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L’apprentissage de la lecture littéraire, une expérience réflexive et médiatisée de la

2. CADRE THÉORIQUE

2.3. La perspective de la diversité

2.3.4. La formation des sujets lecteurs divers en classe de français

2.3.4.2. L’apprentissage de la lecture littéraire, une expérience réflexive et médiatisée de la

Définition de la lecture littéraire et visée de son apprentissage

En accord avec l’approche herméneutique du divers qui est la nôtre, nous nous situons dans le prolongement des théories de la lecture littéraire qui s’appuient sur le caractère inachevé du sens, sur sa nature plurielle, mobile et relationnelle (Ricœur, 1985, 1990; Bayard, 2007). Dans le champ de la didactique de la lecture, en nous appuyant sur les approches culturelle

8 Il nous semple que Tauveron (2002) utilise le terme « communauté interprétative » selon cette seconde

(Simard, 2004a; Falardeau et Simard, 2007, 2011) et subjective (Langlade et Fourtanier, 2007; Mazauric, Fourtanier et Langlade, 2011a; Rouxel et Langlade, 2004), nous définissons la lecture littéraire comme un processus interactif complexe entre un sujet et un texte, tous deux considérés comme divers, c’est-à-dire pluriels, mobiles, changeants et possiblement contradictoires. De plus, la lecture littéraire est un processus qui repose sur l’implication du lecteur et sa mise à distance critique. Si l’investissement subjectif du lecteur est la condition première de la lecture littéraire, il doit faire l’objet d’une reprise réflexive pour être porteur d’apprentissages. Dans le long travail d’élaboration d’une interprétation subjective, la diversité culturelle des élèves ne devrait pas être censurée au nom de critères normatifs, mais au contraire valorisée parce qu’elle compose les traces tangibles de la culture première, susceptibles d’être mises à distance et de contribuer à une meilleure compréhension de soi comme sujet lecteur. Selon nous, l’apprentissage de la lecture littéraire pourrait permettre à l’élève de réfléchir sur lui-même comme sujet lecteur et de mettre à distance sa diversité culturelle, grâce à la médiation du texte littéraire. La formation à la lecture littéraire vise ainsi l’apprentissage réflexif d’une triple médiation : a. entre les cultures premières des lecteurs et la culture seconde; b. entre l’identité9 et l’ipséité, c. entre soi et autrui, considérés comme des sujets lecteurs divers.

Les processus de l’apprentissage de la lecture littéraire

Selon nous, l’apprentissage de la lecture littéraire s’appuie sur trois processus complémentaires : le retour au texte, le développement de la réflexivité (comme mise à distance et retour sur soi) et la collaboration intersubjective.

Le retour au texte, sous la forme de la relecture, est essentiel au développement de la compréhension, car la première lecture ne permet pas toujours aux élèves de saisir l’intrigue dans sa complexité et presque jamais de cerner la polysémie et les enjeux symboliques du texte. De plus, le retour au texte développe l’activité réflexive : il permet la mise à distance du texte, lorsque l’élève le relit pour confronter ses hypothèses. Le retour au texte est aussi un retour sur le texte du lecteur, et dans ce cas il est un moyen du retour sur soi. Selon B. Louichon, « la relecture est une expérience par laquelle le lecteur mesure un écart entre le souvenir de sa première lecture et ce qui advient au cours (ou à la suite) de cette nouvelle lecture » (2011a, p. 167). Elle considère la relecture comme la mise en conflit de deux

9 L’identité au sens que Ricœur donne à la « mêmeté », c’est-à-dire la part du soi-même entendue comme

textes : le texte premier du lecteur et le texte du relecteur susceptible de déclencher le retour sur soi : la relecture « peut être expérience de l’altérité à soi-même, lorsque le sujet découvre par la relecture, par la confrontation entre texte du lecteur et texte du relecteur, combien il a changé, combien il a grandi, vieilli, combien il pense différemment » (idem, p. 168). Néanmoins, pour certains élèves en difficulté de compréhension, la relecture est une expérience de la répétition. « Le relecteur ne lit pas le texte, il relit le texte du lecteur » (idem, p. 175). C’est pourquoi la relecture seule ne garantit ni la mise à distance du texte lu ni le développement de la réflexivité.

La réflexivité se développe grâce à la complémentarité de deux composantes : la mise à distance et le retour sur soi. La mise à distance du texte lu, si elle est nécessaire, n’est pas suffisante pour développer l’apprentissage de la réflexivité. La mise à distance doit s’exercer aussi par rapport à l’implication du lecteur. Dans ce cas, on distinguera la mise à distance par le lecteur de ses interprétations successives ou concomitantes et la mise à distance de ses pratiques langagières (la lecture, la relecture, l’écriture de « texte de lecteur », etc.). La mise à distance des discours et des pratiques de lecture favorise le retour sur soi-même comme lecteur. Ce dernier consiste à identifier les ressources subjectives mobilisées pour comprendre et interpréter le texte, mais aussi l’analyse rétrospective du parcours interprétatif et la représentation de soi-même comme lecteur.

Dans la classe, l’activité réflexive du sujet lecteur divers est renforcée par les interactions avec les autres lecteurs du texte. L’intersubjectivité est constitutive de la formation de sujets lecteurs divers, car elle permet de briser le solipsisme dans lequel le lecteur solitaire pourrait s’enfermer et surtout, parce qu’elle est le meilleur moyen pour les élèves d’étudier et de comprendre la diversité interprétative. En effet, la confrontation des interprétations, notamment dans le cadre d’activités collaboratives, permet aux élèves de prendre conscience de leur diversité et de modifier leurs propres hypothèses.

Par diversité interprétative, nous comprenons la multiplicité des interprétations d’un texte littéraire telles qu’elles sont produites par des lecteurs, eux-mêmes divers, en situation d’interaction. La diversité interprétative est donc le produit à la fois de l’activité d’un sujet lecteur individuel et d’une communauté de lecteurs. Elle recouvre non seulement les diverses interprétations produites par différents lecteurs, mais aussi les multiples transformations que ces dernières subissent lors des interactions. Favoriser et organiser la production par les élèves de plusieurs interprétations (concomitantes et successives)

apparait comme un enjeu didactique majeur de l’enseignement de la lecture littéraire. Sur le plan didactique, nous distinguerons les activités de lecture et d’écriture qui permettent de produire diverses interprétations subjectives, des activités qui permettent de découvrir le phénomène de la diversité interprétative (le débat interprétatif, par exemple).

En intégrant les trois processus du retour au texte, de la réflexivité, du retour sur soi dans un espace discursif intersubjectif, l’enseignant amène les élèves à s’interroger de manière réflexive et critique sur la part des diversités subjectives et intersubjectives dans la production des interprétations qui font vivre le texte dans le contexte de la classe. Ce modèle d’enseignement de la lecture littéraire vise à intégrer davantage la diversité culturelle des sujets lecteurs que ne l’ont fait les précédents modèles. Dans le cadre de cette recherche, nous nous sommes interrogée en particulier sur la part des ressources socioculturelles dans la production de la diversité interprétative.

2.3.4.3. L’influence des ressources socioculturelles sur la production de la diversité