• Aucun résultat trouvé

L’ANGOISSE ET LE JEU

Dans le document Angoisse et activité ludique (Page 197-200)

L’ANGOISSE ET LE JEU

Mettons maintenant ces deux possibilités de la liberté en relation et apprécions leur façon d’interagir l’une avec l’autre. Cela, après avoir longuement réfléchi et pris connaissance d’écrits et d’expériences au sujet de l’activité ludique et de l’angoisse, avec les définitions et les grands traits que nous avons tirés. Rappelons d’abord, d’une part, que le jeu est une activité gratuite, libre et remplie de possibilités dont certaines se réalisent. Et d’autre part, l’angoisse naît de travailler dur pour être fidèle à soi-même, de mettre au rancart de nombreuses possibilités de développement et de se sentir voué à la mort quoi que nous fassions. L’angoisse ne touche rien en particulier, il s’agit d’une impression qui se dégage des infinies possibilités qui s’offrent à un être vivant, ce qui ressemble au jeu, non pas celui qui prend place mais celui qui se retrouve dans toutes les activités ludiques. Et si l’angoisse n’était que l’énergie vitale bloquée par un obstacle quelconque? Sa propre limitation de profiter d’une vie unique et non pas multiple amènerait à ressentir de l’angoisse, comme un cours d’eau qui ne coule plus comme avant. Puis, l’obstacle surmonté ou assimilé à la nouvelle vie, la personne gagne un sentiment de joie sous la forme d’un souvenir d’un moment angoissant passé. Et par l’utilisation ou le laisser-aller de cet élan dans un jeu, la personne se sent réussir ou mener à terme la pulsion. Dans ce chapitre, nous élaborerons autour de cette question : le jeu répond-il à l’angoisse existentielle? Cette relation entre les deux thèmes découle du fait que le jeu simplifie beaucoup d’éléments de la vie et les utilise dans un contexte léger. Dans ses activités, le

186

sacré et le sérieux se côtoient. Cela nous laisse croire que tout jeu possède une portée métaphysique.

Et si le jeu offrait de toucher à l’angoisse, un sentiment que l’humanité partage. Le jeu qui suscite de l’angoisse offrirait donc un sentiment de communion avec toute la société, d’un seul coup. Ainsi, les jeunes, souvent des adolescents, qui s’adonnent à des jeux dangereux savent que toute personne déclare ces jeux dangereux. Elles font face à un sentiment qui leur permet de s’insérer dans un monde qui ne les appuie pas, mais qui ressent la même chose qu’eux. Cela va contre le sentiment de rejet et force l’inclusion de ceux qui pratiquent l’activité à la communauté. Et lorsque ces jeunes triomphent des affres, non seulement ressentent-ils de la joie par les sentiments d’accomplissements et d’occuper une place dans la société, mais c’est aussi toute la société qui s’en félicite. Les autres membres de la culture regardent ces jeux dits dangereux d’un œil favorable. Ces mêmes jeux permettent à un grand nombre de personnes de se défouler et de prendre plaisir dans des activités qui paraissent irrationnelles, mais qui offrent un haut degré de satisfaction à être perpétrées et admirées. Pour certains auteurs, l’angoisse prend naissance dans la relation tendue entre notre développement personnel pour nous-mêmes, l’individualité et du même coup la liberté et celui que nous effectuons pour la société, une comparaison avec les autres membres de la société. L’angoisse pourrait surgir de ce que la personne croit que la société attend d’elle, la conscience de ses actions et de décevoir ou de se faire rejeter, de l’intelligence des individus, de la compétitivité et des actions faites. Tout cela amènerait à générer une sorte de conflit puisque nous ne pouvons pas satisfaire pour les autres et nous- mêmes en même temps.

Nous nous interrogerons à savoir : si le jeu sert de catharsis ; si l’angoisse persiste lorsque nous limitons le monde et lui trouvons un sens ; si le jeu divertit temporairement et agréablement de la vie. Puis, nous démontrerons la position inconfortable de l’humain, que l’esthétique du jeu se satisfait, que l’activité ludique représente un summum pour l’être humain. Ultérieurement, dans le cadre du mélange du sérieux et du ludique, nous aborderons la limitation du monde au jeu, et finalement, le puérilisme, où le jeu se fait envahir par des prétentions sérieuses et vice-versa.

187

1. La catharsis de l’angoisse par le jeu

Nous abordions la catharsis par le jeu plus tôt dans cette thèse sans la définir exhaustivement. Nous décrirons en quoi consiste la catharsis car il s’agit d’un effet important du jeu ; il influence beaucoup l’attitude des personnes.

