en mémoire épisodique.

Effet d'amorçage morphologique n'est pas un cas particulier d'amorçage sémantique ou formel

Deux interprétations doivent encore être écartées pour pouvoir affirmer que l'effet d'amorçage observé est bel et bien un effet d'amorçage morphologique. En effet, comme deux mots appartenant à la même famille morphologique partagent des éléments formels et sémantiques (par exemple, campement et campeur), l'effet observé ne doit pas pouvoir être réduit à un effet d'amorçage sémantique et/ou un effet d'amorçage formel. Par exemple, Napps (1989) et Napps & Flower (1987) ont montré que l'amorçage morphologique dure plus longtemps que l'amorçage orthographique et/ou phonologique. Par ailleurs, Henderson et al. (1984) ainsi que Drews & Zwitzerlood (1995) observent un effet d'amorçage morphologique facilitateur et un effet d'amorçage orthographique inhibiteur. Le décours temporel de l'effet d'amorçage sémantique est également différent. L'effet d'amorçage morphologique persiste plus longtemps que les effets d'amorçage sémantique.

Ainsi, si l'effet d'amorçage morphologique en modalité visuelle résiste alors que les effets stratégiques et de mémoire épisodique sont écartés, il peut également être dissocié d'une double influence sémantique et formelle.

Faits expérimentaux du domaine auditif

Les premiers auteurs à s'être intéressés à la modalité auditive et à utiliser le paradigme d'amorçage morphologique sont Kempley & Morton (1982). Dans une expérience d'amorçage morphologique de longue durée (10-40 minutes), ils ont observé que la présentation préalable d'une forme fléchie régulière (hiked) amorce la présentation ultérieure de la racine (ici hike) et ce, de façon presque similaire à l'effet obtenu dans une condition d'amorçage de répétition (hike-hike). En revanche, aucun effet d'amorçage n'est observé lorsque le mot-amorce et le mot-cible sont des formes fléchies irrégulières (sang-sing). On notera toutefois que Fowler et

al. (1985) ont obtenu un effet d'amorçage morphologique en présentation auditive entre des

mots complexes irréguliers sur le plan phonologique et orthographique (par exemple clarify) et des racines ou des mots complexes réguliers (par exemple clear et clearly). De plus, Emmorey (1989) a observé un effet d'amorçage entre deux mots parlés de la même famille morphologique, alors qu'ils n'entretiennent aucun lien sémantique (par exemple, submit- permit). La transparence formelle ou sémantique du mot-amorce par rapport au mot-cible ne semble donc pas primordiale pour obtenir un effet d'amorçage morphologique.

Les effets d'amorçage morphologique en présentation auditive ne peuvent pas être réduits à des effets formels. En effet, Kempley & Morton, ainsi que qu'Emmorey n'ont pas observé d'effet de la proximité phonologique. Aucun effet d'amorçage n'est obtenu entre deux mots qui n'entretiennent qu'un lien formel (pledge-hedge).

Utilisant un paradigme quelque peu différent (tâche d'amorçage intermodal : le mot-amorce est entendu et le mot-cible est vu), Meunier (1997) distingue les mots préfixés des mots suffixés. Elle a montré qu'un mot préfixé peut faciliter la reconnaissance ultérieure de la racine qui le compose, et ce même s'il n'y a pas un recouvrement phonologique parfait entre la

racine et le mot préfixé associé (par exemple barbe-imberbe), alors qu'un mot suffixé facilite la reconnaissance de la racine qu'il renferme, mais uniquement si leur relation morphologique est phonologiquement transparente, tel que créditeur et crédit. En revanche, la présentation préalable d'un mot préfixé ou suffixé appartenant à la même famille morphologique qu'un mot-cible respectivement préfixé ou suffixé, facilite son identification (refaire-défaire, satanique-sataniser). Ces effets ne sont pas réductibles à un effet purement phonologique, car aucun effet d'amorçage n'est observé entre deux mots pseudo-préfixés (alarme-larme) ou pseudo-suffixés (traiteur-trait). Une influence sémantique est également écartée, car l'effet d'amorçage n'apparaît pas entre un mot suffixé opaque (chaleur) et sa racine (chaud).

En résumé, les résultats de ces expériences d'amorçage morphologique en modalité auditive et dans un paradigme intermodal suggèrent que la présentation préalable d'un mot préfixé ou suffixé peut faciliter l'identification de la racine qui le compose ou d'un mot suffixé/préfixé appartenant à la même famille morphologique. Ces effets pourraient apparaître alors que le lien formel n'est pas entièrement transparent. Ils ne peuvent être assimilés à des effets purement formel ou sémantique.

Qu'en disent Taft & Forster ?

Taft & Forster proposent que les procédures de reconnaissance d'un mot préfixé incluent une étape d'extraction du préfixe suivie de l'accès à la représentation de la racine. Dans ce cas, la présentation préalable d'un mot préfixé devrait faciliter pleinement la reconnaissance ultérieure de la racine associée. Par exemple, la présentation de défaire devrait accélérer la reconnaissance du mot faire. De plus, cet effet devrait être de même amplitude que la facilitation observée lors de deux présentations successives de la racine (ici faire – faire).

Puisque l'effet d'amorçage morphologique reste présent alors que l'influence de la mémoire épisodique et des stratégies du sujet est écartée, et qu'il ne peut être réduit à un effet d'amorçage sémantique ou formel, le modèle de Taft & Forster pourrait être considéré comme valide. L'amplitude de l'effet d'amorçage morphologique n'étant cependant pas toujours similaire à l'amplitude de l'effet d'amorçage identique, le modèle de Taft et & Forster rencontre quelques problèmes. De plus, la différence d'une part entre les mots morphologiquement réguliers et les mots morphologiquement irréguliers et d'autre part entre les mots préfixés et suffixés ne peut être expliquée par le modèle de la décomposition pré- lexicale.

D'autres modèles théoriques s'appliquant à tous les types de mots fléchis et dérivés permettent d'expliquer la majorité des effets décrits ci-dessus. Le modèle appartenant à cette catégorie que nous décrirons dans les pages suivantes est celui proposé par l'équipe de Caramazza – le modèle AAM.

II. AUGMENTED ADRESSED MODEL DE CARAMAZZA, LAUDANNA, ROMANI (1988)