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Encadré 2. Définitions et commentaires sur l’AUP Source : Moustier P., Fall A S.,

II.2 l’agriculture urbaine, une activité aux compositions, motivations et finalités diverses

Si l’agriculture rurale s’étend souvent sur de vastes étendues de terres, l’agriculture urbaine se caractérise, la plupart du temps, par la concentration de systèmes agricoles sur un territoire réduit.

II.2.1 Diversité et concentration des systèmes agricoles urbains

Quelque soit le pays, l’agriculture urbaine est constituée aussi bien de systèmes de production végétale qu’animale. Cependant, suivant le pays, des variations existent dans la composition des systèmes de production végétaux. Ainsi, dans plusieurs pays européens, cette agriculture est principalement caractérisée par les systèmes de grandes cultures représentées par la production céréalière et oléo-protéagineuse.

En France, par exemple, plusieurs chefs-lieux régionaux, comme Paris et Rennes, offrent ce cas de figure, même si on y retrouve aussi quelques exploitations maraîchères et d’élevage. C’est le cas du Plateau Centre Essonne, en banlieue parisienne, où, sur les 26 exploitations enquêtées, 19 mettent en œuvre des grandes cultures et les 7 restantes sont partagées entre 4 « productions particulières » comme le maraîchage, l’apiculture, la pépinière mais aussi l’aviculture et 3 « systèmes mixtes » qui associent l’une ou l’autre des types de systèmes de production des deux groupes précédents (Rebholtz, 2003 : 14 ; Aubry et Fleury, 20046).

Toujours en France, selon Fleury, l’agriculture urbaine variée est composée autant de systèmes modernes (fermes maraîchères assurant plusieurs dizaines de marchés hebdomadaires comme celles du réseau Chapeau de Paille axé sur la cueillette et la pédagogie et accueillant des dizaines de milliers de visiteurs chaque année) que de modèles utopiques, « présentés comme alternatifs, seuls tenant de l’agriculture durable et strictement inscrits dans le développement local. Le public y retrouve l’agriculture paysanne dont il rêve ».

La régression de la diversité de l’agriculture périurbaine dans les pays développés est expliquée par Fleury et Donadieu (1997 : 46) par le fait que « pour une large part, l’agriculture périurbaine contemporaine n’a plus ses débouchés en ville, ni n’en gère les déchets. Elle est souvent faite de systèmes de production proches de ceux de régions rurales de même situation écologique (SEGESA, 1994) ; ces exploitations ont d’ailleurs été souvent rejointes par l’étalement de la ville (Fleury, 1995) ». Ils donnent des exemples, pour la France, où l’on voit : « au voisinage des villes des grandes cultures en Ile-de- France, des vignes de grande production dans le Languedoc, du maraîchage dans le Roussillon, des prairies intensives dans l’Ouest atlantique ».

Contrairement à cette situation qui prévaut dans les pays développés, dans les pays en développement, les études sur leur agriculture périurbaine ont montré la continuité d’une grande diversité des systèmes de production mis en œuvre. Ainsi, dans sa communication présentée à l’atelier CIRAD-CORAF à Montpellier (France) et portant sur l’agriculture périurbaine en Afrique subsaharienne, Moustier (1998 : 30) précise que cette « agriculture inclut ici le maraîchage, les cultures vivrières de base, l’élevage, la pisciculture, l’arboriculture fruitière et forestière ». La diversité de cette agriculture est aussi présentée par des auteurs comme Ba Diao (2004) ; Temple et Moustier, (2004). Cependant, dans ces pays, du fait de la situation socio-économique : pauvreté et

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déficience du système de transport, ce sont davantage les systèmes de productions horticoles (maraîchage, arboriculture, floriculture) qui dominent. Cette différenciation entre pays en suscite deux autres, situées aux deux extrémités de l’acte de production : ses motivations et ses finalités.

