• Aucun résultat trouvé

Niayes et espaces verts de Dakar

Chapitre 3. JUSTIFICATION DU SUJET DE THESE

I.

L’idée initiale de la thèse

Notre travail de recherche dans le cadre du DEA "EMTS", option "Agriculture et Développement Durable" d’AgroParisTech dirigé par le Professeur J. Lossouarn, a comparé « les fonctions et des représentations de l’agriculture périurbaine entre le Plateau Centre Essonne, près d’Evry, et les Niayes de Dakar ». J’ai pu prendre conscience des nombreux problèmes auxquels était confrontée l’agriculture dans cette ville.

Nos constats, confirmés par l’analyse du contexte que nous venons d’effectuer, font état de problèmes :

- d’ordre foncier (pression urbaine, insécurité foncière) ;

- et liés au manque d’eau qui conduit certains agriculteurs à utiliser les eaux usées urbaines.

Dans ces conditions, la situation de cette agriculture est si incertaine que, si aucune mesure n’est prise pour la préserver, certains acteurs prédisent sa disparition pure et simple soit, parce qu’elle leur semble économiquement condamnée, soit parce qu’en fait ils pensent que la ville a un meilleur usage à faire de ces terrains de proximité. Or, particulèrement à Dakar, pour des milliers de producteurs et de commerçants et revendeurs (bana-banas) l’activité agricole offre un emploi et un statut social.

L’importance des Niayes du point de vue économique et, particulièrement alimentaire, est grande, comme l’avait déjà signalé de Boufflers, en 1802, dans son ouvrage Voyage au Sénégal. Il écrivait alors que : « le terrain est propice à toutes les cultures et arrosé par de petits ruisseaux qui le fertilisent » (Delcourt, 1984 : 10).

Actuellement, l’agriculture de la région-capitale est la principale pourvoiyeuse des dakarois en produits frais tels que les légumes-feuilles (laitue, oseille), les légumes-fruits comme le piment (capsicum frutescens, capsicum chinense) et le jaxatu (solanum aethiopum), les œufs, la viande et le lait (Mbaye, 1999 ; Mbaye et Moustier, 1999 ; Fall et Fall, 2001 ; Ba, 2003 ; Ba Diao, 2004). Comme l’écrit Mbaye (1999), « le secteur agricole (…) s’y trouve fortement représenté par les productions maraîchères qui assurent plus de 34 % des superficies et près de 40 % des productions du secteur à l'échelle nationale ».

En rentrant davantage dans le détail, l’auteur précise que : « Les cultures maraîchères ne constituent pas les seules spéculations agricoles de la région de Dakar. On trouve d'autres productions d'importance variable : productions fruitières (5 % de la production nationale), productions florales et ornementales, élevage extensif de bovins, d'ovins et de caprins avec un début d'intensification concernant la production laitière bovine, l'aviculture semi-industrielle (qui assure près de 30 % de l'approvisionnement en poussins à l'échelle nationale) ».

Certes, l’agriculture dakaroise a déjà subi de nombreux déplacements, sans que l’approvisionnement de la ville semble avoir été perturbé. Corrollairement, ses acteurs ont probalement suivi le mouvement ou changé de métier.

En effet, à Dakar comme en Ile-de-France, l’arrière-pays rural peut sembler immense ; en particulier, les Niayes s’étendent de façon quasi continue jusqu’à Saint- Louis. Mais, ce serait faire abstraction de la valeur nouvelle accordée à la proximité urbaine.

Nos entretiens avec des chercheurs et institutionnels dakarois nous montraient, en effet, que l’identification de la fonction de « poumon vert » commençait à émerger dans le discours relatifs aux Niayes de Dakar, à l’intérieur de la communauté d’agglomération (Ba, 2003).

En effet, le caractère humide des Niayes, zones de dépressions interdunaires (Fall et Fall, 2001), singulières dans ce pays sahélien, favorise le développement de l’agriculture mais aussi la biodiversité. Autrement dit, dans cette ville et capitale du Sud, marquée par des problèmes de pauvreté et soumise à une forte pression d’urbanisation, le projet d’une ville nature, d’une ville plus autonome peut émerger.

C’est pourquoi nous avons souhaité mener cette thèse fondée sur cette hypothèse que, l’agriculture intraurbaine de Dakar peut retrouver une nouvelle légitimité en tant qu’agriculture fonctionnellement urbaine.

II.

Le projet de thèse

Bien que, ville littorale, Dakar offre déjà à ses habitants ses monuments et ses plages, elle doit être en mesure de leur proposer des zones de nature dédiées à la détente et à la découverte des objets de nature. La ville propose la nature domestiquée du parc zoologique de Hann et de la forêt classée de Mbao, mais les Niayes participent actuellement de l’agriculture et de la nature, cette dernière composante étant très menacée. Les Dakarois peuvent-ils voir aussi, dans les Niayes agricoles, un paysage rural, un cadre de récréation et un lieu de redécouverte de l’agriculture et de la nature ?

Autrement dit, quelles représentations ont des Niayes les acteurs de la capitale ? Sont-ils à la fois prêts à s’engager dans le PASDUNE et prêts à enrichir ses propositions en soutenant le développement d’une agriculture multifonctionnelle, dont une tâche essentielle serait de soutenir la complexité écologique des Niayes.

