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S’informer et conserver, répondre de ses devoirs envers la collectivité nationale

A. Les banques comme sources d’informations pour une mère proactive dans son « auto-éducation »

5. S’informer et conserver, répondre de ses devoirs envers la collectivité nationale

Différentes célébrités témoignant de supporter la conservation sang de cordon se voient dans le discours attribuer le rôle de modèles de moralité. Elles sont en effet tout d’abord présentées comme de « bons parents », soit comme des parents prudents et responsables, privilégiant le bien-être de leur enfant sur la perte des simples biens matériels et financiers que représentent les coûts liés à la conservation autologue :

Celebrities certainly spare no expense when it comes to their children, so it is no wondering that so many famous parents-to-be have been spotted with cord blood kits.

Insception Lifebank blogue, post du 6 septembre 2011

Elles sont également définies comme de bons citoyens, en ce qu’elles seraient justement engagées dans un projet d’« éducation » plus large en offrant des « témoignages positifs » permettant aux autres familles de devenir « éduquées » :

It seems many celebrities are recognizing the importance of cord blood banking. The lastest celebrity couple actively choosing to bank their baby’s cord blood is Jason Biggs and Jenny Mollen. […]

Jason and Jenny say they will gladly provide positive testimonials regarding cord blood banking and cord blood stem cells to help other families become cord blood educated.

Insception Lifebank blogue, post du 26 février 2014

En définissant dans cet extrait le fait pour un ancien joueur de baseball d’ « éduquer » ses semblables à la conservation de sang de cordon comme un projet « philanthropique », le discours semble ainsi définir le fait de s’investir dans le partage de « la vérité » des cellules souches de sang de cordon et des bénéfices de leur conservation, comme une sorte d’engagement politique :

248Pellizzoni, Luigi et Ylonen Marja, “Hegemonic contingencies: Neoliberalized Technoscience and

neorationnality” dans (dir.) Pellizzoni Luigi, Neoliberalism and Technoscience: Critical Assessments, Ashgate, Series Theory, Technology and Society, 2012, p. 51.

Retired NBA star Julius Erving was best known through his professionnal carreer as Dr. J, a nickname that originated in high school. But few people know that the Basketball Hall of Famer is also a proud supporter of cord blood banking, and encourages continuous research into cord blood stem cell therapy. […] Following the retirement from the NBA, Erving philanthropically involved with building awareness for cord blood banking. […] He hopes to continue to inform the public about the benefits of cord blood stem cells as well as convince the government to support further research into potential medical therapy.

Insception Lifebank blogue, post du 7 août 2013.

L’intégration de ces « modèles » de réussite et de bienfaisance au sein du discours s’inscrit dans l’idée que la conservation serait la responsabilité politique et morale de tous, celle de chaque citoyen envers sa propre nation, au sein d’un raisonnement dans lequel une représentation de la citoyenneté politique tout à fait spécifique vient ici faire son apparition:

Remembrance Day 2014 — Lest We Forget.

[…] As we honour the past, we must also commit to our vision of the future. What can we do today to provide for our children — the next generation of Canadians? This question is one that we ask collectively as a country but also, privately, as parents. While today we are fortunate to live in a time of stability and peace within Canada, we are still regularly doing battle with childhood and genetic illnesses that threaten our families. However, one alternative we now have that previous generations did not is the option to bank cord blood and cord tissue in the hopes that it could one day protect our children, if need be. Banking cord blood is a way to protect our children’s health and an investment in our collective national future. So, like our veterans did for us, let’s commit to championing the future we dream of for generation of Canadians to come by investing in the health of our children and our nation.

Insception Lifebank

La construction proactive du futur de santé désiré et espéré se trouve en effet définie dans ce passage, à la fois comme l’engagement moral des parents vis-à-vis de leurs propres enfants, de leurs propres familles, et comme une responsabilité citoyenne envers la collectivité nationale. Les sphères familiale et nationale se trouvant décrites comme des univers continuellement menacées par la maladie, l’engagement des parents dans la « lutte » que constitue la protection de la santé de leur enfant et de leurs familles se trouve aussi cadré comme une manière de répondre de ces devoirs politiques envers la collectivité, notamment comme une manière d’ « investir » dans la santé nationale. La conservation autologue des cellules souches dans un compte exclusivement familial, justement défini comme un moyen de s’engager directement dans cette lutte collective et de reprendre ainsi en main le destin de santé de la nation tout entière, est alors explicitement comparée à l’engagement militaire des vétérans ayant combattu au sein des forces armées canadiennes. En ce qu’elle serait au fondement d’un meilleur futur collectif, d’une nation en meilleure santé, la participation au secteur privé de conservation à travers la mise en banque familiale des cellules du nouveau-né finit ainsi par se trouver définie comme une manière de contribuer au « bien commun », soit définie comme un acte d’altruisme.

