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E FFET DE PSEUDO AFFIXATION

XIII. TAFT ÉTAIT AU COMMENCEMENT

3. E FFETS LIÉS À LA STRUCTURE INTERNE DES MOTS ET DES NON MOTS : DONNÉES PSYCHOLINGUISTIQUES

3.3 E FFET DE PSEUDO AFFIXATION

Faits expérimentaux du domaine visuel L'effet de pseudo-préfixation

Dans une tâche de décision lexicale visuelle, Taft (1981) a mesuré le coût de la préfixation en comparant des mots pseudo-préfixés à des mots préfixés. Il a observé que les sujets mettaient plus de temps à accepter que l'item vu soit un mot et se trompaient plus souvent lorsqu'il

s'agissait d'un mot pseudo-préfixé que lorsqu'il s'agissait d'un mot préfixé. Notons que dans cette expérience, la liste était saturée en formes préfixées. Tous les items, mots ou non-mots, commençaient par un segment similaire sur le plan formel à un préfixe (100% de saturation).

L'effet de pseudo-préfixation : un effet stratégique ?

Dans une tâche de décision lexicale visuelle, Rubin, Becker, & Freemann (1979) ont également montré que des mots pseudo-préfixés demandent un temps de traitement plus long que des mots préfixés. Ainsi, le temps nécessaire aux sujets pour accepter que l'item vu est un mot de la langue était plus élevé lorsqu'il correspondait à un mot pseudo-préfixé que lorsqu'il correspondait à un mot préfixe. Cet effet de pseudo- préfixation n'était toutefois obtenu que lorsque les mots pseudo-préfixés étaient présentés au sein d'une liste saturée d'items préfixés (tous les mots et les non-mots contrôles contenaient un préfixe). Les temps de latence pour les mots pseudo-préfixés ne se distinguaient pas de ceux observés pour les mots préfixés lorsque la liste contenait majoritairement des mots non préfixés (les mots et les non-mots contrôles sont non-préfixés). Les auteurs conclurent que l'effet de pseudo-préfixation reflète l'utilisation d'une stratégie liée aux caractéristiques de la liste expérimentale (analyse en terme morphologique uniquement lorsque les items présentés sont majoritairement analysables sur le plan morphologique) plutôt que la mise en place d'une procédure d'analyse usuelle de reconnaissance des mots complexes (indépendante des caractéristiques de l'ensemble des mots présentés, i.e. analysables sur le plan morphologique ou non analysables).

Dans le but de montrer que l'effet de pseudo-préfixation peut être observé dans un contexte expérimental non saturé en items préfixés et donc de réfuter l'hypothèse selon laquelle l'effet de pseudo-préfixation aurait une origine stratégique, Taft (1981) a proposé une tâche de lecture à voix haute. Utilisant les mêmes mots que ceux présentés lors de l'expérience de décision lexicale (des mots préfixés et pseudo-préfixés), l'auteur a observé que le temps de lecture est à nouveau plus élevé pour les mots pseudo-préfixés que pour les mots préfixés, Or,

comme le prétend Taft, le contexte expérimental n'est pas saturé en items préfixés (pas besoin de non-mots), l'effet de pseudo-préfixation ne peut pas être de nature stratégique. On notera toutefois que les mots présentés commençaient tous par un segment similaire à un préfixe ! Dans une troisième expérience, Taft a observé que le temps de lecture pour les mots pseudo- préfixés est également plus élevé que le temps de lecture pour des mots monomorphémiques ne contenant aucun élément possédant une valeur de préfixe (dorénavant monomorphémiques non- analysables sur le plan morphologique) (banana, graffiti). Puisque la liste expérimentale ne contenait plus aucun mot et non-mot préfixé, la possibilité d'un effet stratégique est, selon l'auteur, encore réduite.

L'effet de pseudo-préfixation : un effet du nombre de morphèmes et/ou de la fréquence de la racine ? La mise en évidence de l'effet de pseudo-préfixation par comparaison des performances obtenues pour les mots préfixés à celles observées pour les mots pseudo-préfixés peut être biaisée par deux facteurs :

• une différence en terme de nombre de morphèmes composant le mot traité (les mots préfixés contiennent au moins deux morphèmes, tandis que les mots pseudo-préfixés n'en contiennent qu'un seul) (pour plus de précisions, voir Henderson, Wallis, & Knight, 1984).

• une différence de fréquence de la racine (la probabilité que les mots préfixés contiennent un segment "racine" plus fréquente que les mots pseudo-préfixé est très élevée) (pour plus de précisions, voir Henderson, Wallis, & Knight, 1984).

Afin d'écarter le problème du nombre de morphèmes, Taft (1981) a comparé dans sa troisième expérience des mots pseudo-préfixés à des mots monomorphémiques non-analysables sur le plan morphologique. Rappelons que même dans cette condition, il a observé un effet de pseudo-préfixation.

Dans le but d'écarter un éventuel effet de la fréquence de la racine, Taft (1981) avait choisi uniquement des mots préfixés "monogames". Ces mots étaient formés d'une racine n'entrant dans aucun autre mot préfixé (par exemple intrigue, replica). Notons toutefois que, certains auteurs (par exemple Henderson, 1985 ; Henderson, Wallis, & Knight, 1984) hésitent à considérer ces mots comme des mots préfixés, le principe de récurrence de la racine dans un moins deux formes complexes n'étant pas rempli. Ce dernier contrôle n'est donc pas sans poser des problèmes d'interprétation.

