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L’attitude subjective

Dans le document Angoisse et activité ludique (Page 100-103)

CHAPITRE II : L’ACTIVITÉ LUDIQUE

5. L’attitude subjective

Une question surgit lorsque nous nous demandons si le jeu consiste en une attitude, une impression ou un sentiment? La question point lorsque nous réalisons que par moment nous sommes dans un état d’esprit comique ou enjoué et qu’alors tout nous amuse. De plus, quand l’être humain joue, il joue avec la totalité de son être. Henriot déclare le jeu une activité purement subjective pour laquelle seul celui qui s’y adonne constate s’il joue ou non.145 La personne entretient un lien particulier avec les objets qui s’associent au jeu. Tout cela se redéfinit par rapport à la réalité à laquelle ils participent et qui tient à l’attitude du joueur qui maintient cette réalité de jeu entre les objets et lui-même. La personne joue avec des objets ou bien joue à quelque chose et elle redéfinit son environnement, altère sa perception du monde afin de s’adonner à son jeu. Le jouet concerne ce qui se prête au jeu, tandis que le jeu représente l’attitude du joueur en rapport à l’acte qu’il exécute.146 Pour Henriot, tout se déroule dans la psychologie de l’individu. Bien que l’activité requière

144 Martine MAURIRAS BOUSQUET. 1984. Théorie et pratique ludiques : préface de Henri Dieuzeide. Collection «Vie psychologique». Paris : Economica, p.16

145 Jacques HENRIOT. 1969. Le jeu. Collection «Collection SUP initiation à la philosophie», n086. Paris : Presses universitaires de France, p.72ss

89 constamment de l’incertitude, de la duplicité et de l’illusion, elle offre aussi du plaisir par l’exécution de la liberté et la prise de plaisir dans l’instant présent. Lorsque nous jouons, nous démontrons notre enthousiasme et notre humour dans l’optique de considérer de nouvelles hypothèses. Nous conservons une distance à l’égard de ce qui se déroule, mais aussi une proximité, une intimité. Le joueur s’élance dans une activité risquée et déraisonnable. Mais il participe à l’action sans arrière-pensée, en demeurant vigilant, car sa créativité et son divertissement en dépendent.

Cela nous amène à considérer la difficulté de cerner l’activité ludique puisque l’effet du jeu se produit dans les personnes. En plus, ce qui affecte les personnes varie d’une fois à l’autre et d’un individu à l’autre. Nous ne nous émouvons pas exactement des mêmes choses et les sentiments ne se manifestent pas pareillement. L’activité ludique entretient un lien plus ou moins ténu avec le réel. Karl Groos appuie cette théorie et l’explique par un effet de l’imagination qui considère le but du ludique comme un vrai. Le plaisir d’être la cause nous rappelle l’illusion à laquelle nous nous adonnons, mais aussi nous montre une des utilisations de notre liberté.147 Nous retrouvons une relation entre plaisir et sentiment de pouvoir dans le jeu car ce dernier exige une implication personnelle. L’action produite dans le cadre du jeu n’en fait pas le jeu. La preuve de notre adhésion loge dans notre intention et notre attitude face à l’activité. Même dans le jeu ou dans le non jeu, l’observateur ignore si la personne aborde l’objet en se considérant dans un jeu. «Pour qu’une activité soit vraiment un jeu, il faut que la personne ait un intérêt à la pratiquer, mais surtout qu’elle soit dans un état d’esprit particulier qui lui permet d’en retirer du plaisir, autrement dit il faut que la personne ait une attitude de jeu.148» Ainsi, l’attitude des participants fait le jeu et non l’activité elle-même. Les objets qu’inclut le jeu ne méritent pas l’appellation de jeu tant qu’un humain ne s’y attarde pas. Ce dernier doit se trouver disposé à jouer sinon, la raquette et la balle demeurent des objets et non pas les artifices principaux pour s’adonner au tennis. L’objet, jouet, ne représente qu’un accessoire pour le jeu. Comme la principale partie du jeu se déroule dans la tête d’un humain, un jeu ne se

