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L’APPROCHE DU MANAGEMENT STRATEGIQUE

CADRE THEORIQUE DE LA RECHERCHE

SECTION 2 – LES DIFFERENTES APPROCHES DE LA PERFORMANCE DANS LES OPERATIONS DE FUSIONS ET ACQUISITIONS

2.2 L’APPROCHE DU MANAGEMENT STRATEGIQUE

Les explications avancées ci-dessus ont une connotation purement financière dans l’examen de la performance des FA considérées en termes de création de valeur actionnariale. Des études relevant du management stratégique ont examiné la performance d’un point de vue plus économique en associant celle-ci à la notion de création de valeur « synergique ». Outre l’étude de l’impact des FA sur l’enrichissement des actionnaires par les méthodes financières, ces études se distinguent par leur inclusion du type de la FA dans l’étude de la performance de celle-ci.

Dans ce courant, les auteurs ont donc cherché à comprendre les raisons stratégiques135 des écarts de performance observés par les chercheurs en finance. Les explications proposées par la théorie stratégique sont particulièrement nombreuses et variées : recherche d’une taille critique, principe de diversification du risque, existence de synergies, etc. Elles répondent ainsi à des objectifs microéconomiques : promouvoir l’efficacité économique en réduisant les coûts de transaction, ou répondre à la poursuite d’un objectif de conquête et de renforcement d’un pouvoir de marché.

C’est à partir des années 80, sous l’impulsion de l’article de Lubtakin (1983) sur l’importance de « l’ajustement stratégique » (strategic fit), que les chercheurs s’inscrivant dans cette perspective du management stratégique vont tenter d’expliciter les conditions de performance d’une opération de FA. Cartwright (2006 : 2) précise que peu de consensus ont émergé de la littérature sur l’analyse de « l’ajustement stratégique » entre les années 80 et 90 (King, Dalton, Daily, & Covin, 2004). Cependant, elle note que les récents développements de cette perspective ont dégagé des conclusions intéressantes, notamment sur la relation entre partage de ressources et création de valeur dans la fusion (Capron & Pistre, 2002) mais également sur la relation entre transfert de connaissance et performance de l’opération de FA (Ahuja & Katila, 2001). Il faut donc noter que dans cette approche, les chercheurs se focalisent principalement sur les conditions initiales et la phase pré-fusion.

En effet, la fusion permettrait d’améliorer l’efficacité de la cible ou de parvenir à une entité globalement plus efficace du fait de la mise en œuvre de synergies (Nussenbaum, 1989). La

135 Raisons de maximisation a but non lucratif direct qui sont liées aux objectifs managériaux. En d’autres

termes, les écarts de performance observés ne peuvent avoir pour explications que des mesures dites objectives telles que des mesures économiques, comptables et financières ; ces écarts font aussi appel à des mesures subjectives qui ont un impact indirect sur les résultats chiffrés liés aux objectifs managériaux.

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réalisation de synergies correspond globalement à une création de valeur supplémentaire obtenue grâce au regroupement des entreprises concernées et qui n’aurait pas été obtenue sans la mise en œuvre effective de ce regroupement. La synergie existe quand la valeur, des deux entités combinées, est supérieure à la somme de leurs valeurs individuelles. Du fait de son importance la synergie a été retenue comme variable de mesure de la performance par Larsson & Finkelstein (1999). Selon les auteurs, la réalisation de synergies fournit une conceptualisation plus précise de la création de valeur des FA que les mesures financières prédictives ou les mesures comptables vagues. Cependant, l’acte de fusion ne suffit pas pour réaliser des synergies, il faut mener une politique de coopération et de coordination entre les deux entreprises tout en tenant compte des difficultés liées aux ressources humaines.

Différentes classifications de synergies ont été rencontrées lors d’opérations de FA. Notons que cette classification n’est pas spécifique aux rapprochements bancaires mais elle est applicable à tous types de secteurs industriels voulant réaliser des opérations de fusions. En effet, ces dernières peuvent être conduites par le désir de réduire le risque global par la diversification dans de nouveaux marchés géographiques ou par le lancement de nouveaux produits, en d'autres termes les entreprises souhaitent augmenter leur pouvoir de marché ou se développer rapidement au sein de centres monétaires : cette volonté de grossir provient du souhait des dirigeants d'être « prédateur » plutôt que de risquer de devenir la cible d'une OPA (Offre Publique d'Achat) inamicale. De ce point de vue, la taille moyenne des entreprises françaises fait apparaître, la majorité du temps, le risque de prises de contrôle par des établissements étrangers plus importants.