Donc, en plus de son intérêt scientifique, notre travail apportera un éclairage aux décideurs concernant l’état de l’agriculture dans les Niayes de Dakar et la vision que se font les différents acteurs de leur avenir, à partir de la grille d’analyse des fonctions que remplit cette agriculture.

La vérification des hypothèses que nous détaillerons dans la partie II suivante permettra de dire si l’agriculture multifonctionnelle est capable de gérer ce milieu, y compris en terme de biodiversité et dans quelles conditions elle pourra rester in situ.

La thèse doit donc répondre à la question suivante : la multifonctionnalité de l’agriculture à Dakar est-elle concevable face à la concurrence pour les facteurs de bases, l’eau et le sol et à la difficulté chronique de faire respecter des documents d’urbanisme, et en particulier ceux qui s’appuient sur l’intégrité des dernières zones de Niayes. Il y a donc une hiérarchie dans les questions à aborder par l’agriculture :

- Elle doit d’abord être durable au plan économique dans son fonctionnement actuel, afin d’explorer le potentiel de multifonctionnalité ;

- Elle peut participer à résoudre les problèmes posés par les déchets urbains, et d’abord ceux qui s’accumulent ; travail engagé par N’Diénor (2006 et travaux en cours);

- Elle peut se faire accueillante au public citadin et être un vaste « poumon vert » ; - En maintenant des lieux à fonction de bassin de crue, elle peut réduire le risque d’inondation, tel qu’il s’est manifesté récemment (cf. articles "Le Soleil" du 29 août 2005 : 2 et du 2 septembre 2005 : 8) ;

- Et, surtout, elle peut participer de la maintenance des zones écologiques remarquables terrestres ou aquatiques, ces dernières par le biais de la pêche.

L’invention d’une agriculture urbaine multifonctionnelle dans la capitale aura valeur d’expérience pilote pour les autres villes et, en particulier, pour la future capitale voulue par le Président de la République, puisqu’elle devra être une ville verte avec des espaces verts et ouverts et une revitalisation des Niayes (http://www.muat.gouv.sn/projets/nlleville.pdf). De plus, le pays a besoin de développer son agriculture à travers une révolution verte ou doublement verte (Professeur Swaminathan). Mettre l’agriculture au cœur du projet urbain, c’est aussi redonner à des jeunes le goût de l’agriculture quand les campagnes souffrent de dépopulation (cf. les

« laboratoires ou écoles » de plein champ qu’évoque G. Prain, 2001 : 37, ou le projet REVA (Retour Vers l’Agriculture).

L’idée directrice de notre thèse est que le maintien d’une agriculture intra et périurbaine à Dakar résultera non seulement de la reconnaissance de sa multifonctionnalité par les différentes catégories d’acteurs mais aussi des actions politiques pour l’intégrer dans le projet urbain.

Aussi, conformément à la définition que nous avons choisie, en plus des Niayes, nos recherches s’étendront dans un autre cadre : celui des espaces domestiques. En effet, ces espaces accueillent la plupart des élevages hors sol ovin/caprin et avicole et aussi le nouveau système de production de légumes qu’est le microjardinage.

Qu’est-ce qu’un microjardin ? C’est une technique moderne de production maraîchère sur de petites surfaces. C’est lorsqu’un conteneur – une table en bois de dix centimètres de profondeur ou un pneu usagé recouverts d’une toile plastique et dotés d’un drain ou tout autre récipient plastique équipé d’un drain – accueille des semis uniquement sur un substrat solide ou des plants issus de pépinière sur un substrat qui peut être liquide si ce sont des plants de légumes-feuilles ou solide pour tout autre type de légumes.

Ce volet de notre recherche nous permettra de mettre en évidence la complémentarité éventuelle entre les productions sur sol, dans les Niayes et celle hors-sol des élevages domestiques et des microjardins. Pour cela, nous partirons de l’analyse des spéculations produites dans l’un et l’autre système. Le but étant de comparer leur nature, leur saisonnalité, les quantités autoconsommées ou vendues et l’appréciation des consommateurs sur leurs qualités respectives.

Nous essayerons également de déterminer, par rapport aux quantités de produits vendues, la place que chaque système occupe dans la consommation de produits agricoles frais par les citadins et dans le revenu du ménage producteur qui le met en œuvre.

Niayes et espaces domestiques nous donnent comme cadre l’agglomération de Dakar. Pluridisciplinaire, cette recherche prendra en compte les dimensions économiques, sociales et environnementales du développement durable (nous présenterons la définition de ce terme dans la troisième partie) de l’agriculture à Dakar. Elle tendra à apporter des éléments de réponse aux défis territoriaux – économiques, sociaux et environnementaux – rencontrés par les acteurs des Niayes et ceux des espaces intérieurs.

L’intérêt de ce travail est qu’il peut servir à répondre à la question suivante : dans quelle mesure le processus d’aménagement mis en place dans les Niayes et espaces verts de Dakar peut-il être sous-tendu par la reconnaissance des enjeux de la MFA ?

Afin de pouvoir répondre à l’ensemble de ces questions, nous avons construit un dispositif de recherche que nous allons présenter dans la deuxième partie suivante consacrée au matériel et méthodes.