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Des définitions du jeu selon différents auteurs

Dans le document Angoisse et activité ludique (Page 106-163)

CHAPITRE II : L’ACTIVITÉ LUDIQUE

7. Des définitions du jeu selon différents auteurs

Afin de mieux nous éclairer sur la nature de l’activité ludique, prenons connaissance de définitions et caractéristiques du jeu, données par différents auteurs.

Martine Mauriras Bousquet brosse une brève récapitulation de l’histoire du jeu dans le livre Théorie et pratique ludique. Elle aborde les grands efforts déployés pour cerner le jeu afin de décrire le monde.

D’abord, chez Héraclite, l’univers est un enfant qui joue. Plus précisément, dans le fragment #130 (52) «Le temps est un enfant qui joue en déplaçant les pions : la royauté d’un enfant.168» Cette utilisation du verbe jouer laisse planer le doute quant à un jeu gouverné par le hasard ou à un jeu dans lequel les pions se déplacent pour mener à un but. Mais l’idée derrière cet adage ne réduit pas la vie à un ensemble de mouvements chaotiques ne respectant aucune règle.169 L’enfant, qui personnifie le temps, vient à bout de son adversaire, l’humain, et le met à mort indéniablement. Des auteurs proposent qu’Héraclite choisit un enfant car il représente un être en devenir, alors que l’adulte consiste en un être défini.170 De plus, l’enfant pourrait représenter l’innocence et l’imprévisibilité qui guettent chacun d’entre nous.

166 Eugen FINK. 1966. Le jeu comme symbole du monde : traduit en français par H. Hildenbrand et A. Lindenberg. Paris : Les éditions de minuit, p.231

167 Martine MAURIRAS BOUSQUET. 1984. Théorie et pratique ludiques : préface de Henri Dieuzeide. Collection «Vie psychologique». Paris : Economica, p.38-39

168 Héraclite d’ÉPHÈSE. 1986. Fragments ; Texte établi. Traduit, commenté par Marcel Conche. Collection «Épiméthée». Paris : Presses universitaires de France, p.446

169 Ibid., p.448 170 Ibid., p.449

95 Ensuite, l’utilisation du verbe jouer met en lumière un apport d’Aristote, Saint Thomas et Leibniz. Pour ces auteurs : «il n’y a rien sans raison.»171 Cette interprétation ne nous laisse pas le temps de jouer, puisqu’une force supérieure organise tout. Par conséquent, le jeu ne s’avère pas libre. Il n’existe pas de zones temporelles vides, à remplir, dans un univers déterminé.

Puis, pour Schopenhauer, tout est absurde : Dieu est mort, l’univers n’a plus de sens, tout devient un jeu absurde et il ne reste à l’humain que la possibilité d’y participer ou non.172 L’existence au complet représente un terrain de jeu vide pour qui veut s’y insérer ; cependant, il faut s’en retirer en contrôlant ses désirs.

Vient Nietzsche qui tire le même constat négatif sur Dieu. Toutefois, au lieu d’abandonner, il encourage d’accepter sa condition et de participer activement à la vie.173 L’humain prend position et profite de sa liberté dans un énorme jeu.

Alors qu’Heidegger dépasse le constat d’absurdité, il déclare la métaphysique insensée, tout comme le jeu. Ni une ni l’autre ne s’explique pourtant que les deux prennent place.174 L’humain vit une réalité et il lui revient le choix d’en jouer ou d’y jouer. Avant Schiller, on touchait à la position ludique avec six approches différentes.175 Premièrement, une définition basée sur une anthropologie juridique où l’on perçoit le jeu comme une convention. Cela englobe une analyse des passions et des émotions que vivent les joueurs ainsi qu’une occasion de miser, de parier de l’argent. Deuxièmement, une classification des jeux selon leur «quantité» de hasard incluant celui du calibre de l’adversaire. Troisièmement, l’amour du jeu, l’amour du plaisir. Quatrièmement, une analyse des hasards et probabilités du jeu. Cinquièmement, l’intelligence déployée pour créer le jeu

171 Martine MAURIRAS BOUSQUET. 1984. Théorie et pratique ludiques : préface de Henri Dieuzeide. Collection «Vie psychologique». Paris : Economica, p.32