La « course à la taille » s'explique enfin par la nécessité d'accéder dans les meilleures conditions aux marchés internationaux pour les très grandes capitalisations boursières : selon Huart (2000), les FA sont employées en vue de pénétrer de nouveaux marchés étrangers et peuvent ainsi permettre la diminution des coûts moyens de production, par la conquête de nouveaux marchés, par l’augmentation de volume de production, l’acquisition d’informations et enfin les opérations transfrontalières permettent de pénétrer rapidement des marchés étrangers, notamment lorsque des mesures protectionnistes136 existent sur ces marchés (Huart, 2000). Les entreprises peuvent aussi souhaiter fusionner parce qu'elles veulent exploiter d’autres techniques en effectuant des synergies de nature économique, en supprimant des

136 Les mesures protectionnistes sont des obstacles auxquelles se heurtent les entreprises lorsqu’elles cherchent à

pénétrer un marché étranger. Ces mesures reposent sur des droits de douane (barrières tarifaires) ou en des normes, des quotas ou des volumes à respecter pour des produits étrangers importés (barrières non tarifaires).

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coûts grâce à la mise en commun de facteur de production et ainsi éliminer la duplication par la fermeture de filiales, ou arriver à des synergies par des économies de champ137 : la recherche de l'efficacité économique et des économies d'échelle138. Puis, l'objectif du fusionnement est de réduire des coûts par la réalisation de synergies et ainsi deux types de stratégies peuvent être distingués :

∗ En premier lieu, le rapprochement de deux entités présentes sur des métiers similaires doit permettre, en théorie, de générer des économies d’échelle dans la mesure où il se traduit, d’une part, par une addition mécanique de l’activité globale et du chiffre d’affaires des entités concentrées, et d’autre part, par une réduction des coûts fixes rendus superflus par l’intégration des infrastructures physiques et humaines de ces entités.

∗ En second lieu, les rapprochements peuvent s’effectuer entre établissements complémentaires présents sur des marchés différents. L’objectif serait alors d’élargir la clientèle et de réaliser des « économies de variété » en faisant jouer les synergies entre entités fusionnées, prenons en exemple le rapprochement entre les activités d’assurance et les activités bancaires. Cependant, les données actuellement disponibles sur le marché ne permettent pas de conclure clairement l’existence d’économies d’échelle au sein du secteur bancaire.

Notons que les sources de synergies énoncées ci-dessus sont souvent associées aux types de FA horizontales. D’autres sources de synergies ont été repérées mais ont été classées différemment par différents auteurs. Notons par exemple le cas des synergies intangibles faisant référence au partage du savoir et du savoir-faire ; ces synergies ont été considérées comme des économies de champ par Singh & Montgomery (1987) alors que Schweiger & Very (2003) ont consacré une catégorie à part entière pour ce type de synergie. Aux FA conglomérales sont associées des synergies financières notamment de coassurance (Seth, 1990a) et de diversification du risque. Toutefois, ce type de synergie n’est pas encore définitivement admis aussi bien théoriquement qu’empiriquement.

137 Les économies de champ sont présentes lorsque des ressources tangibles ou intangibles communes (matière

premières, technologies, savoir-faire, etc.) sont employées dans la production conjointe de deux ou plusieurs produits distincts possédant certains points communs (Détrie, 2005).

138 Les économies d’échelle correspondent à une utilisation efficace des ressources des deux entreprises

fusionnées (le plein emploi de ces ressources) et se traduisent économiquement par la diminution du coût unitaire résultant d’une augmentation du volume par un étalement des frais fixes (Détrie 2005). La réduction des coûts de transaction, le désinvestissement d’actifs, la consolidation de certaines fonctions sont souvent des termes clés de la recherche des économies d’échelle.

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Outre cette classification communément présente dans la littérature, nous avons constaté d’autres répartitions pour les sources de synergie. Lutbakin (1983) a distingué les économies techniques des économies pécuniaires et de diversification. Dans la première catégorie qui renferme les économies d’échelle, nous retrouvons six sources de synergie : les économies de marketing, de production, d’expérience, de planification, de banque (la consolidation d’opérations bancaires des deux entreprises fusionnées) et de compensation (en termes de cotisations sociales et de régime d’assurances). Le pouvoir de marché figure dans la catégorie des économies pécuniaires qui sont divisées en deux types : les économies de monopole et les économies de monopsone139. Les premières proviennent de la capacité d’une entreprise à obliger les acheteurs à accepter des prix plus élevés. Les secondes résultent de la capacité de l’entreprise à obliger les fournisseurs à accepter des prix plus bas. Enfin, les économies de diversification font référence à la diversification du risque.