147 Karl GROOS. 1901. The Play of Man by Karl Groos ; translated with the Author’s Cooperation of Elizabeth L. Baldwin with a preface by J. Mark Baldwin. New York : Appleton, p.135

148 Francine FERLAND. 2002. Et si on jouait? : Le jeu chez l’enfant, de la naissance à six ans. Collection «Collection de l’Hôpital Sainte-Justine pour les parents». Montréal : Éditions de l’Hôpital Sainte-Justine, p.32

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déroule pas seul. Mais cela nous amène aussi à considérer que nous possédons la capacité de tout transformer en jeu, y compris ce qui possède l’apparence d’un travail et à l’inverse, le jeu se métamorphose en travail, ce qui en fait le gagne-pain de plusieurs athlètes.149 Ainsi, une activité ludique nécessite un humain, mais il ne jouera pas automatiquement là où peut prendre place un jeu : marcher sur un terrain de tennis ne nous fait pas joueur de tennis.

Il arrive que nous jouions ou que nous regardions quelqu’un jouer sans cerner ce qui se passe, ce que le jeu fait vivre. Un jeu peut prendre forme à l’insu des non-initiés, comme un objet religieux qui ne possède de valeur que pour les membres du culte. Aussi, les joueurs peuvent s’adonner discrètement à leur activité dans un lieu public. Dans ce cas, seuls les participants savent qui joue et ce qui se passe véritablement ; ainsi en est-il de la séduction entre deux êtres, jeu qui échappe à leur environnement. Le principe de ne pas réussir à tracer la ligne entre jeu et vie sérieuse se retrouve dans la danse où se côtoient le mouvement sexuel et le mouvement dansé. Les danseurs se laissent aller sous le couvert de la danse et font des avances directes.150 Cela s’apparente à la grivoiserie de Freud : il remarquait que les personnes qui perpétraient des blagues salaces testaient les réactions afin de reconnaître les personnes intéressées à réaliser ces blagues.151 Cela sous-entend que le jeu est un état d’esprit, une émotion passagère, un affect détectable et affirmable seulement par le pratiquant. Au moment où nous nous demandons si nous jouons, le jeu s’envole avant de revenir lorsque nous oublierons les tracas externes. Telle la prise de conscience du joueur qui, au moment même où il se questionne, à savoir s’il prend ce jeu trop à cœur, s’empêche de jouir de l’activité. La preuve que nous jouons réside dans la relation entre notre conscience et nos gestes. La personne qui joue a conscience des gestes qu’elle effectue dans l’optique que ceux-ci mènent au but du jeu. Le joueur oublie sa relation face à

149 Martine MAURIRAS BOUSQUET. 1984. Théorie et pratique ludiques : préface de Henri Dieuzeide. Collection «Vie psychologique». Paris : Economica, p.25

150 Mihaly CSIKSZENTMIHALYI. 1975. Beyond Boredom and Anxiety. Collection «Jossey-Bass behavioural science series». San Francisco : Jossey-Bass, p.107

151 Sigmund FREUD. 1992. Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient : traduit de l'allemand par Denis Messier ; préface de Jean-Claude Lavie. Collection «Folio/Essais». Paris : Gallimard, p.189

91 un jeu qui l’amène ensuite à réagir sous la forme de gestes.152 Cela va à l’encontre de l’ipséité. Nous vivons l’activité, mais si nous en sortons, nous obtenons une vision d’ensemble, cependant nous n’entretenons plus de lien direct avec elle. La personne ressent la sensation d’agir correctement pendant qu’elle pratique le jeu. Son attention se concentre sur le jeu, elle exclut ce qui ne le concerne pas.153

Dans le document Angoisse et activité ludique (Page 100-103)