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C - Acquisitions foncières à grande échelle et gouvernance foncière : accès, contrôle et maintien de l’autorité

Comme nous l’avons établi dans notre cadre conceptuel, afin d’apporter des éléments de réponse aux questionnements d’économie politique agraire sur les transformations de l’agriculture nous devons nous pencher sur les quatre questions majeures définies par Bernstein (2010). Les deux approches méthodologiques présentées auparavant nous ont permis d’aborder les questions de la division du travail, de la distribution de la richesse et du développement des formes de capitalisme agraire. La quatrième, et dernière question, est celle des relations sociales de propriété de la terre. La compréhension des changements de relations sociales de propriété de la terre passe principalement par l’analyse fondamentale du transfert de contrôle effectif sur le foncier (Borras et Franco 2012, p50). Ce contrôle effectif englobe l’ensemble du « faisceau de droits » et du « faisceau de pouvoir » corrélé. Ainsi notre analyse des changements de relations sociales de propriété de la terre engendrés par les investissements fonciers à grande échelle, et plus particulièrement leur processus d’acquisition foncière, nécessite l’analyse des modalités d’accès, de contrôle et de maintien de l’autorité sur les décisions relatives à la gouvernance foncière. Il nous faut donc comprendre les pouvoirs formels et informels exercés par différents acteurs dans les trois étapes constituant le contrôle effectif de la terre. L’analyse de ce faisceau de pouvoir peut contribuer à la compréhension de la manière dont le foncier est contrôlé à différentes échelles (Burnod et al. 2013).

L’analyse de l’ensemble des modalités d’accès au foncier utilisées par les investisseurs a donc été réalisée en accord avec l’ancrage méthodologique « compréhensif » des objets de recherche pour lequel nous avons opté afin de comprendre les pratiques et raisonnements des différents acteurs impliqués dans l’acquisition du foncier par les investisseurs. Ainsi, comme le rappellent Amblard et Colin (2009) dans leur analyse des contrats agraires, il est nécessaire de s’inscrire dans la vision de Herbert Simon (1986, p210-211) qui déclare que : « Si (…) l’on accepte la proposition selon laquelle la connaissance et le pouvoir de réflexion du preneur de décision sont limités, alors il faut distinguer

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entre le monde réel et la perception qu’en a l’acteur. (…) La compréhension du processus employé par les agents économiques pour prendre des décisions nécessite l’observation de ces processus en temps réel (…) et/ou l’interrogation des croyances, espérances et modalités de raisonnement des preneurs de décision ».

Nous avons donc basé notre compréhension des modalités d’accès de contrôle et de maintien du pouvoir sur le foncier sur un travail de terrain prolongé en 2012 et 2013 avec différentes sources d’informations :

 Entretiens de types focus group avec des représentants de 16 communautés locales ayant participé aux négociations pour l’accès au foncier des investisseurs (Annexe 4).

 Volet modalités d’accès au foncier des entretiens réalisés avec les investisseurs (20)

 Entretiens réalisés avec les agriculteurs ayant accepté des contrats agraires en configuration de tenure inversée (3)

 Entretiens avec les représentants de l’administration foncière nationale (12)

 Entretiens avec des représentants de l’administration foncière provinciale et au niveau des districts (15)

 Analyse des textes de politique foncière concernant les modalités de jure de négociation pour l’accès au foncier

 Recherche participative au sein du projet Pro Parcerias et participation au Forum National sur les Terres avec l’ensemble des représentants de l’administration foncière aux échelons national et provincial

Ces différentes enquêtes, méthodes de recherche participative et analyses de documents de politiques foncières nous ont permis de cerner différents aspects des stratégies de réaffirmation de l’autorité de certains acteurs étatiques et privés et des mécanismes de sélection permettant de conserver certains projets privilégiés.

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Ainsi, au sein des 37 projets de notre échantillon initial, nous avons pu approfondir la question des négociations pour l’accès au foncier avec l’ensemble des acteurs (représentants de communautés locales, représentants de l’administration foncière et investisseurs) pour 16 projets. L’analyse des processus de consultation et négociation avec les communautés locales ainsi que des rapports de forces au moment des négociations des termes des contrats agraires ont permis d’analyser l’inclusion des différents détenteurs du « faisceau de droit dans ces processus » et le caractère équitable des arrangements établis. Cette partie de l’analyse nous permet, notamment, d’apporter des éléments de réponse à la production de normes réalisée par les différents acteurs impliqués dans ces processus d’acquisition foncière.

Enfin, une analyse particulière a été portée sur plusieurs cas de projets ayant échoué afin de comprendre dans quelle mesure cette dynamique du phénomène, dont la compréhension semble émerger, influence l’accès et le contrôle effectif des différents acteurs sur le foncier.

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Conclusion : originalités et limites du dispositif

méthodologique

En nous appuyant sur notre positionnement théorique pour comprendre l’évolution du capitalisme agraire engendrée par les acquisitions foncières à grande échelle, nous avons choisi d’analyser les modalités d’accès au foncier et les formes d’agriculture d’entreprise établis par les investisseurs étrangers dans la partie centrale du Mozambique et plus particulièrement dans le Corridor de Beira, la Vallée du Zambèze et le district de Gurué. Nous avons aussi justifié notre choix pour trois approches méthodologiques complémentaires sur un échantillon englobant la quasi-totalité des projets impliquant des investisseurs étrangers dans notre zone d’étude. Enfin, nous avons présenté la pertinence d’une caractérisation de notre objet d’étude grâce à des études de cas et modélisation de modèles d’entreprise basées sur des sources qualitatives et une quantification de la répartition des coûts et bénéfices entre les différents acteurs. L’originalité du dispositif réside dans le choix de mener une analyse sur la « boîte noire » des acquisitions foncières à grande échelle, c’est-à-dire leur organisation interne en utilisant une approche visant à comprendre les pratiques, plutôt qu’à les postuler, grâce à une combinaison d’outils. Il cherche aussi à répondre en partie aux insuffisances soulevées dans la littérature (chapitres I et II) et à aller au-delà du caractère limité de la plupart des analyses sur les «land deals » qui tendent à ne s’intéresser, dans une vision statique, qu’à l’accès aux foncier et ne prêtent que peu d’attention à la question du capital (Oya 2013).

Cependant notre dispositif présente certaines limites d’observations. L’analyse de la diversité des projets se fait au détriment d’une compréhension approfondie de certains effets locaux. En effet, une évaluation économique de projets avec différentiel de situation avec et sans projet nous aurait permis d’apporter une analyse plus fine des créations nets d’emploi et de la différentiation des systèmes de production locaux imputable au projet. Néanmoins, la dynamique d’évolution rapide du phénomène au niveau des projets à laquelle nous avons été confrontés rendait cette option difficilement réalisable. Enfin, la collecte de données auprès des investisseurs peut s’accompagner de biais que nous ne sous-estimons pas mais qui restent interprétables pour nourrir nos questions de recherche.

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Chapitre IV. Les investissements fonciers au cœur

du développement de nouvelles formes

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