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En parallèle des différentes analyses concernant l’ampleur du phénomène, les déterminants et les acteurs impliqués, la littérature grise, alimentée par les rapports d’organisations de la société civile, a fourni de nombreuses descriptions des cadres légaux réglementant l’accès à la terre pour les

Mathieu Boche –Thèse Université Paris Sud, UMR Art ’Dev – CIRAD – 2014 46 investisseurs (Horne 2011, Oakland Institute 2011) ainsi que des études de cas localisées mettant en évidence le manque de respect de ces règles (Veldman et Lankhorst 2011, Matavel et al. 2012)3.

Face aux questions émises par l’émergence de ces multiples études de cas, des réponses très polarisées ont émergé de la part de membres du milieu académique engagés et des institutions internationales. Cette opposition, souvent idéologique, s’est traduite à différentes échelles.

Au niveau micro, les travaux soutiennent que les externalités négatives qui émergent de la mise en place des projets peuvent généralement être expliquées par les problèmes de fonctionnement des Etats concernés, notamment concernant la gouvernance foncière des pays hôtes (Alden Wily 2011). Ainsi, Arezki et al. (2013) avancent qu’au-delà du potentiel agro-écologique du pays les facteurs institutionnels jouent un rôle particulier dans le choix des investisseurs. Selon eux, et contrairement aux résultats de la littérature économique sur les institutions, il semble qu’une faible sécurité de la tenure foncière soit associée à un intérêt croissant des investisseurs pour l’acquisition de terre dans le pays. Ce résultat, bien que contesté (Oya 2013), a poussé les chercheurs à se pencher spécifiquement sur les processus de mise en place des projets. Les gouvernements de pays tels que Madagascar, le Soudan, l’Ethiopie ou le Cambodge ont été présentés comme incapables de fournir le type de politique et gouvernance foncières ainsi que les mesures sociales permettant d’éviter les implications négatives de ces projets. Ce lien entre les acquisitions foncières à grande échelle et la gouvernance foncière a été considéré par certains auteurs comme fonctionnant dans le sens inverse de celui présenté auparavant. En effet, plusieurs analyses ont considéré l’intérêt des investisseurs et le processus de mise en place des projets comme un facteur de changement institutionnel susceptible de modifier les règles locales de gestion du foncier. Plusieurs analyses ont démontré comment l’arrivée d’investisseurs étrangers a modifié le pouvoir de certains acteurs locaux responsables de la gestion foncière en Zambie (Nolte 2014) ou au Mali (Adamczewski et al. 2013). Parfois, ces changements institutionnels ne sont pas en lien direct avec le foncier mais avec la gouvernance des ressources en eau (Bues et Theesfeld 2012).

Dans la lignée de ces analyses sur le processus des acquisitions foncières à grande échelle, certains auteurs ont orienté le débat sur le rôle des différents acteurs, notamment l’Etat (Wolford et al. 2013). L’implication des gouvernements passe notamment par l'attribution de concessions foncières aux investisseurs via plusieurs mécanismes. Les premières analyses ont particulièrement insisté sur le statut juridique des terres en distinguant les terres pour lesquelles il existe une forme de propriété

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L’ensemble de ces études de cas sont trop nombreuses pour être toutes citées. Néanmoins, il est possible de consulter

Mathieu Boche –Thèse Université Paris Sud, UMR Art ’Dev – CIRAD – 2014 47 privée de jure ou de facto et les terres considérées comme « non privés/public » (Borras Jr et Franco 2010). Peluso et Lund (2011) ont alors parlé de la formalisation de droits fonciers comme d’un élément de « marchandisation de la terre » facilitant le contrôle de la terre par les investisseurs. Cette marchandisation se fait par l’émission de concessions sur des terres cultivables présumées « marginales », « sous-utilisées», « inoccupées » ou « disponibles » et qui sont généralement classées comme terres publiques (Deininger 2011). Cette question de la disponibilité des terres et donc du respect des droits fonciers des populations locales a donc été centrale dans ces analyses (Borras et Franco 2010, Tanner 2010). German et al. (2013) démontrent notamment comment les caractéristiques de mise en place des projets mettent en danger la protection des droits fonciers.

