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Les circonstances propices au jeu ou à la génération du jeu

Dans le document Angoisse et activité ludique (Page 103-106)

CHAPITRE II : L’ACTIVITÉ LUDIQUE

6. Les circonstances propices au jeu ou à la génération du jeu

Des moments, des lieux ou bien des activités s’avèrent plus propices que d’autres à ce qu’un jeu prenne forme.

a. La fête

La fête représente un excellent exemple d’activité ludique. J. Pieper explique cela en argumentant que la fête constitue une activité qui renferme sa propre fin et qui célèbre la vie.154 Elle contient l’élément autotélique : elle se suffit à elle-même et nous y vivons la libération des contraintes habituelles extérieures. Elle démontre que même si le ludique ne s’attache pas à des activités particulières, il se présente régulièrement dans les atmosphères de fête où tout se prête au jeu : elle augmente les probabilités que nous jouions. Tout appelle à jouer lors d’une fête parce qu’elle consiste en une exception de la vie courante, exception qui contient tout son monde. Les rangs sociaux habituellement respectés ne signifient plus rien. Turner avance l’idée de communitas, d’une abolition des rôles et des positions normales dans la société et de la perte d’un monde centré sur soi,155 ce que Durkheim appelle une effervescence sociale.156 Tout comme dans un jeu, la fête unit les gens dans une activité qui sort du profane. Elle réduit toutes les personnes qui s’y

152 Mihaly CSIKSZENTMIHALYI. 1975. Beyond Boredom and Anxiety. Collection «Jossey-Bass behavioural science series». San Francisco : Jossey-Bass, p.38

153 Ibid., p.40

154 Martine MAURIRAS BOUSQUET. 1984. Théorie et pratique ludiques : préface de Henri Dieuzeide. Collection «Vie psychologique». Paris : Economica, p.27-28

155 Victor Turner. Liminal to Liminoid, in Play, Flow, and Ritual : An essay in comparative Symbology. The Rice University Studies. Volume 60 n03, (1974). p.90

156 Émile DURKHEIM. 1912. Les formes élémentaires de la vie religieuse : Le système totémique en Australie. Collection «Bibliothèque de philosophie contemporaine». Paris : F. Alcan, p.307-326

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retrouvent à un rôle de participant, les inégalités s’estompent. Dans la fête, nous nous souvenons des règles que nous transgressons, personne ne les a abolies, nous ne les appliquons pas. Pour plusieurs auteurs dont S. Freud, G. Bataille et R. Caillois, la fête autorise une violation rituelle des interdits.157 Elle encadre et autorise des comportements hors de l’ordinaire. Elle nous laisse croire que son but tourne autour de l’excès que nous percevons tout au long de la fête. Cette composante évaluable contribue au renouvellement du contrat social et remet en place les énergies «cosmiques» qui traversent les individus et la société. Cela formerait le but principal de la fête.158

Les festivités s’accompagnent d’un sentiment d’exaltation et d’un retour aux fondements de la communauté.159 La fête démontre bien qu’un jeu n’est pas totalement réglé ou nouveau. Une partie de la fête se répète comme la date et les festivités, année après année. Ces durées fixes rappellent les manches ou les périodes de nombreux jeux. La fête se répète continuellement, elle possède une référence historique initiale, le souvenir de quelque chose, mais, selon son cycle, elle se réinvente, dans la continuité de ses répétitions. Une partie de la fête représente continuellement une innovation par ses activités particulières : danses, spectacles, allocutions, etc. L’ambiance qui habite les fêtes diffère de celle de la vie quotidienne.

