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Conclusion

Dans le document Angoisse et activité ludique (Page 82-89)

CHAPITRE I : L’ANGOISSE

4. Conclusion

Nous avons pris connaissance de nombreuses définitions, composantes et émotions liées à l’angoisse. D’abord, la liberté constitue une part très importante de l’angoisse : ou bien notre vie s’avère toute tracée et hors de notre contrôle, ce qui en vient à croire en une destinée que nous concrétisons ; ou bien notre condition humaine nous expulse du néant, en nous dotant de la liberté, et nous nous retrouvons responsables de tout puisque nous ne pouvons plus nous tourner vers une force supérieure qui nous aurait créés avec un dessein précis. Si quelque chose nous munit du libre arbitre, nous lui imputons alors la responsabilité de tous les choix que nous effectuons ; autrement, nous conservons le choix de décider de la façon d’aborder les composantes de la vie. Même les lois des sciences, comme celles de la biologie, ne prévoient pas complètement la vie de quelqu’un. Si nous acceptons l’existence d’un libre arbitre nous autorisant une certaine liberté dans le déroulement de notre vie, nous découvrons que le néant provient de cette brèche indéfinie. Notre libre arbitre se sert de filtres, tel l’esprit critique, pour identifier les idéaux qui nous inspirent et que nous mettrons en pratique. Nous luttons contre le chaos de la liberté pure. Nous essayons d’atteindre une certaine constance et de vivre en harmonie avec nous- mêmes, bien que par moment nous pensions accomplir l’action opposée à celle que nous effectuons. Et, même si les idéaux n’abondent pas, nous faisons preuve de créativité lorsque nous agissons en nous prévalant d’une variable bien unique et représentative de notre personne. Cependant, il arrive parfois que nous subissions des évènements que nous n’avons pas anticipés mais qui en fait résultent des choix effectués antérieurement. L’imprévisible demeurera toujours au sein de l’existence humaine, car nous ne nous connaissons pas complètement. Nous cumulons des connaissances, à travers notre existence empirique, mais cela ne nous explique pas pourquoi certaines choses existent et d’autres pas. Nous ne comprenons pas encore ce qui comblera notre insatiable désir de tout connaître. Nous adoptons la position de spectateur de notre vie, sans savoir d’où provient le

71 spectacle ni où il va. Le hasard et les constantes nous étourdissent. Malgré cela, nous reconnaissons que l’imprévu ne survient pas à tout moment et qu’il existe des événements prévisibles. Nous ne pouvons pas blâmer le hasard pour tout ce qui existe, car certains acteurs de l’actualité ou de l’histoire influencent les événements.

Grâce à notre liberté et à notre état de créature indéterminée que nous déterminons à notre guise, nous errons sur la terre, sans guide précis, dans l’incertitude de ce que nous accomplissons, propulsés sans raison et sans but clair. Nous ne réussissons même pas à intégrer, à accomplir ou à insérer dans notre vie ce que nous désirons et nous ne découvrons pas d’être suprême à travers les faits que nous percevons. L’humain qui prend conscience de sa conscience s’interdit une vie passive et emprunte le tortueux chemin de la vie absurde. Il ne s’agit pas ici du stress de performance ou de celui qui accompagne une tâche difficile, mais bien de l’angoisse qui relativise l’importance même d’accomplir ou non la performance. Celle-ci génère de l’angoisse par l’incapacité à réunir toutes nos possibilités dans une action unique action. Nous croyons échapper au cours normal de la nature, mais notre condition exige l’incarnation, car nous vivons dans les choses, même si nous pensons que l’intelligence et la connaissance d’idéaux nous rapprochent de l’intangible. Mais seule la vie nous contraint à vivre. Que nous ayons décidé ou non d’exister n’importe pas et notre propre survie dépend maintenant de nos agissements. Nous ne pouvons pas nous débarrasser de nous-mêmes. Aussi, nous avons une affectivité, et ce, sans même la désirer, tout comme nous percevons l’angoisse sans être capable de déceler pourquoi. Indéniablement, notre corps ressent de l’anxiété et cela nous met en relation directe avec l’angoisse. Nous nous soumettons à notre émotivité liée à notre condition humaine. Naturellement, nos possibilités nous laissent croire que nous tenons un rôle important en ce monde. Cela motive notre capacité de réfléchir et toutes les actions que nous posons. Les buts que nous nous fixons : évoluer, comprendre, progresser, s’avèrent une invention humaine. Le monde se porterait aussi bien sans notre présence, mais nous existons et devons faire avec, donc nous trouvons une raison et un but à notre existence. Le fait que le monde tournerait avec ou sans nous suscite de l’angoisse. Notre liberté englobe la possibilité de vivre, d’effectuer de grands actes, et à l’inverse elle impose aussi l’idée que le monde puisse tourner indépendamment de nos choix. Les limitations du corps ainsi que