172 Ibid., p.33 et Martin HEIDEGGER. 2008. Le principe de raison : traduit de l'allemand par André Préau ; préface de Jean Beaufret. Collection «Tel», N079. Paris : Gallimard, p.240ss

173 Ibid., p.33 174 Ibid., p.33-34

175 Colas DUFLOS. 1997. Le jeu de Pascal à Schiller. Collection «Philosophies». Paris : Presses universitaires de France, p.50ss

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ainsi que pour y jouer. Sixièmement, l’analyse des passions que le jeu déclenche. Après ce tableau sommaire de l’évolution du jeu, en voici des définitions et des traits principaux.

a. James P. Carse

Carse développe le concept qu’il y a, somme toute, deux sortes de jeux : fini et infini. D’abord, un jeu fini qui se déroule dans une période de temps fixe où les joueurs jouent pour gagner et toute législation se fait avec l’accord des joueurs.176 Par exemple, les sports prennent place dans une législation époustouflante où l’on délimite les terrains, l’équipement prévu de même que les coups acceptés et interdits. Le jeu fini limite l’espace et le temps : ces limites lui permettent d’exister.177 Et puis la deuxième sorte de jeu : le jeu infini qui se développe à l’intérieur du monde. Ses limites chevauchent les mêmes que le monde normal. Par exemple, si le jeu est une œuvre, comme une cathédrale, son temps de jeu peut dépasser celui de la vie de ses constructeurs. Le jeu continue sans les initiateurs et se terminer des décennies plus tard. Aussi, les joueurs doivent choisir librement de jouer, personne ne peut se faire forcer à un jeu fini ou infini ni ressentir l’obligation de jouer.178 Locke donne un bel exemple qui illustre cela lorsqu’il parlait de la liberté d’un amant enfermé avec son amante : il se trouve heureux, satisfait, mais non pas libre.179

Les jeux finis placent le pouvoir d’altérer les règles hors du jeu, ainsi, ce qui briserait les règles se fait expulser.180 Il reste possible de ne pas participer. Notons qu’aucune règle ne force à suivre les règles ; sinon une règle devrait forcer à respecter la première et un autre l’autre, cela ne finirait pas.181 Alors, si nous demandons pourquoi telle

176 James P. CARSE. 1988. Jeux finis, jeux infinis : Le pari métaphysique du joueur : traduit de l'anglais par Guy Petitdemange avec la collaboration de Pierre Sempé. Collection «Tel», n0130. Paris : Éditions du Seuil, p.11ss

177 Ibid., p.113 178 Ibid., p.12

179 John Locke. 2009. Essai sur l’entendement humain : traduction par Pierre Coste ; établissement du texte, présentation, dossier et notes par Philippe Hamou. Collection «Le livre de poche», n031387. Paris : Le livre de poche, p.397-398

180 James P. CARSE. 1988. Jeux finis, jeux infinis : Le pari métaphysique du joueur : traduit de l'anglais par Guy Petitdemange avec la collaboration de Pierre Sempé. Collection «Tel», n0130. Paris : Éditions du Seuil, p.13

97 règle et ensuite pourquoi cette explication, nous terminons sur une question de goûts parfois basés sur des idéaux. Tandis que les règles du jeu infini ne visent pas le même but que celles du jeu fini. Celles du jeu infini changent au cours du jeu afin d’empêcher une victoire ou une défaite, ce qui clorait le jeu. Celles du jeu fini servent de contraintes qui, bien maniées, amènent à la défaite de l’adversaire. Dans l’exemple du discours ; le jeu infini légifère afin que la discussion continue tandis que le jeu fini déploie des règles afin que les participants réussissent à suivre des procédures pour vaincre leurs adversaires en leur clouant le bec.182 La principale distinction consiste en ce que le jeu infini appuie le développement tandis que le jeu fini le limite.