Concernant la typologie de Chatterjee (1986), elle renferme trois types de synergie : collusive, opérationnelle et financière. En se basant sur la théorie des ressources de la firme, l’auteur a élaboré un modèle en stipulant que la quantité de valeur créée suite à une FA dépendra de : * la quantité de ressources détenue par la firme, par rapport à toutes les ressources

disponibles dans l’économie ;

* la disponibilité d’opportunité pour l’utilisation de ces ressources.

En d’autres termes, pour qu’une stratégie d’acquisition crée de la valeur économique, il faut qu’une compétence distinctive (ressource rare) soit associée à une opportunité de l’environnement.

La synergie collusive correspond donc à la détention de ressources rares engendrant le pouvoir de marché. La synergie opérationnelle est liée à la détention de ressources rares entrainant des efficacités productives et administratives. Enfin, la synergie financière est associée à la détention de ressources rares conduisant à des réductions au niveau du coût du capital.

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De plus, l'hypothèse de Ravenscraft et de Scherer (1989)140 exprime que les fusions se produisent pour discipliner le mauvais management exigeant que les sociétés acquises soient en dessous de la rentabilité moyenne de l’industrie, avant la réalisation de la fusion. Cependant, ce n'est pas toujours le cas. Jensen et Meckling (1976)141 confirment que les managers poursuivent souvent des objectifs autres que la maximisation de valeur pure. Quand la propriété est écartée parmi des milliers d'actionnaires, particulièrement dans de grandes compagnies, les managers peuvent avoir l'abondance de pouvoir afin de poursuivre leurs propres buts. Dans de telles circonstances les managers peuvent lancer une fusion pour ne pas maximiser la valeur de la compagnie, mais plutôt pour leur propre utilité.

Ainsi, le mouvement général de concentration encourage les entreprises nationales à poursuivre une expansion mais, l'argument de la taille critique n'est pas suffisant et, même s’il reste important, il est nécessaire de rejoindre une vision stratégique plus précise.

En effet, les recherches étudiant l’impact de la taille relative sur la performance de la FA sont jusqu’ici peu concluants (Haspeslagh & Jemison, 1991 ; Fowler & Schmidt, 1989). Nous avons contrôlé la taille de l'entreprise acquise par rapport à la taille de l'entreprise acheteuse. La taille relative a été directement liée à la performance de la fusion (Kusewitt, 1985), ainsi qu’indirectement liée, à travers son influence sur les problèmes de mise en œuvre. Shrivastava (1986) soutient que plus la taille, de l'entreprise acquise par rapport à l'entreprise acheteuse, est grande, plus il est difficile pour les managers de l'entreprise acquéreuse de comprendre pleinement les nombreux besoins d'intégration.

A l’inverse de la recherche de Fowler & Schmidt (1989) qui n’a trouvé aucune relation significative entre la taille et la performance, Kusewitt (1985) a abouti à un lien négatif entre ces deux variables et a suggéré que la différence de taille entre acquéreur et entreprise acquise ne doit pas être grande. Les résultats de Kitching (1967) sur la taille relative stipulent que plus la taille relative est grande, plus la probabilité de succès est importante. L’argument de la masse critique constitue la logique qui s’insère derrière ce résultat, ce qui signifie la disposition d’une taille suffisamment grande permettant la transformation des synergies potentielles en synergies réalisables (Larsson & Finkelstein, 1999). Pour compléter la recherche, Walter (1985) affirme que lorsque l'entreprise acquise est faible par rapport à

140 Ravenscraft, D.J. and F.M. Scherer (1989). “The profitability of Mergers”. International Journal of Industrial

Organization. 7: 101-116.

141 “Theory of the Firm: Managerial Behaviour, Agency costs and Ownership Structure”. Journal of Financial

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l'acheteur, les besoins humains de l'entreprise acquise ont tendance à être négligés ou banalisés par l'acheteur. L'aliénation engendre sa propre source de mécontentement pouvant empêcher une fusion de réaliser son potentiel financier.

Enfin, Bastien & Van de Ven (1986) considèrent la taille relative comme vecteur de puissance relative. Dans cette perspective, plus la taille relative est grande, plus il est difficile pour l’acquéreur d’imposer ses choix stratégiques. Il ne faut, cependant, pas en déduire qu’une cible de « taille relative » faible est nécessairement un gage de réussite dans une politique d’intégration (Meier & Schier, 2003).

Outre la taille relative, un autre facteur contextuel semble être intéressant à prendre en compte, préalablement, lors d’une opération de FA : l’attitude. Ce dernier peut varier d’amicale à hostile142. Parmi les études qui ont traité cette variable, nous citons les travaux de Fowler & Schmidt (1989), Hunt (1990) et Haleblian & Finkelstein (1999).