Pour R. Caillois, les fêtes représentent un arrêt dans l’obligation de travailler.160 La fête se distingue de la routine du quotidien par son côté festif qui accepte la vie sous un angle différent de celui que nous valorisons régulièrement.161 Ce temps d’arrêt offre un moment qui permet de vivre ses rêves et de mettre ses responsabilités de côté. La logique mercantile de la vie habituelle n’impose plus son joug. Nous ne vivons plus dans le but

157 Martine MAURIRAS BOUSQUET. 1984. Théorie et pratique ludiques : préface de Henri Dieuzeide. Collection «Vie psychologique». Paris : Economica, p.30

158 Roger CAILLOIS. 1961. L’homme et le sacré. Collection «Essais», n045. Paris : Gallimard, p.132

159 Martine MAURIRAS BOUSQUET. 1984. Théorie et pratique ludiques : préface de Henri Dieuzeide. Collection «Vie psychologique». Paris : Economica, p.28

160 Roger CAILLOIS. 1961. L’homme et le sacré. Collection «Essais», n045. Paris : Gallimard, p.130

161 Eugen FINK. 1966. Le jeu comme symbole du monde : traduit en français par H. Hildenbrand et A. Lindenberg. Paris : Les éditions de minuit, p.122

93 d’engranger les profits, mais bien dans celui de dilapider. Et chacun peut gaspiller la richesse physique, mentale ou autre, qu’il possède.162

b. Le jouet physique ou l’accessoire du jeu

Les joueurs s’intéressent à certains objets qui détiennent un rôle dans l’activité pratiquée. Mais l’humain et l’animal jouent avec des images. Celles-ci surgissent de l’imagination et se projettent sur n’importe quoi. À ce moment, l’objet devient un objet de jeu. La preuve : des enfants joueront au soccer avec une vieille boîte de conserve ou un sac en plastique.

Quel statut détient le jouet si personne ne l’utilise? S’agit-il d’un jeu passif ou simplement d’un amoncèlement de règles ou d’objets sans valeur? Les pièces du jeu ne sont rien en soi. Il faut jouer pour qu’elles deviennent jeu : que nous entretenions une relation. Si le jeu se trouve dans un emballage, son pouvoir d’attrait diminue et il divertit peu ou pas. À l’inverse, l’envie que déclenche la vue d’une démonstration convainc bien des joueurs potentiels. Malgré cela, le jeu ne se réclame jeu qu’au moment où quelqu’un joue. Entre-temps, il lui manque la chaleur humaine ou l’activité humaine. Comme les dinosaures, les jeux sans vie n’offrent que des fossiles de ce qui composa une activité fort appréciée.163 Toutefois, un jeu sommeille et peut être réveillé par quelqu’un à n’importe quel moment. Pourquoi un ballon nous attire-t-il même s’il ne bouge pas? Nous ressentons un appel au jeu.164 La simple pensée d’un jeu peut amuser une personne sans qu’elle ne s’y adonne à ce moment. Les objets ne montrent pas tous leur utilisation. L’usage que nous en faisons s’inspire de notre instinct et très peu des qualités de l’objet.165 Pour la même raison, l’espace et le temps que nous accordons au jeu ne coïncident pas avec le temps et l’espace habituel. De la scène où les acteurs jouent s’élève une scène imaginaire où se déroulent des

162 Roger CAILLOIS. 1961. L’homme et le sacré. Collection «Essais», n045. Paris : Gallimard, p.166-167 163 Martine MAURIRAS BOUSQUET. 1984. Théorie et pratique ludiques : préface de Henri Dieuzeide. Collection «Vie psychologique». Paris : Economica, p.36

164 F.J.J. BUYTENDIJK. 1976. Wesen und Sinn des Spiels. New York : Arno Press, p.139

165 Martin HEIDEGGER. 1986. Être et temps : traduit de l'allemand par François Vezin. Collection «Bibliothèque de philosophie». Paris : Gallimard, p.105

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aventures dans un lieu et un temps imaginaires.166 Un décor ou une cérémonie nous rappellent des activités ludiques passées. Cela ne concerne pas tant l’objet que l’expérience antérieure.167

Dans le document Angoisse et activité ludique (Page 103-106)