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2. La construction des données sociologiques

2.2. L’analyse de contenu sémantique en sociologie

La sociologie n’ayant de valeur « que si l’on admet l’existence d’un objet scientifique spécifique, d’une ‘entité sociale réelle’» 213, toute recherche sociologique semble devoir être accompagnée d’une définition préalable de l’ontologie sociologique du social, permettant ainsi au chercheur de définir sa propre position interprétative et d’inscrire sa méthodologie d’analyse de la réalité sociale dans la continuité de celle-ci. Notre décision d’entreprendre une analyse de contenu des discours publicitaires produits par des banques autologues repose ici sur un premier présupposé, à savoir que toute activité humaine se traduit par des pratiques sociales ayant une portée symbolique ou langagière, mettant en oeuvre des connaissances pratiques214. L’analyse de contenu, représente en effet l’ensemble des démarches méthodologiques visant à scruter la dimension discursive des comportements humains, c’est-à-dire à interpréter, à partir des « traces mortes » et matérielles que constituent les textes, les « processus vivants »215, dans l’objectif de rendre compte, dans un langage sociologique, des relations sociales qui en sont au fondement, et ainsi de construire une connaissance abstraite de la vie sociale216.

S’il existe ensuite plusieurs stratégies d’analyse de contenu217 nous avons choisi de retenir la stratégie d’analyse sémantique en raison des limites propres aux perspectives méthodologiques se fondant sur la linguistique du langage, comprenant les discours comme des assemblages d’unités d’analyse linguistiques décomposables par le chercheur comme s’il s’agissait de legos, d’objets tangibles et séparables, ou encore aux perspectives ne visant à interpréter que le contenu informatif du discours, soit les régularités, les thèmes ou les « codes » identifiables dans le texte218. Les limites de ces types d’approches tiennent essentiellement comme le relève Sabourin, au fait qu’en recherchant la signification du discours dans le texte, elles présupposent toutes deux « un accès transparent aux documents faisant ainsi l’économie d’envisager les discours comme construction sociale et moment de

213 Ramognino, Nicole ,« Les entités sociales : réflexions ontologiques », SociologieS [En ligne], Grands

résumés, Les Êtres sociaux. Processus et virtualité, mis en ligne le 07 mars 2014, consulté le 31 mars 2015. URL:

http://sociologies.revues.org/4650

214Que nous avons choisi d’appréhender ici comme des « représentations sociales » , mais que nous aurions aussi

bien pu définir comme des « idéologies ». Voir à ce sujet : Sabourin, Paul, " L'analyse de contenu ", 5e édition dans Benoit Gauthier (éds), La recherche sociale. Du recueil à la collecte des données. Montréal, PUQ, 2009, p. 416

215 Ibid. 216Ibid.

217 Telles que l’analyse de contenu thématique, l’analyse sémantique, l’analyse documentaire, etc. 218 À ce sujet, voir Sabourin, Paul (2009), Loc. Cit. Note 175. p. 425-426.

l’élaboration de la vie sociale »219. Tel que le posait déjà le sémiologue Jean Molino dans les années 60, prônant alors pour une analyse du discours qui retiendrait enfin le « fait symbolique » comme unité d’analyse, qui comprendrait que la signification ne peut être réduite à des entités isolables en ce qu’elle est avant tout « un travail de production symbolique »220 :

Le symbolique n’est justiciable ni du modèle informationnel, car la culture n’est pas transmission d’informations, et les concepts de la théorie de l’information restent vides lorsqu’on tente de les utiliser : codes, messages ne fournissent guère qu’un vocabulaire imagé dont le profit est nul pour la description des phénomènes. À quoi sert-il de parler de code idéologique si l’on n’est pas capable de prouver qu’il s’agit bien d’un code, au sens précis du mot, et d’en donner le dictionnaire? Le symbolique n’est pas justiciable d’un modèle structural parce que le modèle structural conduit nécessairement à considérer la signification comme un objet, discrétisable et composable selon des lois de combinaison entre unités; or, la signification n’est pas constituée d’entités, elle se présente comme un rapport, comme une relation de renvoi entre signifiant et signifié…Le symbolique n’est pas une « chose » comme les autres. L’analyse du symbolique est encore à construire221.

