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3.4 Donner forme à l’immatériel

3.4.4 L’art informationnel comme alternative

De "l’architecture de l’information" annoncée par Richard Saul Wurman à "l’Information arts" que Stephen Wilson envisage à l’intersection de l’art, de la science et de la technologie, ou encore "l’info-aesthetics"103 de Lev Manovich, cette recherche se focalise plus particulièrement sur un art qui consisterait à donner forme à l’information pour visualiser les données. Plus spécifiquement dans le cadre du design d’interface, rendant compte à la fois de la nature des informations, de leur tissu relationnel, mais aussi des moyens de s’en emparer pour leur donner les formes de connaissances ultérieures.

Rendre visible ces configurations de sens s’avère essentiel dans le processus de globalisation des systèmes d'information : « …si nous voulons une connaissance

pertinente, nous avons besoin de relier, contextualiser, globaliser nos informations et nos savoirs, donc de chercher une connaissance complexe. » [MORIN 99,

p.456-457] [MORIN 91]

[MANOVICH 04] propose une lecture des images opératoires émergeant des réseaux d’information en tant que nouvelles formes d’abstraction rendant compte de la complexité des systèmes de communication actuels selon ce qu’il nomme

l’esthétique de la complexité. Tous les systèmes sont porteurs de complexité, ce

antérieurement aux TIC, qui tout en l’étant intrinsèquement proposent une lecture multidimensionnelle des informations qu’elles véhiculent : ce qui ajoute un niveau de complexité sur la complexité initiale. Les potentiels d’enregistrement et de stockage sont à présent gigantesques, les technologies de l’information produisent un système de métadonnées de la complexité par les langages de balises : les données de description appliquées sur des sources informationnelles conséquentes. Intervient la nécessité d’avoir un système de visualisation104 adapté à cette surenchère d’information, y compris sur des micro-environnements de bases de données.

En regard des deux représentations majeures en Art que sont la figuration et l’abstraction, l’abstraction graphique issue du code de programmation peut être considérée comme une grammaire minimaliste au vocabulaire formel constitué de figures géométriques colorées. Cette abstraction apparaît comme une alternative aux problématiques de visualisation déjà mentionnées (cf. 2.4.1 et 2.5.3) pour :

- tenter de traduire les informations dynamiques, la complexité de leurs relations potentielles

- proposer un univers métaphorique suffisamment basique afin que la variabilité des perceptions d’usagers puisse y trouver un support d’inférences.

En observant à nouveau les expérimentations menées au sein de l’Aesthetics + Computation Group et présentées dans l’ouvrage « Code de création » [MAEDA 04] : force est de constater que les langages informatiques orientés à des fins de création artistique expérimentale restituent une esthétique relevant de l’abstraction plus que de la figuration. Passant des débuts de l’abstraction géométrique dont les théories de Kandinsky sur le point, la ligne sur le plan aux lois de regroupement de la Gestalt theory : c’est une grammaire visuelle fréquemment à base d’éléments

104 L’absence de limite de la profusion informationnelle, contraignante sur le plan scientifique, ne gêne pas les approches artistiques.

géométriques qui se donne à voir comme résultante du langage de programmation lui-même. Elle est également un moyen de répondre par la simplicité105, aux complexités liées à la visualisation et aux comportements de ces images opératoires en partant parfois d’éléments aussi minimalistes que le point, la ligne, le cercle ou le carré.

Cette abstraction graphique générée par le code informatique, trouve un terreau de choix dans l’immatérialité des espaces d’informations. Autrement dit, n’y a-t-il pas entre abstraction et virtuel une adéquation de nature ontologique propice à la représentation d’informations numériques106?

Ces formes géométriques abstraites sont faites de la même matière numérique que l’espace informationnel qu’elles métaphorisent, sans rien emprunter aux référents du monde tridimensionnel. Il est alors envisageable que ces abstractions graphiques soient suffisamment en cohérence entre l’univers numérique qu’elles incarnent et les formes qu’elles manifestent pour induire de façon plus appropriée les actions dont elles sont porteuses mais également qu’elles puissent offrir par cette même abstraction un support de projection à la diversité de représentations mentales des usagers ouvrant le champ plus largement et aisément à une exploration par l’imaginaire au moyen de l’ensemble formé par l’interface. Le projet de l’idéographie dynamique contient des aspects de ce qui vient d’être énoncé : "L’idéographie dynamique n’est donc pas conçue comme une pure et simple

projection de l’imaginaire de ses explorateurs sur les écrans, mais bien plutôt comme une technologie intellectuelle d’aide à l’imagination. D’un côté, l’idéographie dynamique traduira, sémiotisera et réifiera les quasi-objets indeterminés de l’imagination ; d’autre part, elle fabriquera des signes destinés à

105 Le concept de simplicité est le vecteur d’un courant de recherche engagé au MIT Media Lab depuis 2003 fédérant différentes équipes de recherches pluridisciplinaires dont le Physical Language

Workshop que dirige Maeda : http://www.media.mit.edu/research/ConsortiumPubWeb.pl?ID=16

106 L’art abstrait et la création d'un nouvel univers plastique et espace conceptuel "monde sans objet au-delà du zéro des formes" que le "carré noir sur fond blanc, 1913" de Kasimir Malevitch préfigure le plus parfaitement, annonce l’abstraction de la matière informationnelle constituée du code binaire à partir de laquelle se fonde l’espace virtuel numérique. Point de départ pour l'histoire des pratiques artistiques associées à l’ordinateur, Malevitch développe dans ses écrits de 1919 "Des nouveaux

systèmes dans l'art", une approche de l'art à l'aide d'une loi de corrélations de construction des formes,

dans lequel il préconise un langage, ou système de la forme, plutôt que la représentation du monde visuel [CANDY 02].

être introjectés et repris par l’activité imaginante des sujets et des collectifs."

[LEVY 91, p.75]

Une exposition intitulée Global Navigation System, faisait état en 2003 des investigations de l’art contemporain dans le champ de la Géographie pour ce qu’elle comporte aujourd’hui de défis à relever dans la représentation des flux des réseaux de transports et de communication107 et ce qu’ils induisent comme transformations accélérées des topographies individuelles et collectives. Ce que [BOURRIAUD 03, p.19] analyse comme un monde devenant infigurable par la difficulté à saisir l’organisation des grandes entreprises108, le travail délocalisé et impersonnel, les distances privées de réalité concrète. Avec la tentative de rendre compte de ces nouvelles dimensions géographiques variables, "l’abstraction retrouve une nouvelle

raison d’être dans ses vertus…réalistes".

107 En parallèle du réseau internet qui affranchit des distances et aplanit sur les écrans la perception du monde.

108 réalisation datant de 2001 de l’activiste Josh On, le site They Rule, rend apparentes par la visualisation graphique et interactive de bases de données les relations sous-jacentes entre entités des conseils d’administration des plus puissantes compagnies américaines.