L'effet de pseudo-préfixation : comparaison monomorphémiques non analysables – pseudo-préfixés ? A l'instar de Taft (1981) dans sa troisième expérience, Pillon (1998) a également choisi d'évaluer l'effet de pseudo-préfixation en comparant les temps de réponse pour des mots pseudo-préfixés aux temps de réponses pour des mots monomorphémiques non analysables sur le plan morphologique. Les mots choisis sont appariés en termes de fréquence de lemma (somme de la fréquence de toutes les formes fléchies) et de longueur (nombre de lettres et nombre de syllabes). Tous correspondent à des verbes à l'infinitif ou au participe passé. Les résultats montrent que les mots pseudo-préfixés sont rejetés plus lentement que leurs homologues monomorphémiques non-préfixés. Ce profil de résultats est identique que la liste contienne 84% de mots non-analysables sur le plan morphologique (aucun mot préfixé n'était par ailleurs présent) ou que la liste contienne 84% de mots potentiellement préfixés (certains étaient réellement préfixés).

Y a-t-il toujours un effet de pseudo-préfixation ?

L'effet de pseudo-préfixation n'a pas toujours été mis en évidence. Henderson, Wallis, & Knight (1984) ne l'ont par exemple pas observé.

Dans les paragraphes précédents, nous nous sommes uniquement centrés sur l'effet des pseudo-préfixes. Qu'en est-il des mots pseudo-suffixés? Bergman, Hudson, & Eling (1988) ont évalué l'importance des effets de préfixation et de suffixation. Dans ce but, ils ont comparé, d'une part, des mots pseudo-préfixés à des mots préfixés et à des mots monomorphémiques non pseudo-préfixés. D'autre part, ils ont confronté des mots pseudo- suffixés à des mots suffixés et à des mots monomorphémiques non pseudo-suffixés. Les résultats ont montré que

• les mots pseudo-préfixés sont reconnus plus lentement que les mots préfixés et monomorphémiques contrôles. Les latences de réponses pour les mots préfixés et monomorphémiques contrôles ne diffèrent pas les unes des autres.

• les latences de réponses pour les mots suffixés, pseudo-suffixés et monomorphémiques contrôles sont similaires.

Contrairement aux mots pseudo-préfixés, les mots pseudo-suffixés ne semblent pas nécessiter un temps de traitement plus important que les mots suffixés et monomorphémiques non- suffixés. Doit-on conclure que l'effet de pseudo-suffixation ne peut pas être mis en évidence? Nous ne ferons pas ce pas, car aucune autre expérience n'a, à notre connaissance, testé cette hypothèse.

Faits expérimentaux du domaine auditif

Toutes les recherches citées ci-dessus proviennent de la modalité écrite. A notre connaissance, aucune expérience n'a explicitement porté sur les effets de pseudo-préfixation ou de pseudo- suffixation dans le domaine auditif à l'aide d'un paradigme de décision lexicale.

Meunier (1997) a comparé les performances obtenues pour des mots préfixés et pour des mots pseudo-préfixés, mais dans un autre type de tâches, la détection de phonèmes. Dans ce

paradigme, le sujet doit détecter le plus rapidement possible un phonème-cible prédéfini. Dans ses deux expériences, l'auteur a sélectionné ses items de sorte que le phonème-cible corresponde au phonème initial de la pseudo-racine pour les mots pseudo-préfixés (méduse) et au phonème initial de la racine pour les mots préfixés (médire). Elle a observé que les phonèmes-cible sont plus rapidement détectés lorsqu'ils apparaissent en début de pseudo- racines que lorsqu'ils correspondent au phonème initial des racines. De plus, cet effet n'apparaît que chez les sujets lents, attestant l'origine morphologique de cet effet.

On notera que certains auteurs ont indirectement comparé le traitement des mots préfixés au traitement des mots pseudo-préfixés en analysant les résultats obtenus dans plusieurs expériences séparées (voir Schriefers, Zwitzerlood & Roelofs, 1991, expériences décrites ultérieurement).

Qu'en disent Taft & Forster ?

Taft & Forster posent que les mots pseudo-préfixés, tout comme les mots préfixés, font l'objet d'une première décomposition morphologique, puisque rien ne les différencie sur le plan orthographique. Une fois le (pseudo)-préfixe extrait, la localisation de la représentation de la racine puis le test de compatibilité sont amorcés. Or, cette entreprise débouchera sur un échec pour les mots pseudo-préfixés, car soit le segment restant ne correspond pas à une racine (détaler), soit les deux morphèmes ne peuvent être combinés par une règle de formation de mots (détester). Une recherche basée sur la forme entière du mot doit alors être entreprise. En conséquence, les mots pseudo-préfixés devraient nécessiter plus de temps pour être reconnus que les mots préfixés.

Les expériences présentées ci-dessus montrent un tableau de résultats conflictuel (effet possible de différents facteurs tels que les stratégies du locuteur, le nombre de morphèmes composant le mot-cible, la fréquence des segments qui le composent). Dans des expériences de détection de phonèmes, les mots pseudo-préfixés sont traités plus rapidement que les mots préfixés contrairement à ce qui est observé dans les tâches de décision lexicale (mots pseudo-préfixés reconnus plus lentement que les mots préfixés). En tous les cas, le modèle de Taft & Forster ne peut être accepté sans modification si l'on souhaite expliquer l'ensemble de ces résultats.