Ce devoir de s’auto-éduquer en rapport aux potentialités de son propre corps en termes de futures thérapies rejoint ainsi l’analyse développée par la sociologue Adèle Clarke et ses collègues, concernant l’émergence de l’idée du patient idéal comme étant individuellement engagé dans la surveillance constante de son propre état de santé, comme un consommateur « scienticisé » et informé de ces risques et de ses options de santé249. On voit ainsi définit dans le discours de nouvelles responsabilités au regard de la « connaissance », notamment le devoir de s’informer et de partager les connaissances emmagasinées à travers l’information recueillie sur les sites promotionnels des banques elles-mêmes et au travers d’une « communauté » présentée comme étant horizontale, égalitaire et soi-disant déjà existante de transmission du savoir, constituée d’autres mères plus ou moins « expérimentées » au regard de la conservation, plus ou moins informées de ces bénéfices (bien que toutefois comme on l’a vu organisé principalement autour de l’autorité des banques autologue elles-mêmes). Cette « auto- éducation », présentée comme la source d’un « empowerment » (d’une autonomisation ) individuel permettant aux mères de faire des choix éclairés et autonomes concernant la consommation ou non d’un service de conservation autologue permettant d’améliorer leur propre santé et celle de leur famille, en donnant l’impression d’une information médicale neutre et objective qui masque la relation marchande et intéressée au fondement du savoir présenté sur les sites promotionnels des banques. Incitant les mères à « se connaitre elles-mêmes » afin de mieux se soigner, le discours donne finalement l’illusion que les consommatrices impliquées dans leur auto-éducation ne seraient que mises en rapport avec elles-mêmes, avec leurs propres désirs, leur propre rationalité, seraient libres de toutes formes de contrainte extérieure ou de toutes formes de normativités sociales.

Le présent modèle « médical » participatif, dans lequel chacun serait individuellement et moralement impliqué dans le projet d’améliorer sa propre santé, ouvre finalement dans le discours sur l’idée que la conservation familiale par les mères de leurs propres cellules, ainsi que le support « éducatif » (le partage des bienfaits de la conservation) offert aux autres mères afin de leur permettre de faire elles aussi des choix éclairés et autonomes concernant la conservation autologue, représenterait une forme d’engagement militant vers l’amélioration de la santé collective, soit un acte politique de solidarité nationale. Cette conception de la patiente comme étant une militante engagée dans la santé nationale à travers la consommation d’un service lui permettant d’investir ses cellules dans le futur de sa propre

249 Clarke, Adéle ; Shim, Janet ; Mamo, Laura ; Fosket, Jennifer et Fishman, Jennifer, 2010, Loc. Cit. Note 10, p.

famille, s’inscrit alors dans une représentation particulière de la « société », et même de la « nation », comprise comme un simple agrégat de volontés individuelles orientées vers le désir d’améliorer leur propre devenir familial de santé. Cette représentation semble ainsi rejoindre l’analyse de Rose concernant, non pas exactement la disparition de la l’engagement, de la participation politique des individus, mais l’émergence d’une nouvelle manière de concevoir la citoyenneté. La question de la citoyenneté ne serait plus uniquement inscrite dans l’espace territorial de la nation, mais serait en effet aussi reposée à partir des multiples « engagements actifs des individus » dans différentes « zones spécifiques de l’identité » que sont, par exemple, les secteurs dits « de style de vie » (lifestyle sectors)250 dont est partie prenante le secteur de plus en plus corporatif de la santé, en tant que lieu de production de normes de contrôle de son corps et d’autonomie.

B. Un encadrement institutionnel préservant les cellules autologues au