II.2.2 Des activités agricoles aux motivations et finalités diverses

Dans les pays développés, l’agriculture intra ou périurbaine peut être pratiquée pour différentes raisons : loisir, maintien d’un lien social : cas des jardins familiaux ou ouvriers en Europe à propos desquels Fleury et Moustier (1999 : 283) écrivent qu’ils « sont désormais plus reconnus pour leur valeur de thérapie sociale que pour leur rôle économique ; ils permettent le maintien ou la réapparition de lien de proximité, première étape dans la réduction des fractures sociales ». Ces jardins participent à la facilitation des rapports sociaux pour divers types de populations : jeunes en difficulté ou pas, chômeurs, handicapés, personnes âgées et immigrées. Ceci est confirmé par l'Office International des jardins familiaux qui est le plus grand regroupement européen, sans but lucratif, de fédérations nationales de coin de terre et de jardins familiaux et qui compte plus de trois millions de jardiniers individuels associés et de familles d'amis jardiniers affiliés. En effet, sur son site Internet (http://www. http://www.jardins-familiaux.org/), on voit que ce réseau offre, entre autres :

- aux chômeurs, le sentiment d'être utiles et de ne pas être exclus ; – un moyen de lutte contre le désoeuvrement ; – un apport en légumes frais au moindre coût

- aux immigrés, une possibilité de communication et de meilleure insertion dans le pays d'accueil.

- aux handicapés, un lieu leur permettant de participer à la vie associative, de nouer des contacts et d'échapper ainsi à l'isolement; l'expérience de l'ensemencement et de la plantation, de la croissance, du mûrissement et de la récolte.

- aux personnes âgées, un lieu de communication et de détente par la réunion de personnes ayant les mêmes intérêts; des contacts qui se sont formés au courant d'années; une possibilité de se réaliser soi-même et une occupation dans son propre jardin au cours du 3ème âge.

L’importance de cette structure est reconnue autant au niveau français comme l’indiquent Girard et Tamisier (1996) qui parlent de la signature d’une charte, en février 1993, par le Ministère de l’Environnement et la Ligue du Coin de Terre et du Foyer, invitant les collectivités locales à s’engager dans le développement de jardins familiaux, qu’au niveau des instances politiques européennes où, par le biais du statut consultatif auprès du Conseil de l'Europe et l'entretien de contacts avec le Parlement Européen et la Commission de l'Union Européenne, l'Office contribue à renforcer la prise de conscience que les jardins familiaux sont nécessaires pour l'amélioration de la qualité de vie urbaine et qu'ils doivent être juridiquement protégés.

Cette conviction que l’agriculture dans les villes est bénéfique pour la société se retrouve aussi du côté de la Russie au sujet de laquelle Boukharaeva et al. (2005 : 155) écrivent que « l’expression agriculture urbaine est peu utilisée bien qu’elle concerne 65 à 80% des urbains. Elle est confondue dans une partie de la littérature avec les datchas [9], ce qui conduit à mettre l’accent sur ses fonctions de prestige et de thérapie ».

Malgré cette prédominance de rôles sociaux, il faut savoir qu’au Nord aussi, l’agriculture périurbaine peut avoir un rôle de création de revenus et d’approvisionnement

alimentaire: c’est le cas de la production céréalière qui est expédiée sur le marché mondial ou de la vente directe de produits horticoles (Ba, 2003). En effet, comme l’écrit Michel Prieur dans la préface du livre "Agricultures urbaines et ville durable européenne" (sous la direction de Monédiaire, 1999 : 14), les recherches sur le jardinage familial en Europe tendent à compléter celles ayant conduit à la publication de l’ouvrage du PNUD / Habitat II de 1996 et, ce, notamment à cause du « quasi-adage qui exprime l’idée qu’il y a "du nord dans le sud et du sud dans le nord" ».

C’est donc essentiellement dans les pays émergeants et ceux en développement que cette agriculture, souvent dominée par le maraîchage, est pratiquée pour satisfaire les besoins alimentaires autant des producteurs que des citadins. Elle contribue alors à l’approvisionnement des marchés urbains (Moustier et Pagès ; Donadieu, 1998 ; Mbaye et Moustier, 1999 ; Ba, 2003 ; Ba Diao, 2004 ; N’Diénor et Aubry, 2004 ; Temple et Moustier, 2004, Boukharaeva et al., (2005) ; Edamana et al., 2006).

Ainsi, au Brésil, Boukharaeva et al. (Ibid. : 155) estiment qu’il s’agit « d’une microagriculture intensive dont les produits sont destinés à une demande locale ». Dans certaines villes africaines, l’agriculture intraurbaine permet à des familles d’accéder facilement à des légumes frais. Fleury et Moustier (1999 : 285) donnent ces exemples montrant la capacité de cette activité qui représente « 50% des ménages à Bamako ou dans l'Est africain ; 25% à Brazzaville ; de 60 à 90% en Egypte […] cette forme d'agriculture est très proche des anciens jardins familiaux "à la française" et est axée sur la satisfaction des besoins d'une famille ».