Les joueurs des deux types de jeux progressent différemment. Celui du fini contrôle son environnement et s’entraîne à réagir à toutes les éventualités. Le joueur de l’infini joue avec l’éventualité de se faire surprendre.183 Ce dernier ne s’intéresse pas tant à la progression mais à ce qu’il reste d’incomplet. Le jeu n’a pas de fin, il se métamorphose. Le jeu infini peut comporter plusieurs jeux finis qu’il replace dans le cadre plus large des jeux infinis.184

Les vainqueurs des deux types de jeux n’obtiennent pas le même prix ou la même satisfaction. Celui du jeu fini gagne un titre : il prouve sa valeur et obtient une reconnaissance, une réputation de sa victoire. «Dans la mesure où un jeu fini a toujours son public, c’est du public que le joueur du fini cherche à être reconnu comme vainqueur. En d’autres termes, le joueur du fini doit non seulement avoir un public, mais un public à convaincre. Comme les titres de vainqueurs sont sans valeur à moins d’être visibles pour les autres, il y a aussi une sorte d’antititre attaché à l’invisibilité. Dans la mesure où l’on est invisible, on a un passé qui condamne à l’oubli.185» Les vainqueurs défendent régulièrement leur titre et réitèrent leur suprématie ; voilà pourquoi ils persistent et ne se retirent pas après une seule victoire. D’autre part, une partie du succès se transmet au groupe : les entraîneurs, la famille, le public, toute personne ayant appuyé le joueur. Aussi,

182 Ibid., p.18 183 Ibid., p.28 184 Ibid., p.120 185 Ibid., p.93-94

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la réputation déborde l’environnement restreint du jeu. Nous reconnaissons les champions dans la rue et certains deviennent si célèbres que même des non-connaisseurs du jeu les reconnaissent et les admirent. De plus, il faut préciser qu’un joueur gagne un prix et non un salaire, celui-ci récompensant le travail alors que le jeu prend place dans une autre dynamique. Tandis que dans le jeu infini, nous n’avons que notre nom qui ne provient d’aucun mérite. Un titre irait à l’encontre de cette sorte de jeu.186 Sans titre, nous ne savons pas à quoi nous attendre. Ainsi, les avenirs se partagent et se forment mutuellement lorsque les joueurs s’engagent dans la temporalité.

La défaite, lors d’un jeu fini, offre deux choix. Soit nous devenons morts dans la vie, c'est-à-dire que nous ne rejouons pas et ne tentons pas de trouver un titre de reconnaissance. Soit nous devenons vivants dans la mort, moment où le titre perdure et demeure attitré au joueur. Dans le jeu infini, la mort fait partie du jeu qui continue, malgré le décès des participants. Cet événement offre des possibilités supplémentaires.

Les joueurs du fini et de l’infini possèdent des idéologies différentes ce qui engendre comme conséquence de vivre quotidiennement des différences. Par exemple : ils ne partagent pas la même vision du mal. Dans le fini, le mal consiste à éliminer le mal. Le joueur de l’infini reconnaît aussi que la vraie pulsion du mal s’intéresse à faire disparaître le mal. Cependant, sa solution prend la forme d’une acceptation des faits et il essaie de contenir le mal.187

James P. Carse aborde le jeu de la séduction. Dans une compétition sexuelle ’’finie’’, le vainqueur remporte le vaincu. Il s’y trouve aussi des titres acquis par des démonstrations de capacités.188 Une approche du jeu infini encourage le support, l’exploration, la découverte de soi.189 Les joueurs évoluent à partir des expériences successives. 186 Ibid., p.38 187 Ibid., p.47 188 Ibid., p.102 189 Ibid., p.107

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b. Johan Huizinga

Huizinga demeure un auteur incontournable qui a laissé son empreinte sur le monde de l’activité ludique grâce à tout son travail sur le jeu. Il ose définir le jeu ou du moins lui reconnaître certaines qualités, dont le rôle qu’il tient dans le développement d’une société. Il définit l’essentiel du jeu et démontre que le jeu se retrouve partout dans la culture en plus de lui insuffler la vie.190 Huizinga le qualifie ainsi : une action libre et volontaire, une fiction, hors du cours habituel du temps. Il absorbe le joueur, lui procure joie et tension, ne comporte aucun intérêt et aucune utilité. Le jeu se déploie dans un temps et un espace limités par ses règles. Son déroulement suit des règles et encourage les relations entre les membres du même groupe, mais dans un monde différent, fictif.191

Il insiste sur la qualité esthétique du jeu.192 Le but du jeu est d’être un jeu : une activité réglementée, désintéressée, qui ne crée ni offre ni profit.193 Huizinga élimine les jeux de hasard qui paient (courses de chevaux, casinos, loteries, etc.) ainsi que les compétitions professionnelles du jeu parce que le jeu ne doit pas avoir de répercussion sur le monde sérieux. Difficile de trouver un jeu qui illustre bien la description selon Huizinga : un jeu non lucratif et qui n’enseigne pas de connaissance pratique. Les échecs constituent un bon exemple de jeu puisqu’ils n’apportent rien hors des échecs. Il faut vaincre dans le jeu en respectant les règles du jeu et non pas à l’aide de toute nos possibilités et connaissances hors-jeu.