En ce qu’elles sont expressives des activités de connaissance singulières des personnes qui intéressent précisément le sociologue en ce qu’elles participent de la construction de la vie sociale, ce ne sont en effet, ni les informations contenues dans le discours relatives à l’expérience vécue qui devraient être analysées, ni encore les unités linguistiques en tant que traces symptomatiques de la réalité sociale, mais bel et bien les propriétés, les règles sociocognitives de construction du discours ou encore les différents usages qui sont faits du langage, eux-mêmes relatifs à la relation sociale de communication singulière qui est établie au moment de l’acte de construction du discours (le discours est produit par des locuteurs spécifiques s’adressant à des destinataires particuliers dans une visée précise)222. Les « formes d’expression humaine de nature esthétique »223 que représentent les textes nous donnent en ce sens accès, non pas uniquement à des contenus socio-symboliques, mais à des organisations singulières de ces contenus qui sont relatives à différentes perspectives sur la « réalité sociale », et qui renvoient donc à différentes formes de structuration socio-symboliques de l’expérience

219 Ibid., p. 426.

220 Nicole Ramognino, « Hétérogénéité ontologique du social et théorie de la description. L’analyse de la

complexité en sociologie », Revue européenne des sciences sociales, vol.XL, no.124, 2002, p. 156

221 Molino, Jean, Sur la situation du symbolique, dans George Duby, Aix-en Provence, L’Arc, 1978, p.25. cité

dans Ramognino, Nicole (2002), Ibid. p. 23.

222 Sabourin, Paul (1997), Loc. cit. Note 172.

223 Telles que les productions visuelles ou auditives et les productions langagières que constituent les discours.

sociale224, ou encore à différents « modèles concrets » de connaissance225. Comme l’explique ainsi Gilles Houles :

S’il y a modélisation, c’est suivant des règles implicites qui déterminent les modalités de la mise en forme; le modèle concret est à repérer et à dégager au moment de l’analyse, à repérer explicitement donc. […] Ces règles sont repérables dans des discours, elles sont observables dans l’ordre même du langage. Une telle sociologie de la connaissance ressortit méthodologiquement à une sémantique structurale, à l’analyse d’organisations lexicales. Rappelons avec Granger que si une forme de connaissance est relative à l’objet dont elle est l’expression et aux règles de sa construction, ces règles renvoient aux points de vue de l’usage linguistique, lesquels “correspondent à une orientation de la structuration dans son rapport à l’expérience”. Si structuration il y a dans le langage, cette structuration est bel et bien observable dans une forme de connaissance […] Il y a donc modélisation concrète de l’expérience dans le langage […]226.

L’approche d’analyse sémantique postulant alors que la localisation sociale du discours détermine en partie la manière dont les contenus représentationnels identifiables dans le matériau sont articulés au sein d’une organisation particulière elle-même significative d’un rapport singulier à l’expérience sociale, c’est-à-dire que « le sens n’est pas dans le texte, mais dans la relation entre le producteur d’un texte, le texte et un récepteur »227, nous définirons maintenant les contraintes propres au travail d’écriture qui renvoient à une structuration particulière de l’expérience sociale, et donc à des relations sociales spécifiques.

224 Selon une sociologie de l’expérience sociale (ou de la mémoire sociale) telle que la propose le sociologue Paul

Sabourin à partir des travaux de Maurice Halbwachs (1925, 1950), ce sont en effet les conditions sociales du rapport au monde des personnes, la localisation de leurs interactions sociales au sein d’“espaces-temps sociaux” spécifiques (de différents groupes sociaux) qui seraient au fondement de différents univers structurés de signification. Ces « espaces-temps sociaux » seraient eux-mêmes constitués par des usages du langage et des “cadres sociaux de la mémoire” spécifiques. En effet, selon le sociologue, si c’est à travers les interactions sociales, soit l’expérience des personnes que la mémoire est rendue possible (mémoire alors entendue ici comme

localisation, élaboration des souvenirs), c’est aussi par, à travers la mémoire (ici comprise dans sa fonction

d’indexation de l’expérience, permettant aux personnes de recourir, dans leurs interactions sociales, à des contenus significatifs découlant de leurs expériences passées au sein d’une pluralité de « cadres sociaux de la mémoire », soit de structurations particulières des référents sociaux du souvenir que constitue le temps, l’espace et le langage) qu’il y a « réciprocité des perspectives » entre les personnes au sein d’un groupe social donné, soit une structuration réciproque et continuelle des « cadres sociaux de la mémoire ». Voir, Sabourin, Paul (1997).

Loc.Cit. Note 172.

225 Houles, Gilles (1979), Loc. Cit. Note 154.

226 Houles, Gilles, 1997, p. 284, cité dans Brochu, Paul, “L’éthique catholique et l’esprit du coopératisme : la

Caisse d’économie des pompiers de Montréal comme observatoire sociologique (1945-1980)”, Revue

Interventions Économiques, vol. 45. 2012, p. 17.

2.3 Le discours comme forme sociale localisée de connaissance : définition de la relation de