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1) L’approche contractuelle : une vision sous le prisme des coûts de

transaction

Source : Elaboration à partir de Favereau, 1998

Mathieu Boche –Thèse Université Paris Sud, UMR Art ’Dev – CIRAD – 2014 92 Certaines observations actuelles issues de la littérature sur les acquisitions foncières à grande échelle semblent démontrer que l’usage de catégories générales telles que « grandes exploitations », « méga exploitations » ou « plantations » ne suffisent pas à analyser les formes d’agriculture observées (Hervieu et Purseigle 2009, Oya 2013). Comme le présentent Vermeulen et Cotula (2010), il existe un ensemble de modèles d’investissements dans le secteur agricole. Selon eux, les différents modèles d’investissements peuvent être différenciés selon trois critères : i) le degré de séparation entre le capital foncier et le capital d’exploitation ; ii) le degré d’intégration verticale au sein des filières ; et iii) les caractéristiques des étapes de la production au sein de la filière.

Ces différents critères de distinction entre modèles d’investissement sont très proches de ceux développés par Williamson (1975, 1979) au sein de la théorie des coûts de transaction. C’est cette théorie de la firme que nous choisissons de retenir pour analyser notre objet d’étude et donc pour appréhender la diversité des modèles d’investissements établis par les investisseurs et les raisonnements économiques qui les sous-tendent. Selon Williamson (1991), plusieurs facteurs vont influencer le choix d’un investisseur pour une forme d’organisation, appelée structure de gouvernance.

Le premier groupe de facteurs est lié aux caractéristiques des productions envisagées ainsi que leurs modalités de réalisation. Selon la théorie des coûts de transaction, le choix pour une forme organisationnelle est lié au risque d’opportunisme et à la manière de s’en protéger. En effet, la rationalité limitée des agents, l’incomplétude contractuelle et l’asymétrie informationnelle peuvent pousser les agents économiques à adopter des stratégies opportunistes et causer des coûts très élevés voire une impossibilité de résolution de disputes (Williamson 1975, p31-33). Les investisseurs vont donc choisir d’organiser leurs ressources, c’est-à-dire établir un modèle d’entreprise particulier, dans l’objectif de réduire ces risques d’opportunisme. Ces difficultés se posent tout particulièrement lorsque la production et la commercialisation des produits présentent certaines caractéristiques qui incluent la fréquence à laquelle la transaction est réalisée, le degré d’incertitude auquel la production est soumise et le type et le degré de spécificité des actifs impliqués dans la production (Williamson 1979). En fonction de l’importance de chacun de ces facteurs les firmes vont choisir une forme d’organisation, appelée structure de gouvernance. C’est ce que Williamson (1975, 1979) appelle la règle de « l’alignement discret » et qui constitue le cœur de l’explication de la substitution de la firme au marché. Bien que ces trois aspects soient importants (fréquence de la transaction, incertitude et degré de spécificité des actifs), la théorie des coûts de transaction porte une attention particulière sur le dernier (Williamson 1975, Klein et al. 1978, Williamson 1979, Grossman et Hart 1986). La spécificité fait référence au degré auquel un actif peut être réutilisé pour un usage alternatif sans sacrifice sur sa valeur productive. La spécificité peut être de plusieurs natures (Williamson 1991) : spécificité de

Mathieu Boche –Thèse Université Paris Sud, UMR Art ’Dev – CIRAD – 2014 93 certains actifs d’exploitation (équipement agricole, investissement dans des infrastructures de transformation), spécificité de localisation (caractéristiques des terres acquises) et la temporalité des productions. Ces trois caractéristiques spécifiques de l’activité agricole pourront influencer le choix des investisseurs pour un modèle d’entreprise. Les structures de gouvernance vont donc être établies en tant que réponse efficiente à la réduction des coûts de transaction liés aux trois aspects cités. Dans le cas où une transaction implique des investissements fortement spécifiques, l’internalisation, c’est-à-dire la coordination dans la firme, sera préférée à la coordination par le marché. Entre ces deux formes extrêmes de structures de gouvernance, un ensemble de formes hybrides d’organisations ont été identifiées (Williamson 1991, Ménard 2004).

Les caractéristiques des productions envisagées par les investisseurs ainsi que leurs modalités de réalisation vont donc être des éléments à prendre en compte pour expliquer le choix des investisseurs pour une forme d’organisation de la production agricole particulière.

Au-delà des caractéristiques des productions réalisées, certains éléments de l’environnement institutionnel constituent le second groupe de facteurs défini par Williamson (1991) comme capable d’influencer le choix des investisseurs pour une forme d’organisation. L’environnement institutionnel peut être défini comme « le faisceau de règles politiques, sociales et légales formelles et informelles qui établissent les bases de la production, de l’échange et de la distribution. Les règles régissant les élections, l’accès au ressource et le droit des contrats en sont des exemples » (Davis et al. 1971, p6-7). Williamson considère donc que l’évolution de certaines caractéristiques de l’environnement institutionnel, tels que les droits de propriété et l’incertitude, sont susceptibles de modifier les coûts de gouvernance de certaines structures et donc d’influencer le choix pour une structure au détriment d’une autre. L’analyse du contexte politique et institutionnel dans lequel sont établis les projets constitue donc un élément important pour justifier du choix d’un modèle d’entreprise. En effet, comme le souligne Gibbons (2005), les modèles d’investissement vont se distinguer par la manière de gérer des événements imprévus et donc de permettre une adaptation de l’organisation, sans renégociation. L’avantage de l’intégration, fondée sur un rapport d’autorité, est de donner à l’une des parties le pouvoir de prendre de manière discrétionnaire les décisions adaptées aux événements et de permettre une adaptation de l’organisation sans renégociation. Ainsi, l’intégration permet d’accroitre la capacité d’adaptation de l’organisation à son environnement, et donc de favoriser une efficience dynamique (Williamson 1991, p93).

