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1) Au niveau micro : foncier, emploi et transfert de technologie

De par sa nature conflictuelle et en raison de l’implication des médias et de la société civile, la question des acquisitions foncières à grande échelle a été hautement politisée. Dans une vision assez normative du phénomène, les auteurs ont donc cherché à savoir si les projets d’acquisitions foncières à grande échelle avaient des implications socio-économiques positives ou négatives. Là encore, les analyses ont porté sur les implications à différentes échelles et selon différentes considérations théoriques.

Dans un premier temps, l’objectif de la recherche a été de regrouper le plus grand nombre d’études de cas localisées. Cette littérature a utilisé deux concepts principaux pour analyser les acquisitions foncières à grande échelle: l’accumulation primitive du capital développée par Marx et sa variante « l’accumulation par dépossession » développée par David Harvey (Hall 2013). La posture adoptée par ces auteurs repose sur l’idée que les processus par lesquels la terre et les autres ressources naturelles sont encloses, et leurs anciens utilisateurs dépossédés, dans un objectif d’accumulation du capital est centrale dans la compréhension du phénomène. Les chercheurs ont identifié les ressemblances entre la vague actuelle d’acquisitions foncières et le mouvement des enclosures en Angleterre que Marx avait placé au centre de son analyse sur l’accumulation primitive (Borras et Franco 2012, White et al. 2012, Cotula 2013). Ces concepts ont été intensément utilisés pour comprendre le développement du capitalisme en agriculture et notamment la « marchandisation de la terre » (Peluso et Lund 2011) passant par « l’enclosure massive de terres publiques et privés » (Borras et Franco 2012). Au sein de ces processus, les formes d’accumulation économiques et non-économiques ont été distinguées afin d’expliquer l’utilisation du pouvoir légal, politique et/ou la violence pour réaliser ces transactions (Hall 2013). Les familles qui perdent leur terre, reçoivent une compensation mais cela ne constitue pas un transfert entre un acheteur consentant et un vendeur consentant. Cette distinction est faite par des auteurs tels que Levien (2013) afin de mieux définir, du

Mathieu Boche –Thèse Université Paris Sud, UMR Art ’Dev – CIRAD – 2014 50 moins sur le plan théorique, le concept de « land grabbing ». Cet accent mis sur la recherche d’espace d’accumulation par l’agro-industrie dans la compréhension des acquisitions foncières est typique des questionnements d’économie politique.

Au-delà de ces analyses concentrées sur la question de la compétition pour l’accès aux ressources foncières, certains auteurs ont tenté de prendre en compte d’autres aspects que le foncier dans les implications économiques locales des acquisitions foncières à grande échelle.

Depuis les premières analyses et rapport d’institutions internationales sur les acquisitions foncières à grande échelle, la création d’emplois a été souvent invoquée pour justifier le caractère bénéfique de l’intérêt des investisseurs étrangers pour les terres, l’eau et d’autres ressources naturelles (Deininger et Byerlee 2011). En effet, un meilleur accès à des opportunités de revenus non agricoles, tel que des emplois dans des industries agricoles ou plantations, est fréquemment présenté comme un élément fondamental de la réduction de la pauvreté en milieu rural dans les pays en développement. Cela permet une diversification des sources de revenu, une meilleure résilience aux crises et une source d’investissement dans la production agricole (Reardon 1997, Barrett et al. 2001, Davis et al. 2009, Losch et al. 2012)

Pourtant, il s’agit souvent d‘une promesse sans lendemain, et même lorsque des emplois sont effectivement créés, ils sont souvent attribués à des personnes extérieures à la communauté locale (HLPE 2011). Plusieurs études de cas s’intéressent particulièrement à la création d’emploi générée par ces projets en analysant le nombre d’emplois créés par hectare et démontrent dans certains cas des résultats positifs (Väth 2012) et dans d’autres des résultats négatifs (Andrianirina-Ratsialonana et al. 2011) en comparaison avec les emplois créés par les systèmes de production familiaux. Malgré ces études de cas, il n’existe pas de consensus sur cette question de l’emploi et c’est pour cela que des auteurs comme Li (2011) proposent de « remettre l’emploi au centre du débat sur le land grabbing ».

