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L’adaptabilité de carrière ou « l’art de gérer son parcours de vie »

Chapitre 5. Compétences à s’orienter et l’adaptabilité de carrière suivant la perspective

5.1. L’adaptabilité de carrière ou « l’art de gérer son parcours de vie »

de vie »

Contrairement à la créativité qui connaît une longue évolution historique ainsi que d’autres

compétences à s’orienter déjà évoquées, la notion de compétence adaptative en gestion de

carrière est une notion relativement récente en psychologie de l’orientation.

En effet, vers les années 2005, sous l’effet des crises socio-économiques et face à la nouvelle

organisation du travail qui tend à segmenter de plus en plus le travail, Savickas coordonne une

équipe de chercheurs issus d’une douzaine de pays différents, dans le but d’élaborer un

nouveau paradigme de l’orientation du 21ème siècle qui apporte des réponses potentiellement

« plus innovantes et plus efficaces » au regard de la société postmoderne favorisant

l’individualisme au détriment d’une société « holiste » ou traditionnelle (Savickas, 2010).

De cette collaboration internationale, baptisée avec humour « l’orientation mondialisée », il

ressort des premiers résultats, un modèle théorique intitulé « construire sa vie » (ou le life

designing) et des méthodes d’accompagnements des personnes en transition personnelle et

professionnelle. Cette approche « construire sa vie » se fonde sur cinq présupposés a/ des

possibilités liées aux contextes, b/ des processus dynamiques, c/ une progression non linéaire,

d/ des perspectives multiples et e/ des configurations individuelles. En partant de ces

présupposés, le modèle « construire sa vie » se définit comme « un modèle en contexte,

reconnaissant que les connaissances et l’identité d’un individu sont le produit de l’interaction

sociale, et que le sens est co-construit, via la médiation du discours» (Savickas, 2010, p. 6).

Le cadre général de cette théorie « construire sa vie » intègre d’une part la théorie de la

construction de soi (Guichard & Huteau, 2005) et d’autre part, de la construction des parcours

professionnels, une approche décrivant les conduites adaptatives en orientation et leurs

développements (Savickas, 2005, 2007).

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La notion d’adaptabilité de carrière peut être abordée de différentes manières comme l’a

indiqué Guichard dans une revue de littérature consacrée à ce concept d’adaptabilité. Selon

cet auteur, cette notion est utilisée dans de multiples acceptions, tantôt pour décrire un trait de

personnalité, tantôt elle renvoie à une compétence sociale. Par extension, elle reflète

également une conduite en matière de gestion de carrière en orientation. De même, des

auteurs comme Fugate, Kinicki et Ashforth (2004) renvoient cette notion d’adaptabilité aux

différents construits tels que le concept d’employabilité qui se réfère à l’optimisme, à

l’ouverture aux opportunités d’apprentissages et au locus de contrôle interne ainsi qu’au

sentiment s’auto-efficacité.

Pour Savickas (1997), l’adaptabilité de carrière est définie comme la capacité d’une personne

à faire face aux changements sans trop de difficulté. Elle correspond aussi à « la capacité

d’autorégulation». Ce concept renvoie à « un construit psychosocial qui dénote l’aptitude ou

des ressources d’une personne à résoudre des tâches développementales, à faire face aux

transitions professionnelles et/ou des traumatismes personnels » Savickas (2005, p. 43).

Notons que ce concept d’adaptabilité de carrière a déjà été abordé par Super et Knasel (1981).

En effet, dès la fin des années 70, Super a vu la nécessité de substituer la notion de « maturité

vocationnelle » développée dans sa théorie de « l’arc en ciel de la carrière » ou le « life career

rainbow » (Super, 1955, 1984, 1990) par la notion d’adaptabilité jugée plus pertinente au

regard du contexte actuel. Ce changement de paradigme théorique est rendu nécessaire aussi

par les besoins d’élaboration de nouveaux outils et méthodes d’accompagnement qui

permettent de mieux tenir compte des réalités vécues par les clients (Watson, 2008, p. 518).

En effet, la maturité vocationnelle permet de décrire les transitions normatives et

d’accompagner des parcours se déroulant dans un monde de stabilité et d’abondance de

l’emploi, mais dans un contexte plus chaotique et marqué par la pénurie d’emploi, cette

approche normative ne prend plus suffisamment en compte les difficultés liées aux transitions

multiples et imprévisibles que traversent les personnes d’aujourd’hui. Pour marquer ce

changement de concept, Savickas a utilisé une métaphore. Il écrit : « Quand la musique

change, la danse aussi doit changer ! ».

