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Parmi les modèles qui considèrent l’exploitation agricole comme « une organisation complexe », il existe un champ de la théorie des organisations qui utilise une approche différente de l’approche contractuelle. Pour ces études, la complexité de l’organisation de l’exploitation réside dans la notion de routine (Nelson et Winter 1982) et d’apprentissage organisationnel. L’intérêt de ces routines est de permettre une accumulation des connaissances opérationnelles spécifiques à chaque

Mathieu Boche –Thèse Université Paris Sud, UMR Art ’Dev – CIRAD – 2014 96 exploitation agricole. Les routines sont donc un ensemble de savoir faire des protocoles de mise en œuvre des connaissances et par là même des compétences organisationnelles (Coriat et Weinstein 2010).

En utilisant de cette façon le concept de « routine » des auteurs comme Nelson et Winter (1982) ont démontré que les décisions dans les firmes résultent de procédures « routinières » qui sont le fruit d’interactions avec les agents et d’apprentissages auxquels ont été soumis les différents individus qui composent la firme. La routine organisationnelle détient donc une dimension répétitive et son application devient automatique pour le déploiement de l’activité. Nelson et Winter (1982) vont jusqu’à prétendre que les routines peuvent être considérées comme des protocoles de résolution de problèmes liés à l’environnement dans lequel celles-ci opèrent.

Selon cette approche, une explication majeure des choix de modalité de production réside dans la façon dont l’exploitation agricole utilise les actifs dont elle dispose (caractéristiques du sol, type de matériel disponible, capital, etc.). Le manager ainsi que les employés sont ainsi capable de construire une connaissance particulière des pratiques permettant une utilisation optimale des facteurs de production dont ils disposent (terre, capital et travail). Ces compétences combinées deviennent un actif en tant que tel, précieux pour la réussite de l’exploitation agricole (Kogut et Zander 1992). En agriculture, le capital humain, via la formation et l’expérience (Becker 1993), joue un rôle primordial dans les compétences de l’exploitation agricole. Dans le cas des investissements fonciers à grande échelle, les compétences du « manager » vont constituer une variable majeure pour la réussite du projet. Une autre variable majeure dans le cas de notre objet d’étude est celle du secteur d’activité d’origine des investisseurs. Comme le démontrent Ducastel et Anseeuw (2013) dans le cadre de l’analyse de la financiarisation de l’agriculture, on voit apparaitre des investisseurs issus de différents secteurs d’activité extérieurs, tentant d’imposer leurs routines de travail et d’organisation, notamment financières, dans le fonctionnement et l’organisation des activités de production agricole.

Becker (1993) distingue le capital humain spécifique (compétence et savoir utiles à un seul individu) et le capital humain général, utile à l’ensemble des employés. Le capital humain général est utile et va permettre aux managers de résoudre des problèmes techniques et managériaux dans des situations de complexité importante. C’est notamment le cas pour les acquisitions foncières à grande échelle dans des pays en développement. Les projets sont souvent mis en place dans des environnements économiques difficiles dans lesquels les managers n’ont pas accès aux systèmes d’informations et solutions fournis dans les pays développés. De plus, les projets sont généralement

Mathieu Boche –Thèse Université Paris Sud, UMR Art ’Dev – CIRAD – 2014 97 basés sur l’établissement de cultures d’exportation que les employés locaux ne connaissent pas. Il leur faut donc apprendre l’itinéraire technique proposé par le manager mais également connaitre les réactions agronomiques des cultures afin de devenir les relais d’information nécessaire entre la plantation et les managers permettant de répondre rapidement aux problèmes de culture.

Comme le soulignent Traversac et al. (2011), malgré sa pertinence ce type d’analyse n’a que très peu été appliqué au secteur agricole. De plus, les quelques exemples de recherche utilisant ces concepts traitent d’activités agricoles en Europe ou aux Etats-Unis, mais jamais dans le contexte des pays en développement qui est beaucoup plus incertain, qui ne présente pas les mêmes facilité de d’information et de communication, et dans lequel le concept de routine permettant de solutionner les problèmes prend tout son sens.

L’adoption de ce concept de routine basé sur le capital humain général des exploitations agricoles nous permet donc de dépasser le déterminisme de la théorie des coûts de transaction dans l’explication des choix stratégiques organisationnels et adaptatifs des investisseurs. On propose ainsi une piste d’évolution vers une « théorie complète de la firme » dont l’organisation dépend à la fois de facteurs externes et de facteurs internes à l’objet. En ce sens, notre démarche s’inscrit dans la lignée de travaux développés ces dernières années en science de gestion. En effet, ce courant a développé un paradigme prônant la convergence entre l’approche « contractuelle » et l’approche « basée sur les ressources ». Les auteurs de ce courant mettent en avant qu’il n’est pas possible de comprendre pleinement le choix des limites de la firme sans s’intéresser aux ressources de base de la firme (Jacobides et Winter 2005). Ainsi, la vision de l’organisation de la firme uniquement déterminée par les caractéristiques des transactions qu’elle réalise apparait insuffisante. Williamson (1999, p1098) reconnait notamment que « les coûts de transaction et les perspectives d’organisation interne des entreprises traitent de phénomènes qui se recouvrent partiellement, souvent de manière complémentaire ». Cette complémentarité a poussé différents auteurs à suggérer que le choix individuel d’une entreprise doit dépendre non seulement des caractéristiques des conditions de transaction, mais également des objectifs stratégiques, des attributs de ses compétences et du contexte de gouvernance que l’entreprise a créé (Madhok 2002).

Le second avantage majeur dans l’adoption de ce concept est qu’elle nous permet d’inclure dans notre cadre conceptuel le rôle prépondérant des managers des projets. Au-delà du facteur explicatif pour les choix organisationnels et pour la réussite des projets, cet élément va nous permettre de traiter du lien entre les analyses micro-économiques au niveau local et les restructurations plus

Mathieu Boche –Thèse Université Paris Sud, UMR Art ’Dev – CIRAD – 2014 98 globales. En effet, ces managers sont souvent des acteurs étrangers présentant un parcours atypique et dont la compréhension des trajectoires professionnelles peut permettre de lier les acquisitions foncières à des processus de restructurations agraires plus globalisés.

D - L’analyse complémentaire de différents objets de recherche afin

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