Au-delà des critères de nombre d’emplois/ha, certaines études se sont intéressées aux modifications des caractéristiques des emplois en milieu rural apporté par ces projets. Les analyses de Tania Li, ainsi que celles de Baird (2011) et de Kenney-Lazar (2012), sur les plantations forestières (huile de palme et hévéa) en Asie du Sud-Est démontrent comment des relations de travail typiques du régime capitaliste sont développées dans les zones acquises par des investisseurs. De même Barral (2012) étudie la recomposition du travail au sein du capitalisme agraire de plantation en Indonésie et analyse les interconnexions entre les systèmes de production familiaux et le développement du

Mathieu Boche –Thèse Université Paris Sud, UMR Art ’Dev – CIRAD – 2014 51 capitalisme de plantation. Ces auteurs expliquent, à l’aide de cadres hétérodoxes (approche marxiste de « l’incorporation inversée (Du Toit 2004)), comment l’arrivée des investisseurs a bouleversé les systèmes d’activités des agriculteurs locaux. Dans une vision d’économie agricole plus orthodoxe Baumgartner et al. (2013) analysent également les implications du développement d’un projet de plantation de riz en Ethiopie sur les systèmes d’activités des populations locales en se focalisant sur les revenus, les prix et les emplois pour différents groupes au sein de la population. Malgré la différence de leurs cadres d’analyse ces études démontrent la complexité des relations entre ces projets et les agriculteurs et communautés locales. C’est à cette complexité de la question des impacts économiques locaux que les études ont tenté de répondre.

Les transferts de technologie entre les projets et les agriculteurs locaux et « l’inclusion » de ces derniers dans les projets ont également été présentés comme des canaux d’implication économique locale (Vermeulen et Cotula 2010, Deininger et Byerlee 2011).

Plusieurs modalités alternatives de structurations des investissements dans l’agriculture incluant une gamme variée d’arrangements entre des investisseurs à grande échelle et des agriculteurs locaux (agriculture contractuelle, « joint-venture », différentes structures de gouvernance de chaîne de valeur) ont été mises en avant (Vermeulen et Cotula 2010). L’avancée des recherches économiques sur les acquisitions foncières à grande échelle passe donc par une compréhension plus approfondie des modèles d’investissements. Différentes typologies ont ainsi été proposées pour éclairer les nuances économiques, institutionnelles et sociales qui caractérisent les différents projets. Ces typologies utilisent plusieurs approches, basées sur les critères descriptifs des projets et de caractéristiques d’ancrage au territoire (taille, source de financement, type de culture, degré de déplacement de population, système de travail salarié) en Afrique Australe (Hall 2011) ou sur la structure de gouvernance des projets (Vermeulen et Cotula 2010). Ce dernier exemple de typologie fait écho à la littérature abondante concernant l’agriculture contractuelle.

En effet, certains auteurs s’interrogent sur la capacité des acquisitions foncières à entraîner une dynamique d’agriculture contractuelle (De Schutter 2011, HLPE 2011). Oya (2012, p24) se demande notamment si « l’avènement de crises alimentaires globales et des acquisitions foncières à grande échelle vont entraîner une augmentation ou un frein à l’agriculture contractuelle dans les pays en développement ? ». Les analyses actuelles semblent suggérer que la plupart des acquisitions foncières se traduisent par un renouveau de l’agriculture de plantation dans des pays où cela semblait improbable jusqu’à présent (Cotula et al. 2010, Deininger et Byerlee 2011, Li 2011). Cependant, les différentes recherches existantes s’accordent à dire que la question mérite de plus amples analyses

Mathieu Boche –Thèse Université Paris Sud, UMR Art ’Dev – CIRAD – 2014 52 basées sur la collecte de données de terrain. En tout cas, l’implication pour les revenus des agriculteurs et des communautés locales des différents modèles de production constitue une question majeure.