La deuxième notion prise en compte dans l’approche constructiviste concerne le concept de

carrière. Savickas propose de définir cette notion comme « une construction subjective qui

impose un sens personnel aux souvenirs passés, aux expériences présentes et aux intentions

d’avenir en les mettant en intrigue autour d’un thème de vie organisant la vie professionnelle

de l’individu. Ainsi, la carrière subjective qui guide, régule et soutient les conduites

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d’orientation provient non pas de la découverte des faits existants mais d’un processus actif

de construction de sens» (Savickas, 2005 p. 43). De cette conception de « carrière

subjective », l’auteur établit également des objectifs d’intervention d’accompagnement qui en

découlent et qui visent à aider les personnes à accroître leur adaptabilité de carrière tout au

long de la vie.

Ainsi, le cadre général d’intervention de l’accompagnement en conseil en orientation s’appuie

sur trois axes : a/ l’augmentation de l’adaptabilité de carrière ; b/ la narrativité ; et c/ l’activité

de la personne. L’adaptabilité est relative aux changements alors que la narrativité concerne la

continuité. Selon cette approche constructiviste, l’association entre la narrativité et

l’adaptabilité en accompagnement est importante car, « ensemble, la narrativité et

l’adaptabilité donne aux individus la flexibilité et une certaine fidélité à soi ». Ici, la notion de

fidélité à soi se réfère aux valeurs et aux sens du travail et sens de la vie. Ces deux

ingrédients, adaptabilité et narrativité, sont indissociables et indispensables pour permettre

aux individus d’entreprendre des activités ayant du sens pour eux et de s’orienter tout au long

de la vie dans des contextes incertains (Savickas, 2010, p. 23). Le concept de récit de vie est

central dans ces interventions d’accompagnement à la construction de sa vie, à la fois comme

processus et comme résultats.

Figure 10 : Les cinq objectifs d’intervention dans la démarche « construire sa vie ».

Des travaux empiriques de validation de cet outil sont nombreux et sont réalisées souvent par

les chercheurs des pays ayant participé à l’élaboration de cette échelle. A titre d’exemple, des

études auprès des adolescents réalisés par (Hirschi, 2009), ont montré des relations positives

entre d’une part, l’éducation à l’orientation (en formation continue), la disposition

émotionnelle positive et le support social perçu et les scores obtenus sur l’échelle

d’adaptabilité de carrière d’autre part. Ces éléments permettent de prédire l’adaptabilité

au-delà d’un an. D’autres chercheurs comme Koen, Klehe, Van Vianen, Zikic et Nauta (2010)

ont utilisé l’échelle d’adaptabilité de Savickas, le CAAS, pour étudier son impact sur les

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stratégies de recherche d’emploi et les qualités de la réinsertion (c'est-à-dire le fait de trouver

des offres d’emploi de plus ou moins bonne qualité). Ces auteurs ont trouvé que les stratégies

de recherche d’emploi de type exploratoire ou ciblé étaient reliées au nombre d’emplois

proposés, mais que les stratégies exploratoires étaient aussi en lien avec la réduction de

qualités de réinsertion (Hamtiaux, 2012). D’autres théoriciens s’intéressent au concept

l’adaptabilité, notamment, les auteurs travaillant dans les théories de carrière protéenne et de

carrière sans frontière comme Hall (1976, 2004), Briscoe et Hall (2006) et Morrison et Hall

(2002), définissent l’adaptabilité comme une « compétence adaptative » relative à la capacité

à explorer son identité et ses valeurs. Elle est relative à la connaissance de soi et au potentiel

identitaire permettant le maintien et le développement de son identité. D’après ces auteurs,

l’adaptabilité de carrière correspond à une « méta compétence » qui gouverne et génère

plusieurs d’autres conduites adaptatives en orientation. Cette conclusion converge avec celle

développée par Pouyaud et al., (2012) relative à la validation de l’échelle d’adaptabilité en

France.

En effet, pour évaluer les conduites adaptatives jugées stratégiques en orientation, Savickas

coordonne une équipe de chercheurs originaires de pays différents (13 pays) pour une

co-élaboration d’une échelle d’adaptabilité de carrière, appelée le « CAAS » - Career

Adapt-Abilities Scale- (Savickas, 2012). Cette échelle, traduite en français comme « l’art de gérer

son parcours personnel et professionnel », a fait l’objet d’une adaptation en France auprès des

collégiens et lycéens en 2012, par une équipe de chercheurs de l’Inetop (Pouyaud et al.,

2012), puis en 2013 par une autre équipe de chercheurs francophones (Johnston et al., 2013).