Huizinga circonscrit la notion du jeu comme suit : les jeux ne sont bons à rien, mais pourtant les participants nous démontrent bien qu’ils sont bons à tout.194 Pour Huizinga, le désir de jouer ne s’explique pas par le désir de se dépenser ou de se pratiquer. Ces deux désirs ne rendent pas bien la totalité de l’expérience ludique qui sert d’expérimentation de

190 Roger CAILLOIS. 1991. Les jeux et les hommes : le masque et le vertige. Collection «Folio/Essais», n0184. Paris : Éditions Gallimard, p.31ss

191 Johan HUIZINGA. 1951. Homo Ludens: essai sur la fonction sociale du jeu : traduit du néerlandais par Cécile Seresia. Collection «Essais», n047. Paris: Gallimard, p.35

192 Ibid., p.27ss

193 Gabor CSEPREGI. 1986. Philosophie du corps et esthétique du sport. Québec : Thèse de doctorat produite à l’Université Laval, p.117

194 Mihaly CSIKSZENTMIHALYI. 1975. Beyond Boredom and Anxiety. Collection «Jossey-Bass behavioural science series». San Francisco : Jossey-Bass, p.93

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nouvelles façons de vivre. La principale théorie de Johan Huizinga avance que le jeu se trouve à la base de toutes les cultures.195 Le titre de son œuvre Homo Ludens laisse entrevoir que le jeu assimile la culture et tout ce qui touche l’humain.196 Le jeu altère la vie, s’y insère et la facilite. On retrouve ce fonctionnement dans le duel qui représente une activité bien encadrée et qui sert à éviter la mort d’un peuple par la présentation d’un seul combat. Par la victoire et la défaite d’un individu, une peuplade entière joue son destin lors d’un duel ritualisé qui évite la malhonnêteté ainsi que les excès imputables à la colère.197

Le joueur désire recevoir et conserver les honneurs remportés dans le jeu ou bien obtenir l’approbation de ses semblables. Les concours prouvent sa supériorité sur ses adversaires. Il représente le parachèvement des vertus du jeu auquel il s’adonne. Le succès dans un jeu apporte des louanges qui viennent toucher une corde sensible.198 Beaucoup de gens recherchent le plaisir des compliments qui accompagnent la victoire. Dans la civilisation archaïque, on appelait vertu la démonstration des valeurs et aptitudes dans des circonstances précises. Des compétitions s’organisaient lors des fêtes sacrées, une habitude que nous avons perdue.199 Nous pouvons obtenir la reconnaissance à travers plusieurs activités qui prennent la forme d’une joute. En voici quelques exemples : des joutes de vantardise, de beuveries, de goinfrerie et même le potlatch : activité où la personne qui sacrifie le plus l’emporte (maison, femme, enfants inclus). Les fêtes se présentent aussi comme un jeu : nous les préparons et elles proposent des occasions de socialiser. La guerre entre aussi dans une dynamique de jeu lorsque nous la percevons sous l’angle de la chevalerie qui requiert l’honneur ou la sainteté. Mais, plus communément, les exemples suivants rendent compte de la pluralité de jeux ainsi que de l’étendue de ces activités qui nous touchent tous. Le sophiste est un joueur itinérant qui trimbale énigmes et connaissances amusantes. Puisqu’il ne se prend pas au sérieux, le sophiste est un joueur à l’opposé du philosophe. Si nous considérons la philosophie comme un jeu, supposément un

195 Johan HUIZINGA. 1951. Homo Ludens: essai sur la fonction sociale du jeu : traduit du néerlandais par Cécile Seresia. Collection «Essais», n047. Paris: Gallimard, p.84-85