Haleblian & Finkelstein (1999) ont trouvé que l’attitude de l’opération influe sur son succès. Dans les acquisitions hostiles, les cibles potentielles, en adoptant par exemple des stratégies de défense telle que la « pillule empoisonnée » ou en s’arrangeant pour être acquises par un « chevalier blanc », agissent dans le sens d’une réduction des chances de réussite des acquéreurs. Par ailleurs, les acquisitions hostiles peuvent altérer les rentabilités des acquéreurs en attirant des enchérisseurs multiples qui mènent les primes vers la hausse.

En outre, dans le cas de FA contestées, l’entreprise acquise peut manifester des comportements non productifs, la perte d’enthousiasme, la défection des managers clés et a perte d’experts en technologie (Fowler & Schmidt, 1989). Ainsi, les acquisitions hostiles peuvent être, inversement, liées au succès de l’acquisition et doivent donc être évitées (Kusewitt, 1985). Par conséquent, le caractère hostile de l’opération a une influence négative sur la performance de l’opération, notamment en raison des départs massifs de membres de l’organisation acquise (Fowler & al., 1989). Ainsi, les FA de nature amicale semblent être plus performantes que les FA hostiles.

Pour sa part, l’approche économique nous permet de comprendre, dans notre étude appliquée aux rapprochements bancaires, les objectifs des opérations de FA. De ce point de vue, la mondialisation de la concurrence est un argument important pour comprendre la multiplication des opérations récentes s’expliquant, à la fois, par la volonté d’acquérir une

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part de marché significative, et par la volonté de pénétrer certains marchés géographiques. Cependant, Kwan et Wilcox constatent que la taille des établissements de fusion n'a pas d’effets significatifs sur le coût d’épargne. Ainsi, nous pouvons dire qu'une concentration d’opérations, telle qu'une fusion et/ou une acquisition, peut être un moyen de répondre à des actions stratégiques de concurrents : soit pour prendre une nouvelle position par rapport aux banques concurrentes avec également un mouvement de concentration, ou pour se transformer en cible forte afin d’éviter les OPA hostiles. Ajoutons qu’en plus de la volonté de s'adapter aux actions des concurrents, il y a également une adaptation obligatoire aux évolutions du secteur financier.

Finalement, notons que d’un point de vue stratégique, « il apparait logique, de prime abord, d’associer l’expérience à la performance : plus un acquéreur a accumulé du savoir, plus il a de chances d’être performant. L’expérience d’opérations précédentes à donc une influence positive sur la performance de la fusion en cours (Fowler & Schmidt, 1989 ; Vermulen & Barkema, 2001 ; Very & Schweiger, 2001). La courbe d’expérience s’appliquerait donc aux acquisitions » (Very, 2002, p.160).

Suite à l’explication de ces facteurs et sachant que le principe fondamental de cette partie est le concept de synergies, des études ont ainsi élaboré des cadres théoriques mettant en évidence les sources de création de valeur ou synergies propres à chaque type de FA, voire même à chaque fonction de l’entreprise, et ont conclu que la performance dépend largement de ces sources de création de valeur.

Ainsi, l’approche microéconomique explique les motivations et la recrudescence des opérations de FA en termes de recherche d’efficience et de parts/pouvoir de marché. Ces déterminants prennent aujourd’hui tout leur sens, notamment dans le secteur bancaire.

Dans les recherches issues de la perspective du management stratégique, les auteurs mettent souvent en avant une relation directe entre des conditions initiales permettant d’évaluer a priori la performance potentielle de l’opération et la performance réelle de celle-ci.

Nous estimons que ces conditions sont des indicateurs du potentiel de l’opération mais qu’il ne faut pas sous-estimer l’influence des processus à l’œuvre durant la phase d’intégration. C’est d’ailleurs pour cette raison que les travaux traitant de l’influence du processus d’intégration post-fusion sur la performance sont apparus.

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En effet, à côté des explications financières et stratégiques, d’autres approches se sont manifestées pour l’analyse de la performance en fonction de leur domaine de recherche. L’approche processuelle (2.3) analyse la performance tout au long du processus de FA : de la formulation de la stratégie à l’intégration. L’approche organisationnelle (2.4) examine les conséquences provoquées par les FA tant au niveau individuel que collectif et a proposé des outils pour les gérer. Enfin, l’approche culturelle (2.5) met en avant des facteurs d’ordre structurel, managérial et socio-culturel pour l’explication de la performance. Nous examinerons dans les sections suivantes l’apport de ces approches dans l’explication de la performance des FA.

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