Celle-ci a été abordée par des analyses comparatives d’arrangements institutionnels entre agro-industries et agriculteurs locaux. Dans le cas des productions d’huile de palme en Asie du Sud, plusieurs types d’arrangements institutionnels entre producteurs locaux, gouvernement et investisseurs ont été analysés permettant de mettre en évidence les défaillances de la politique actuelle de joint-venture développée en Malaisie (Cramb et Ferraro 2010). Bien qu’étant plus efficaces en terme de production, les différents arrangements promus par le gouvernement s’avère être moins rentables pour les agriculteurs locaux (qui deviennent des rentiers et/ou des producteurs) que les systèmes de production locaux développés sur une surface équivalente. Des stratégies opportunistes des agro-industries, établies grâce à la structure de ces entreprises multinationales, permettent même à ces dernières de s’approprier une part importante des bénéfices au détriment des communautés locales partenaires (Cramb 2013).

2) Au niveau macro : vers l’émergence d’un nouveau système

alimentaire ?

Enfin, d’autres études ont privilégié une analyse des implications macroéconomiques et géopolitiques du phénomène. L’origine et les caractéristiques des acteurs impliqués dans ces acquisitions ont poussé les chercheurs à envisager les acquisitions foncières internationales comme un marqueur de l’accentuation des contradictions dans le système alimentaire mondial. Selon McMichael (2012), ces acquisitions foncières constituent une vague d’enclosure de nature à restructurer le système alimentaire mondial actuel, notamment en déplaçant son centre de gravité vers les terres des pays du Sud. Ainsi, le « système alimentaire d’entreprise » qui a été développé des années 1980 jusqu’à aujourd’hui repose sur une libéralisation de l’agriculture grâce à des programmes d’ajustement structurel et des programmes encourageant l’agro-exportation et la libéralisation des économies des pays en développement. Ce système alimentaire d’entreprise est marqué par une industrialisation de l’agriculture (McMichael 2009) et a entraîné plusieurs cycles de « depeasantisation4

» et une accumulation globale du capital. Ce courant de pensée soutient que cette trajectoire d’accumulation est aujourd’hui en crise et que les acquisitions foncières constituent une réponse du capitalisme qui recherche à se déplacer dans les derniers réservoirs de croissances, notamment l’Afrique. Cette

4

Il n’y a pas vraiment de traduction pour se terme en français. Le terme le plus proche est celui de « désagrarisation » qui réfère à une disparition de l’agriculture paysanne

Mathieu Boche –Thèse Université Paris Sud, UMR Art ’Dev – CIRAD – 2014 53 analyse d’une crise de l’accumulation capitaliste est notamment faite par Borras et al. (2012, p851) qui établissent que « ce qui est différent dans la vague actuelle d’acquisitions foncières est qu’elle a lieu en raison, et dans la dynamique, de stratégies d’accumulation du capital qui sont principalement en réponse à une convergence de crises multiples : alimentaire, énergétique, climatique, financière […] ainsi qu’à des besoins croissants de ressources pour des nouveaux bassins de capital, notamment dans les BRICS et certains pays à revenus moyens puissants ». L’implication d’investisseurs provenant des pays émergents5 (Brésil, Inde et Afrique du Sud) ainsi que des pays du Golf (Woertz 2013) est vue comme une recomposition de la géopolitique alimentaire (Boche et Pouch 2014).

Cette analyse de recomposition du système alimentaire est partagée par McMichael (2012) qui va même jusqu’à poser la question de l’émergence d’un nouveau système alimentaire marqué par un processus de financiarisation de l’agriculture. La financiarisation de l’agriculture est définie par l’implication d’acteurs issus du secteur de la finance mais également par le développement des mécanismes de gestion au sein de l’activité agricole (Ducastel et Anseeuw 2013). Ce processus réunit différents types d’investisseurs financiers et d’autres acteurs, tels que les sociétés de gestion d’actif, aux modalités d’action hétérogènes (Buxton et al. 2012). Daniel (2012) a été le premier à expliciter cette diversité et à insister sur le rôle de soutien des institutions financières de développement. Ducastel et Anseeuw (2013) ont, quant à eux, insisté sur la façon dont les sociétés de gestion d’actif transforment les exploitations agricoles en actifs financiers.

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