196 Charles CAUCHY. 1975. Analyse et commentaire d’une théorie contemporaine du jeu et de son rôle dans la culture. Québec : Mémoire de maîtrise produit à l’Université Laval, p.11-12

197 Johan HUIZINGA. 1988. Homo Ludens : essai sur la fonction sociale du jeu : traduit du néerlandais par Cécile Seresia. Collection «Tel». Paris : Gallimard, p.159

198 Ibid., p.110-111 199 Ibid., p.316

101 jeu noble, quelques-uns cherchent l’adoration et deviennent l’équivalent d’athlètes rémunérés. Les humoristes amusent par opposition aux professeurs sérieux. Après tout, nous comparons bien un bon orateur à un acrobate des mots ou à un jongleur. Chez les anciens Grecs, le langage servait à donner un spectacle. Il se déroulait même des compétitions de déclamations.200 Le droit fait aussi partie du nombre d’activités qui entrent dans la dynamique du jeu dans les civilisations primitives selon Huizinga. On y considère le procès comme une compétition, une joute verbale, un jeu de hasard.201 Dans cette optique, le participant gagne ou perd le droit et la justice. Huizinga va jusqu’à énoncer qu’un procès ennuyant s’avère un procès perdu d’avance. Au même titre que la défense légale, Huizinga affirme le sacré pareil au jeu, mais qui conserve son mystère, tandis que le jeu se démystifie, s’expose.

Tous les jeux auxquels nous pensons s’attachent au concept de jeu. Nous le savons lorsque nous nous exposons au jeu et ce même sans pouvoir en offrir une définition stricte. Le jeu est une fonction riche de sens. Il signifie quelque chose, il nous touche régulièrement. Si nous le réduisons à l’instinct, nous n’en disons rien et en le définissant comme spirituel, nous dépassons ses capacités. Il possède un caractère immatériel.202 Il n’existe pas de vrai jeu ou de faux jeu ni de jeu sage ni de jeu sot.

1. Le rôle du jeu dans la création de la culture chez Huizinga

Pour Huizinga, la culture débute par des jeux. Une période d’adaptation prend place en s’amusant et en puisant dans la fantaisie et l’imaginaire avant que ne se sclérosent ces gestes, actions et impressions pour devenir la norme. Huizinga présente un humain plus grand, plus éduqué que l’homo faber : l’homo ludens. La culture copie le jeu, elle s’en inspire. Elle dresse des conventions : les règles de la musique, les règles de droit, la tactique militaire, etc.203

200 Ibid., p.248 201 Ibid., p.135 202 Ibid., p.16

203 Roger CAILLOIS. 1991. Les jeux et les hommes : le masque et le vertige. Collection «Folio/Essais», n0184. Paris : Éditions Gallimard, p.125

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Huizinga veut donner une place spéciale au jeu, non pas l’insérer dans la culture, mais en faire un tout en soi. Le jeu occupe un rôle important dans l’émulation ludique qui précède la culture.204 Plus le jeu se joue en groupe et plus, par conséquent, il représente la culture. Huizinga ne dit pas, bien que plusieurs auteurs le lui font dire, que la culture est jeu, mais qu’elle se structure comme un jeu et qu’elle surgit du jeu avant de laisser ce dernier dans son ombre et de s’en dissocier. Cela nous amène à voir les jeux comme de simples divertissements et évasions.205 Huizinga va jusqu’à énoncer que la vie est comme un énorme théâtre dans lequel nous jouons tous.206 Par exemple, prenons la vie de voleur, sous l’angle du jeu elle se découpe en plusieurs actions : l’entrée par effraction, la saisie du butin, la sortie, la défense en cour après avoir été pris, le temps en réhabilitation, etc. Cette idée se retrouve dans la spiritualité hindouiste et dans beaucoup de théories portant sur la vie sociale.

Lorsque le jeu deviendra culture, un tricheur deviendra un criminel. Quand le jeu change pour le sérieux, il obéit à des normes obligatoires à respecter et il s’éloigne du divertissement. Nous retrouvons bien l’ambiguïté du jeu qui, d’un côté, consiste en une activité adulte dégradée, et d’un autre côté possède une fécondité qui occasionne le développement de conventions qui évoluent en une culture.207 Bien des actions

Dans le document Angoisse et activité ludique (Page 106-163)