Au Moyen-Orient, Boissière (2004 : 31-41) présente différentes configurations « agro-urbaines » et distingue les espaces agricoles urbains traditionnels : le « jardin » ou bustan associé aux villes du littoral levantin et de l’intérieur pré-steppique (à Tyr, Saïda, Beyrouth, Sanaa,…) et l’ « oasis » ou guta et waha (à Palmyre ou Sukhné en Syrie, Azraq en Jordanie, ‘Unayza, al Ha’il ou al-Hofouf en Arabie Saoudite, al-Aïn dans les Emirats arabes unis,…) des fermes villas ou mazra’a (à Amman en Jordanie, Alep, Homs, Hama, Damas ou dans les campagnes yéménites).

Souvent, même située à proximité de la ville et entretenant des liens avec elle, l’agriculture périurbaine est considérée comme occupant de façon temporaire l’espace ouvert périurbain, ce, à cause de la progression de l’espace bâti sur l’espace agricole. Aussi, comme le fait remarquer le Programme Agriculture Urbaine de l’ENSP-Versailles, « les rôles nouveaux qu’elle (l’agriculture) peut jouer en termes de production de paysage, de défense de l’environnement, de promotion de la biodiversité et d’harmonie sociale l’impliquent à nouveau dans le fonctionnement urbain. Elle devient alors agriculture urbaine et c’est ensemble qu’espaces cultivés et espaces bâtis participent au processus de construction du territoire urbain, de la ville-nature. L’agriculture urbaine est toujours une activité économique, mais sa production n’est plus identifiée aux seules denrées agricoles ; en devenant multifonctionnelle, elle devient une composante spatiale et sociale des territoires urbains ».

La dimension politique des contributions de l’agriculture à la ville permet de légitimer son occupation de l’espace. Ainsi, Fleury (2002 : 65) signale que « même s’il paraît prématuré de parler de paysage dans des pays pauvres, le choix de la ville de Hanoï (Viêt- Nam) a été de conserver à des fins patrimoniales et paysagères quelques uns des villages qui seront absorbés par la vaste agglomération en projet ».

Ces rôles nouveaux de l’agriculture dans le développement des villes ont aussi été abordés par Doucouré et Fleury (2004 : 32) qui rapportent la position du Réseau francophone pour l’Agriculture Urbaine en Afrique de l’Ouest et du Centre (RFAU/AOC),

créé par le CRDI, sur ces rôles. En effet, sans évoquer le mot « multifonctionnalité », les termes de référence de ce réseau rappellent que l’agriculture contribue à plusieurs titres à la gestion de la ville :

- en participant à l’approvisionnement, surtout en produits frais ;

- en créant des emplois et des revenus, qui contribuent à l’équilibre social ; - en améliorant l’environnement par une gestion spécifique des déchets ;

- mais aussi en occupant des terrains qui font office de coupures vertes dans le tissu urbain et en participant ainsi à l’aménagement des espaces verts et à l’amélioration de la qualité de l’air ».

Un espace vert occupé par l’agriculture est beaucoup mieux accepté si la planification urbaine lui donne une valeur de coupure verte.

Dans une sorte de continuité, ces différents enjeux ont également constitué les quatre thèmes de l’appel à communications de l’atelier « Agricultures et Développement urbain en Afrique Centrale et de l’Ouest » tenu à Yaoundé, au Cameroun, du 30 octobre au 3 novembre 2005 (Page 3). De son côté, en accord avec Deelstra et Girardet (1999), Mougeot (2005 : 11-12) estime que l’agriculture urbaine est un outil pour une urbanisation durable. Pour lui, conformément au septième Objectif du Millénaire pour le Développement (OMD) consistant à « assurer une durabilité environnementale » – en intégrant des principes de développement durable dans les politiques et les programmes, en limitant la dégradation des ressources naturelles, en améliorant significativement la vie d’une centaine de millions d’habitants de bidonvilles par le biais d’une amélioration de leurs installations sanitaires et de leur sécurité foncière – et, parce que l’agriculture urbaine relie les villes à leur environnement, son lien le plus significatif avec l’environnement et la santé publique est la gestion des déchets.

A travers cette analyse donc, on voit que les chercheurs du Sud et du Nord s’activent, de part et d’autre et en synergie, pour démontrer que l’agriculture périurbaine doit être multifonctionnelle pour résister à la pression urbaine. Mais qu’est-ce que la multifonctionnalité de l’agriculture (MFA) ?

III. Le concept de multifonctionnalité de l’agriculture (MFA) : une