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celles de l’esprit nous affligent et nous obligent à reconsidérer la prétention du summum du corps et de l’esprit : nous sommes notre propre fardeau avec nos besoins physiques et intellectuels. Nous ne nous limitons pas à une seule de ces facettes et, par conséquent, nous devons les satisfaire. Au moment où nous comblons nos besoins surgit la question : pourquoi? Nous nous sentons responsables de nous-mêmes et nous ne pouvons pas nous fier à quoi que ce soit pour nous assurer de bien nous comporter. Parce que nous vivons sans repère, sans absolu, nous continuons d’exister tel un affront pour le néant, apparemment homogène et sensé, lui. Un sentiment d’inutilité de la vie transcende la vie. Pourtant, lorsque nous observons notre vie, nous pouvons extrapoler sur ce qui suivra : quels actes porteront à conséquence et lesquels s’oublieront rapidement.

Nos connaissances limitées nous confinent au bord du précipice de l’inconnu qui nous angoisse autant que nos connaissances, pleines d’illusions, qui croissent au fur et à mesure que nous grandissons en sagesse. En effet, les avancées scientifiques nous permettent de savoir qu’il peut nous arriver inopinément un accident, mais cette fatalité existe et nous n’y pouvons rien, elle ne constitue qu’une statistique. Notre existence limitée fait pâle figure devant l’infinité des connaissances. Nous voulons tout connaître, mais cela nous est impossible, car il faut limiter la connaissance infinie afin d’en absorber la partie finie. Nous ne connaissons que les existants, car ce qui fait que quelque chose existe ou non nous échappe. En conséquence, nous ne tenons pas compte de ce qui n’est pas, par moment ou par endroit. Nous accolons nos connaissances à notre environnement et nous croyons ainsi tout expliquer. Cependant, comme la nature qui nous fascine et que nous essayons d’élucider, nous vivons d’abord, pour ensuite connaître. Porter le monde sans en savoir la raison suscite de l’angoisse.

Pour Heidegger, la mort joue également un rôle important dans l’angoisse, car elle clôt notre existence : ce qu’il appelle être-pour-la-mort. Elle témoigne d’un non-sens, d’une fin du sens donné et de l’échappée de notre subjectivité vers un autre état. Ce passage inévitable nous rattrape tous à un moment ou à un autre. Mourir ne nécessite aucune préparation, l’accepter signifie du même coup accepter la fin de la vie. Heidegger insiste sur le fait que l’angoisse surgit du néant, provenant des idéaux que nous imaginons et que

73 nous visons. Nous transformons ces idéaux afin de les placer dans notre monde qui existe momentanément avant de s’effriter dans le néant. Nous définissons des objets grâce au néant, par l’existence des limites et par ce qu’ils ne sont pas. Lors du décès, il devient possible de cerner toute la vie de la personne et sa définition n’évoluera pas puisqu’elle ne dispose plus de la liberté. Le retour de notre conscience au néant, lors de notre décès, représente une source d’angoisse. Le souvenir d’avant notre existence nous échappe autant que celui d’après. Cela démontre le rapport d’inutilité de la vie face à la mort et du même coup notre destin se révèle être le néant. Les objets n’ont pas besoin d’exister pour sombrer dans le néant, car ce qui n’existe jamais y est en permanence. Tout ce que nous ne percevons pas et que nous ne pouvons imaginer demeure dans le néant. Ce qui disparaît demeure en nous sous la forme d’un souvenir pendant une certaine durée et s’évanouit avec notre trépas, mais en relativisant, tout cela n’a pas plus d’importance que l’existant.