La catharsis représente la purification des émotions. En comparaison avec un traitement médical, elle se rapproche d’un purgatif. Elle agit tel un électrochoc qui active les muscles et provoque des convulsions, avant que la personne retourne à ses activités normales, s’étant débarrassée de ce surplus d’émotions. Ainsi, pour revenir au jeu et prenons comme exemple le théâtre, au moment de la levée du rideau, le spectateur commence à vivre des émotions suggérées par l’action qui se déroule sur la scène. Les mésaventures qui arrivent au héros amènent le spectateur à croire en une terrible injustice et à la vivre pendant quelques minutes. L’action évolue, stimule l’émotivité et cela fait boule de neige tout au long de la pièce ; finalement à la tombée du rideau, toutes les émotions suscitées par le spectacle quittent le spectateur. Il repart chez lui, dans le monde réel contenant ses préoccupations habituelles, soulagé du lourd bagage sentimental qu’il a accumulé pendant la pièce et qu’il y a laissé. La pièce de théâtre affecte directement les spectateurs et fait germer des émotions et des sensations qui se terminent avec sa fin. Le jeu du spectateur détient un statut particulier. La personne qui observe ne se fatigue pas en effectuant les mêmes gestes que les protagonistes, mais pourtant elle prend plaisir à voir le déroulement et se fatigue sur le plan émotif. Elle vit chaque rôle, chaque position puisqu’elle adopte une posture qui la force à conserver une distance qui procure la chance de critiquer ou de proposer son assistance aux joueurs.548 Le spectateur occupe le poste du meilleur joueur, mais il ne joue pas au même degré que les personnes sur le terrain. Pourtant, après une bonne représentation, les spectateurs se sentent épuisés ou survoltés dépendamment de ce à quoi ils ont assisté. En regardant quelqu’un ou nous-mêmes faire comme-ci, nous évacuons notre émotivité. Jouer constitue une thérapie. Il s’agit d’une expérience créative qui prend place dans la vie et qui conduit à vider ses réserves

548 F.J.J. BUYTENDIJK. 1952. Le football : une étude psychologique. Collection «Textes et études philosophiques». Paris : Desclée de Brouwer, p.47

188

d’émotions.549 Dans le cadre du jeu, nous vivons momentanément n’importe quel sentiment ainsi que certains comportements extrêmes ou actes répréhensibles : trahison, meurtre, violence, cannibalisme, viol, relation pervertie, égoïsme, fantasme irréaliste, plaisir de la malchance de ses adversaires, etc. Après avoir stimulé les émotions, il s’effectue une expulsion de ce trop-plein pour finalement retrouver un état reposé.550 Il s’agit d’un défoulement tel un abcès douloureux que nous crevons et cela apaise la douleur. Aristote décrit l’effet de la tragédie qui suscite la pitié et la frayeur chez la personne qui y assiste.551 Cet auteur affirme que la tragédie purifie les émotions qu’elle fait ressentir. Dans le jeu et le théâtre, les actions sur la scène cherchent à susciter des émotions précises chez le public. Le jeu offre en un temps réduit une panoplie d’émotions qui se déroulent et se développent beaucoup plus rapidement que dans la vraie vie. Ainsi, en peu de temps, le crime prend place, la personne passe par tous les états d’esprit et l’intrigue se termine en un point culminant. Nous voyons clairement l’effet des actions. Au même moment, le spectateur éprouve de la frayeur et de la pitié. En plus, il est capable de dire pourquoi il ressent ces émotions puisque l’activité lui donne une raison évidente, tandis que dans la vie, le déploiement de toutes les caractéristiques liées aux émotions peut nous passer sous le nez. La curiosité de voir comment des personnages qui nous ressemblent évoluent dans certaines situations nous amène à fréquenter le théâtre. Le développement vraisemblable des personnages présente des possibilités pour des individus semblables dans des situations analogues. L’apparent hasard suit un ordre utile au jeu et sert la trame narrative. Beaucoup moins d’événements surviennent devant les yeux du spectateur que dans sa propre vie. La pièce de théâtre se limite à ce qui s’y révèle utile. Les repas, les vêtements, les coiffures n’importent pas autant que les actions qui façonnent le drame. La vraie vie incorpore énormément de matériel qui ne brille pas par l’évidence du chemin que cela nous pousse à emprunter et il ne s’y manifeste pas d’être supérieur qui vient s’assurer que tout se termine bien. Il existe d’ailleurs une expression qui nomme les actions miraculeuses qui prennent place sur la scène et qui règlent tout : deus ex machina. Mais cela n’explique pas pourquoi

549 D. W. WINNICOTT. 1975. Jeu et réalité : l’espace potentiel : traduit de l'anglais par Claude Monod et J. B. Pontalis, préface de J.-B. Pontalis. Collection «Connaissance de l’inconscient». Paris : Gallimard, p.71 550 Maxime VACHON. La «catharsis» dans la philosophie aristotélicienne. Phares. Volume 12 automne 2012. p.142

551 Aristote. 1980. La poétique : le texte grec avec une traduction et des notes de lecture par Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot préface par Tzvetan Todorrov. Collection «Poétique». Paris : Éditions du Seuil, p.37

Dans le document Angoisse et activité ludique (Page 197-200)