Ainsi, l’utilisation des concepts de coût de transaction et d’adaptation fournis par la théorie des coûts de transaction présente plusieurs avantages pour traiter de la diversité des modèles d’investissement établis par les investisseurs.

Mathieu Boche –Thèse Université Paris Sud, UMR Art ’Dev – CIRAD – 2014 94 — Les différents concepts de cette théorie font écho aux évolutions des exploitations agricoles présentées dans ce chapitre, notamment l’évolution de la nature, de l’origine et des caractéristiques du capital au sein des exploitations ainsi que les évolutions du système d’organisation (Hervieu et Purseigle 2009, Purseigle 2012). Ils permettent une prise en compte des différentes formes de spécificités des actifs (le foncier, l’équipement et la technologie de production), et particulièrement du capital, dans l’analyse des modèles d’investissements mis en place par les investisseurs. Ainsi, les objectifs financiers de certains investisseurs pourront être caractérisés en termes de spécificité des actifs financiers (retour sur investissements rapide, objectif de flexibilité des actifs, etc.). Cette théorie permet donc d’analyser les mécanismes de dissociation croissante des facteurs de production. De plus, la traduction des

— L’utilisation de la théorie des coûts de transaction va nous permettre d’expliquer, selon différentes caractéristiques, le choix des investisseurs pour des formes d’organisation particulières. La compréhension de ces choix nous permettra ensuite d’analyser le niveau d’interaction entre les exploitations agricoles établies et les acteurs locaux. Elle permet également de faire le lien entre les structures de production au niveau local et les autres acteurs des chaînes de valeur. Ces éléments constituent des outils pertinents pour approfondir les liens entre l’organisation des acquisitions foncières au niveau local et les restructurations à des échelles supérieures (nationale et globale).

— Enfin, la théorie des coûts de transaction est considérée comme une explication des choix d’intégration verticale des firmes, perçus comme des stratégies de recherche d’autorité. Le caractère central du concept d’autorité constitue une passerelle conceptuelle intéressante avec la « théorie de l’accès » utilisée pour traiter de la question de l’accès au foncier. Il y a donc là une possibilité de jonction entre nos deux composantes de l’acquisition foncière à grande échelle, à savoir la recherche d’autorité dans un environnement institutionnel incertain caractéristique de nombreux pays en développement.

Cependant la théorie des coûts de transaction présente une limite majeure que nous devrons surpasser pour rendre compte de l’hétérogénéité des formes d’agriculture et des raisonnements économiques des acteurs. Afin d’expliquer les choix d’organisation des firmes la théorie des coûts de transaction ne s’intéresse qu’à des facteurs exogènes à l’objet « firme ». Les caractéristiques des transactions engagées par la firme ainsi que l’environnement institutionnel dans lequel elles sont réalisées sont les éléments explicatifs du choix pour une forme d’organisation. Les compétences des acteurs qui mettent en place ces productions ne sont pas prises en compte comme un élément déterminant de l’organisation adoptée. Néanmoins, dans l’activité de production agricole le capital

Mathieu Boche –Thèse Université Paris Sud, UMR Art ’Dev – CIRAD – 2014 95 humain joue un rôle très important, il est considéré comme un capital à part entière au sein de l’exploitation. C’est d’autant plus le cas dans les nouvelles formes d’organisations observées. Jusqu’à récemment les exploitations agricoles étaient considérées, dans la plupart des cas, comme appartenant uniquement à un agriculteur en charge de prendre l’ensemble des décisions organisationnelles et techniques. Or dans les nouvelles formes d’agriculture observées de nouveaux acteurs jouent un rôle majeur, il s’agit des managers. Selon la théorie des coûts de transaction, l’exploitation agricole est un système contractuel caractérisé par un principe de hiérarchie selon lequel c’est la « direction de l’entreprise » qui a le pouvoir de prendre les décisions en cas d’événement non prévus. C’est difficilement le cas dans les structures que l’on étudie dans lesquelles il y a de plus en plus une séparation progressive entre les actifs au sein de l’exploitation. Dans ce cadre, le rôle du manager est devenu fondamental pour comprendre l’organisation de ces structures de production. En effet, l’une des caractéristiques majeures de ces firmes réside dans le rôle central joué par les « managers », ingénieurs agronomes et autres coordinateurs (Albaladejo et al. 2013, Ducastel et Anseeuw 2013). Il faudra donc surpasser cette insuffisance de la théorie pour analyser les modèles d’investissements et les raisonnements qui influencent leur mise en place.

Pour notre démarche nous retenons donc l’apport essentiel des caractéristiques des productions et des différentes formes de capital nécessaires à leur réalisation (spécificité des actifs, incertitude de la production et fréquence des échanges) ainsi que des caractéristiques de l’environnement institutionnel comme facteurs d’influence sur le choix organisationnel fait par les investisseurs.

Cependant, nous avons mis en évidence une limite importante de la théorie des coûts de transaction pour traiter de notre objet d’étude, la prise en compte de l’organisation interne et du capital humain au sein des projets. Nous allons donc compléter notre démarche avec des apports de « l’approche basée sur les compétences » dans une optique de définition d’une théorie « complète de la firme » (Chandler 1992) qui nous permettra de mieux appréhender la diversité des formes d’agriculture développées par les investisseurs.

2) Dépassement du déterminisme de l’approche contractuelle :

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