Les différentes définitions de sentiments que nous venons de voir nous ont fait prendre conscience de la diversité des angoisses que nous pouvons vivre, et surtout du rôle que nous jouons dans l’éclosion de ce sentiment, de cette impression bien personnelle qui surgit lorsque nous nous sentons dépassés par le simple fait d’exister. Cela se manifeste comme une panique qui nous surprend lorsque nous nous découvrons le devoir de donner un sens à quelque chose qui n’en avait pas auparavant, et qui nous fait basculer dans le non- être lors de la mort. Cela peut également être un sentiment d’inquiétude de devoir envisager sans pouvoir pallier toute éventualité à sa disparition prochaine. L’angoisse naît également de la relation entre notre existence affective et notre sens du devoir. Souvenons-nous donc que l’angoisse conserve un lien avec la liberté, soit par le refus d’alternatives que nous propose notre liberté lorsque nous effectuons des choix ou bien par la prise de conscience de notre retour à l’infini. Donc, nous ressentons de l’angoisse à travers les choix de vie ou des idéaux qui excluent des possibilités ; ces choix nous demandent de nous y tenir, et cela tout au long de notre vie jusqu’à notre anéantissement. Même si nous réussissions à insérer ces idéaux, ils effaceraient notre individualité et du même coup anéantiraient notre être pour le remplacer par le leur. Si nous voulons agir vertueusement dans une situation, les bons gestes ne se déploient pas malgré notre volonté et notre imagination. Par moment, nous nous angoissons de la réaction qui prendra place et de savoir si elle se rapprochera du

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but escompté. Si quelqu’un réagit plus rapidement que nous, la situation ne nous offre pas de briller par notre vertu. La logique voudrait que puisque nous ne démontrons pas nos qualités, par conséquent nous ne les possédons pas «officiellement».

Sartre avance qu’à travers l’existence nous rencontrons le néant. Lorsque nous décidons consciemment de nos actions, nous nous coupons des possibilités infinies. Il insiste sur l’idée que la limitation de notre liberté amène son lot d’angoisse. Nous nous dissocions des futurs possibles et nous réaffirmons ce choix régulièrement afin de nous assurer que nous nous développons comme nous le désirons. Nous ne savons jamais clairement quel choix effectuer parmi tout ce qui s’offre à nous ; notre responsabilité, révélée par une intégrité qui nous pousse à conserver le choix effectué, fait naître une angoisse car, ce faisant, nous nous sentons limité dans notre liberté.

Pour Kierkegaard, pousser la personne dans une voie ou vers des idéaux suscite de l’angoisse. Celle qui vise un idéal éthique parce qu’on le lui demande et qui ne comprend pas pourquoi, mais qui obtempère, développe de l’angoisse. Cette dernière se situe entre la possibilité et la nécessité. La prise de position ne rencontre plus l’idéal du possible ni celui du nécessaire et déplaît, créant de l’angoisse. Nos sens nous nuisent lorsque nous cherchons à reconnaître meilleur des choix qui s’offrent à nous. Ils nous entraînent à rechercher plus le plaisir que le bien. Ce que nous désirons s’avère néfaste et ce qu’on nous conseille ne nous intéresse pas. Freud va dans le même sens lorsqu’il décrit le malaise de la civilisation. En écoutant nos sens et nos sensations et, par ailleurs en obéissant aux exigences de la société, nous ressentons de l’angoisse. Les valeurs de la société qui ne coïncident pas avec nos idéaux alimentent l’angoisse. Pour Kierkegaard, les choix que nous effectuons et que nous tâchons de réaliser entraînent de l’angoisse parce que d’une part ils limitent notre liberté en valorisant plus un élément qu’un autre, et d’autre part parce que nous ne devons pas faillir à leur réalisation. Nous relevons le défi perpétuel d’être nous-mêmes face au prévisible et à l’imprévisible. Donc, il se manifeste une certaine peur d’avoir peur qui se nourrit des possibilités de notre liberté.