D’autres auteurs soulignent qu’au-delà des processus légaux, il est important d’inclure les différents mécanismes informels et relations de pouvoir liés à l’accès au foncier pour réaliser une analyse complète des processus d’acquisition foncière (Peluso et Lund 2011). Cette critique découle du fait que l’accès au foncier est basé sur une combinaison entre des lois d’Etat et des pratiques locales dans un très grand nombre de pays. Ainsi, la gestion foncière est contrôlée par plusieurs institutions étatiques et non étatiques. Les acteurs sociaux et les institutions politico-légales (Etat ou autre) interagissent ainsi lors des négociations pour l’accès au foncier concernant deux niveaux critiques (Lund 2002, Le Meur 2006) : i) la compétition sur l’utilisation du sol et les droits de propriété, ii) les conflits pour asseoir la légitimité sur le contrôle de l’accès à la terre, et ainsi leur capacité à définir et maintenir les règles du jeu. Selon ces auteurs, l’analyse des acquisitions foncières à grande échelle passe donc par l’analyse des faisceaux de pouvoirs liés à la gestion de la ressource foncière. Ainsi certains se sont penchés sur le rôle particulier joué par les représentants des élites locales et nationales (O’Brien 2011, Fairbairn 2013) ainsi que sur l’utilisation par les élites et les officiels gouvernementaux de l’intérêt des investisseurs étrangers pour asseoir leur autorité sur la gestion foncière locale, quitte à exacerber des conflits locaux (Burnod et al. 2013, Nolte 2014).

Malgré l’opposition concernant le sens de la relation entre les acquisitions foncières et la gouvernance foncière, ces analyses suggèrent que les gouvernances locale et nationale constituent les échelles d’analyses principales pour comprendre et encadrer les acquisitions foncières à grande échelle.

Au-delà de la gouvernance foncière, Anseeuw et al. (2012) résument ces différents aspects en identifiant trois autres champs de la gouvernance qui permettent d’expliquer, voire faciliter, le développement des acquisitions foncières à grande échelle. Tout d’abord il s’agit de la faible

Mathieu Boche –Thèse Université Paris Sud, UMR Art ’Dev – CIRAD – 2014 48 gouvernance démocratique. Malgré les avancées de la démocratie à travers le monde, il existe encore dans de nombreux pays un manque de transparence et d’émancipation de la société civile qui permet une capture des ressources par les élites. Ensuite, les lois du commerce international orientent la gouvernance économique vers la protection des investisseurs internationaux, alors que dans le même temps peu d’initiatives ont vu le jour pour protéger les droits des populations pauvres rurales et assurer que l’augmentation des investissements se fasse de manière inclusive, durable et dans un objectif de réduction de la pauvreté. Enfin, les politiques de développement agricole ont été de plus en plus orientées vers le soutien à l’agriculture à grande échelle au détriment des agricultures familiales.

La gouvernance globale des acquisitions foncières à grande échelle a également été un terrain d’opposition entre les « pro » et les « anti » acquisitions foncières durant cette deuxième phase d’évolution de la littérature. D’un côté les « défenseurs » de ces projets d’acquisitions foncières défendent l’idée que les pays pauvres pourraient bénéficier d’investissements directs dans le secteur agricole, notamment via la création d’opportunités d’emplois agricoles et non agricoles, les transferts de technologie dans la production et la transformation, le développement d’infrastructures et l’amélioration de l’accès à des services sociaux de base (Deininger et Byerlee 2011). Ils défendent l’idée que la mise en place de codes de conduite (Von Braun et Meinzen-Dick 2009), directives volontaires (FAO 2012) et principes d’investissements responsables (FAO et al. 2010) constituent des stratégies permettant de réguler ces transactions et d’éviter les projets non transparents, non durables et manquant d’équité. De l’autre côté, les représentants de la société civile et des organisations paysannes (comme « La Via Campesina ») déclarent que ces projets se font à l’encontre des besoins des agriculteurs locaux, qu’ils mettent en danger les systèmes d’activités des agriculteurs familiaux et qu’ils sont mis en place sans consultation et accord des populations utilisatrices du foncier (Hall 2011, Borras et al. 2012, German et al. 2013).

Face à ce constat d’opposition et aux initiatives des organisations internationales, des réflexions sur la gouvernance globale du phénomène ont émergé (Margulis et al. 2013). Certaines portent sur la perspicacité de se baser sur différentes approches telles que le respect des droits de l’homme (Claeys et Vanloqueren 2013), la responsabilité sociale des entreprises (Goetz 2013, Stephens 2013) ou la bonne gestion des ressources naturelles (Seufert 2013). A l’inverse, d’autres analyses se sont montrées assez critiques envers ces initiatives en raison de leur caractère non obligatoire ainsi que de la validité des hypothèses sur lesquelles elles reposent, notamment l’existence de « réserves de terres disponibles » et la responsabilité sociale des actionnaires (Borras et Franco 2010). A la suite de ces critiques, les auteurs les ayant formulées se sont alors tournés vers des recherches sur les formes de

Mathieu Boche –Thèse Université Paris Sud, UMR Art ’Dev – CIRAD – 2014 49 résistances existantes et les modalités de leur mise en place au niveau global comme local (Borras et Franco 2013, Borras et al. 2013).

Bien qu’opposées, les différentes analyses de la gouvernance des acquisitions foncières à grande échelle (à toutes les échelles) reposent leurs argumentaires sur les résultats de nombreuses études de cas se concentrant sur les implications socio-économiques du phénomène.

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