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Mathieu Boche –Thèse Université Paris Sud, UMR Art ’Dev – CIRAD – 2014 60 Depuis 2007, le débat sur les acquisitions foncières a été intense et a beaucoup évolué en termes d’orientation, de méthodes et de résultats ; néanmoins trois caractéristiques ont persisté dans l’orientation de ces recherches. La première porte sur le débat qui s’est surtout centré sur les questions de quantification du phénomène. L’objectif était alors de définir l’objet d’étude et de répondre à des questions de base telles que : qui, où, quand et comment se font ces acquisitions foncières ? Ces questionnements ont été alimentés par un grand nombre d’études de cas très largement descriptives (FIAN 2010, Friends of the Earth 2010, Matavel et al. 2012) souhaitant apporter les informations nécessaires à la compréhension d’un phénomène qui semblait nouveau et en évolution très rapide. La constitution de bases de données et la forte implication médiatique ont sans aucun doute orienté les analyses au cours de cette première phase (Edelman 2013, Oya 2013). La plupart de ces analyses se sont d’autre part intéressées tout particulièrement aux processus de mise en place de ces projets (nature des acteurs impliqués, dispositions des contrats et problèmes de gouvernance soulevés au moment des négociations). Cette partie de la recherche a mis au centre des analyses la question des droits fonciers des populations locales et de leur respect par les investisseurs et les gouvernements des pays hôtes (HLPE 2011, Anseeuw et al. 2012). La plupart de ces analyses avaient pour objectif principal d’établir la liste des conséquences négatives potentielles des acquisitions foncières en termes de gouvernance et de respects des droits fonciers des « communautés locales ». Enfin en dernier lieu, au-delà de la volonté de quantification et d’analyse des processus de mise en place de ces projets, une attention particulière a été portée aux déterminants du phénomène (Borras et al. 2010, Fairhead et al. 2012). Avec l’évolution de la littérature, le débat s’est orienté vers la distinction entre les déterminants et les éléments déclencheurs (Anseeuw et al. 2012) et vers la reconnaissance du caractère multiple des causes du phénomène et de sa complexité (Zoomers 2010).

L’ampleur annoncée du phénomène ainsi que l’implication des médias et de la société civile ont créé les conditions pour l’émergence et le maintien de ce type de littérature. Cependant, cette orientation a eu pour contrepartie de laisser de côté un certain nombre de questions fondamentales. En effet bien que les questions agraires du capital et du travail, via le développement des formes d’agricultures capitalistes, soient centrales au sein des débats sur les acquisitions foncières à grande échelle, elles n’ont pour le moment pas été vraiment approfondies. Le manque d’informations précises au niveau local, l’utilisation de concepts souvent mal définis tels que « land grabbing » ou « investissements fonciers » et le manque de compréhension des liens entre les aspects micro-économiques du phénomène et ses implications macro-micro-économiques constituent les principales limites de cette littérature. Au-delà de ces insuffisances, d’autres davantage épistémologiques, méthodologiques et idéologiques sont également soulignées. En effet, les questions posées par la première vague d’analyses mentionnées auparavant ont souvent été très larges et les méthodes de recherche utilisées peu adaptées pour y répondre (Oya 2013). Cette inadéquation entre les questions

Mathieu Boche –Thèse Université Paris Sud, UMR Art ’Dev – CIRAD – 2014 61 et méthodologie de recherche est liée à l’ancrage politique et idéologique d’une grande partie de cette littérature (Boche et Anseeuw 2013, Petrick et al. 2013).

Les questions, qui dénotent du lien entre acquisitions foncières à grande échelle et restructurations agraires, sont pourtant primordiales dans la compréhension du phénomène en cours pour plusieurs raisons. Premièrement, la représentation actuelle du phénomène des acquisitions foncières à grande échelle est souvent caricaturale (Borras et Franco 2012) au détriment de l’expression des nuances économiques et institutionnelles du phénomène (Boche et Anseeuw 2013). Ensuite, si le phénomène est aussi important que ce qui est présenté, cela pourrait marquer un tournant dans l’organisation du secteur agricole et les structures agraires de nombreux pays en Afrique Sub-Saharienne (Oya 2013). Afin de comprendre comment le développement de ces projets peut entraîner un processus de développement de l’agriculture capitaliste, il est nécessaire « d’ouvrir la boite noire » des projets d’acquisitions foncières à grande échelle. Pour cela il faut comprendre leurs caractéristiques organisationnelles, les logiques qui les sous-tendent et les liens entre ces caractéristiques à l’échelle locale et les restructurations plus globales.

Les observations et questionnements soulevés par l’analyse de la connaissance actuelle sur les acquisitions foncières à grande échelle nous amènent à nous positionner dans une vision renouvelée de ces projets afin d’apporter des éléments de réponses à notre problématique. Nous positionnons ainsi notre analyse au niveau local, à l’intérieur des projets, c’est-à-dire à l’interface de ce que l’on considère comme les deux composantes d’un projet: i) les modalités d’accès au foncier et ii) la forme institutionnelle d’organisation de la production mise en place (que nous appellerons modèle d’entreprise). Afin de comprendre les liens entre ces projets et d’éventuelles restructurations agraires, il nous faut également identifier les modalités par lesquelles les changements opérés au niveau local peuvent engendrer des restructurations plus globales. Pour cela, il est nécessaire de reconsidérer la conceptualisation des acquisitions foncières et traiter la problématique dans une perspective différente de celle adoptée par la majorité de la littérature. Le premier changement de posture que nous opérons est de considérer les acquisitions foncières à grande échelle dans une acception globale qui comprend l’accès au foncier dans des contextes de pluralisme juridique mais également les modes d’organisation de la production qui sont les vecteurs du changement de contrôle du foncier et qui présentent des caractéristiques organisationnelles nouvelles pour le secteur agricole de nombreux pays en développement. Enfin, nous inscrirons également notre travail dans la lignée des études qui n’envisagent pas les acquisitions foncières comme étant uniquement un fait exogène mais plutôt comme un processus en interaction continue avec l’environnement institutionnel et notamment avec les acteurs nationaux de la gouvernance foncière.

Mathieu Boche –Thèse Université Paris Sud, UMR Art ’Dev – CIRAD – 2014 62 Pour justifier ce positionnement, dans un premier temps (I) nous présenterons l’évolution des approches et conceptualisations des acquisitions foncières à grande échelle observées jusqu’à aujourd’hui. Cela sera fait en soulignant les paradigmes sous-jacents et les divergences de ces théories ainsi que les limites existantes. Ayant fait le choix d’une conceptualisation des projets incluant l’accès au foncier ainsi que les structures de production établies suite à l’accès à la terre, nous présenterons les différentes théories économiques utilisées en économie rurale et agricole pour traiter de ces structures de production, qui constituent les vecteurs par lesquels les restructurations agraires peuvent avoir lieu.

Dans un deuxième temps (II), en intégrant aux questionnements clés de l’économie politique agraire une vision nouvelle des acquisitions foncières basée sur des concepts de la théorie de l’accès au foncier et de l’approche organisationnelle de la firme agricole, nous élaborerons un modèle conceptuel permettant d’analyser l’hétérogénéité des interactions entre acquisitions foncières et restructurations agraires. Cette démarche nous permettra de repositionner le phénomène actuel des acquisitions foncières dans une perspective plus large et d’avoir une meilleure compréhension des implications agraires de ces acquisitions foncières.

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