5.1.1. L’échelle d’adaptabilité de carrière (le CAAS) et ses quatre

dimensions

Nous venons de présenter quelques repères théoriques pour comprendre l’approche

« construire sa vie » ainsi que les éléments clarifiant le concept d’adaptabilité de carrière. A

partir de cette conception du life designing, l’adaptabilité peut-être vue à la fois comme une

attitude, des ressources ou des comportements ou compétences à mobiliser pour mieux

s’ajuster aux changements. Cette adaptabilité est prise en compte dans/par une échelle

comportant au total 20 items répartis en quatre dimensions indépendantes, dites les quatre

« c » qui sont : a/ « Concern » traduit comme « être souci de son parcours » ; b/ « Control »

ou « être capable de maitriser, d’anticiper ses parcours » ; c/ « Curiosity » ou « être curieux »

qui renvoie aux conduites d’exploration active ; et d/ « Confidence » ou « être confiant(e) »

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correspond au fait d’avoir confiance dans ce qu’on entreprend. Nous allons décrire ces quatre

dimensions suivant une perspective d’accompagnement constructiviste.

Figure 11 : Les quatre dimensions du CAAS

 La dimension « Concern » (planning, being planful) ou « le souci de son parcours »

est le fait « d’être préoccupé de celui-ci ». Elle fait référence à une tendance à

considérer la vie dans une perspective temporelle marquée par le sentiment d’avoir ses

chances et par l’optimisme.

 La dimension « Control » (decision making, being decisive) : cette dimension repose

sur la conviction qu’il est avantageux, non seulement d’être capable de mettre en

œuvre les stratégies d’autorégulation pour s’adapter aux exigences des

environnements, mais aussi d’exercer une certaine influence et un certain contrôle sur

le contexte.

 La dimension « Curiosity » (exploring, being inquisitive) : cette dimension peut être

reliée aux différents « soi » possibles, ainsi qu’aux opportunités sociales. Il s’agit

d’accroître les conduites d’exploration actives (sur soi-même et sur le monde externe).

L’accompagnement constructiviste devrait consister à stimuler chez les personnes une

pensée créatrice et à explorer des différents « soi » possibles (Oyserman, Bybee &

Terry, 2006). En effet, au regard du contexte incertain et peu prévisible, l’enjeu n’est

plus d’effectuer un choix unique ou de déterminer un seul projet professionnel, mais

de prendre la responsabilité dans la gestion de son parcours et de la construction de

son identité. Le rôle du conseiller consiste à aider la personne à développer sa capacité

à anticiper les changements en favorisant le pouvoir d’agir de son client

(l’empowerment). Le conseiller serait l’agent du changement plutôt que des

professionnels établissant des diagnostics et des prédictions plus ou moins exactes.

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 La « Confiance » (problem solving, being efficacious) désigne la capacité à maintenir

ses aspirations et ses objectifs en dépit des obstacles et des barrières. L’engagement

dans un projet de vie plutôt que dans un emploi particulier. Dans cette perspective,

plusieurs auteurs considèrent que l’indécision en matière de choix professionnel ne

doit pas nécessairement être combattue dans la mesure où elle peut être source de

nouvelles possibilités et d’expérimentation permettant aux individus d’être actifs,

même dans les situations incertaines (Savickas, 2010, p. 24).

Nous venons de dessiner les contours du concept d’adaptabilité de carrière suivant l’approche

« construire sa vie » et avons souligné ses apports du point de vue de l’évaluation et de

l’intervention en matière de conseil en orientation.

Afin d’enrichir nos réflexions à propos du concept d’adaptabilité, nous étudions une deuxième

perspective théorique intitulée la théorie de l’adaptabilité individuelle (TAI) proposée par

(Ployhart & Bliese, 2006a). Il s’agit d’un modèle théorique intégratif (élaboré à partir d’un

ensemble de théories précédantes) qui permet de penser l’adaptabilité en termes de

conséquences résultant d’une mobilisation des ressources personnelles appelées des

antécédents ou des ressources pré dispositionnelles. Examinons ce modèle d’une manière plus

approfondie.