75 La présentation des sentiments a démontré que l’angoisse consiste en une appréhension de l’inconnu, qu’il s’agisse de ce qui va survenir ou de notre réaction dans une situation. Elle se ressent toujours de façon désagréable, jamais elle n’ajoute de positif par sa présence bien qu’elle puisse servir de matériel au courage ou à des événements plaisants. L’angoisse ne se base donc pas sur le présent, mais elle puise plutôt dans le passé et dans le futur afin que l’objet angoissant demeure hors de la portée. Ce sentiment accompagne la condition d’existant et non pas le simple fait d’exister. La plupart des émotions requièrent la conscience de la temporalité : soit qu’elles surgissent de la mémoire d’un événement passé, ou bien d’une appréhension du futur et des conséquences que nous vivrons. L’angoisse se caractérise par une impression de vide ; l’impuissance et le désespoir peuvent s’y ajouter. Nous ne cernons pas précisément ce qui suscite l’angoisse sinon nous la transformons en peur. Si, dans une certaine situation, nous craignons pour notre vie, nous ressentons de la peur et non de l’angoisse parce que nous en identifions la source. Tandis que nous ressentons de l’angoisse si nous craignons de ne plus exister sans déterminer la façon de disparaître. Un sentiment comme la joie dissipe l’angoisse puisqu’il implique une totalité satisfaisante. Par exemple, les alternatives ainsi que les développements qui prennent place dans l’amour et au nom de l’amour demeurent positifs et font partie d’une totalité qui teint le monde d’optimisme au nom d’un idéal. La joie nous rappelle ce que nous sommes capables de ressentir ainsi que ce que nous manquons lorsque nous ne la ressentons pas.

L’angoissé ne perd pas tous ses moyens et ne recherche pas la fuite de ce sentiment coûte que coûte. Il lui demeure possible de réfléchir sur ce qui se passe même si l’angoisse rend la rationalisation plus difficile. D’ailleurs l’angoisse nécessite une sorte d’intellection qui ne réussit pas à se décider et à limiter les alternatives possibles à la seule qui prendra place. Dès la prise de conscience de notre propre existence, nous ressentons de l’angoisse. Ensuite, lorsque nous essayons de lui donner un sens, nous continuons à l’alimenter. Découvrir un sens ferait disparaître le côté absurde de l’existence. Bien que l’angoisse puisse paralyser et ainsi amener à faire des choix irréfléchis, il ne s’agit pas de la terreur. Les effets de l’angoisse ressemblent plus à ceux de la peur même si l’angoisse peut se développer d’une façon si intense qu’elle se rapproche de la terreur. Un épisode d’angoisse

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étourdit un peu, mais surtout il empêche de prendre une décision puisque son résultat demeure inconnu parmi tellement de possibilités. Il nivelle tous les résultats éventuels à de simples possibles. Un résultat n’a pas plus de chance de se réaliser que les autres et la suite tombe elle aussi dans les infinies possibilités. Toute cette longue chaîne bouche les issues de l’avenir et il peut en résulter de la crainte et du stress. Par exemple, il s’avère inévitable qu’à un moment nous n’existions plus. Cela peut susciter du stress et de la peur. Si, en plus, nous essayons de prévoir les éventualités que propose un stade inexistant, alors l’angoisse se fait sentir. Elle nous suggère plusieurs alternatives autant positives que négatives. De ce grand nombre, une seule se réalisera. Nous pouvons nous concentrer sur le côté positif de l’angoisse. Elle suscite de la joie, de l’espoir et du courage, qui motivent les individus. L’espoir pour qu’une des bonnes alternatives se réalise conduit les personnes à redoubler d’ardeur pour que les négatives demeurent dans le néant. En se concentrant sur le bonheur, les individus gardent espoir et font preuve de courage ; ils continuent d’agir dans l’adversité et n’abandonnent pas face au poids de l’angoisse. Ils sacrifient énormément de possibilités afin que se réalise leurs buts. Mais en définitive, n’importe quelle alternative peut se produire puisque rien ne nous assure que nous réussirons à réagir de la bonne façon lors de l’événement et tout cela se déroulant dans un monde absurde ne peut qu’être à son tour absurde. Donc, il nous revient d’édifier un système qui cache ce côté absurde de la vie.

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