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Créativité et adaptabilité de carrière

Chapitre 10. Relations entre créativité et adaptabilité de carrière (le CA-AS)

10.1.1. Créativité et adaptabilité de carrière

10.1.1.1. Créativité et conseil en orientation

Bien que largement étudiée dans les domaines des sciences et des arts ou encore dans

l’industrie, la Créativité suscite un nombre toujours croissant d’études confirmant ainsi

l’importance de mieux comprendre cette ressource et le rôle qu’elle joue tant dans les

différentes conduites humaines que dans les processus d’innovation.

En psychologie de la créativité, les recherches visent principalement à mieux comprendre les

processus de création et à évaluer le potentiel créatif (Lubart, 2003) dans le but de faire

émerger des opportunités de développement. De manière empirique, ces recherches tentent

aussi à démontrer l’influence de la créativité au niveau de l’individu et du groupe comme au

niveau des organisations du travail (Amabile, 1998 ; Hennessey & Amabile, 2010).

Dans le domaine du conseil en orientation, certains auteurs mettent en avant le besoin de

mieux prendre en compte la créativité dans les pratiques d’aide en orientation. Il s’agit pour

les professionnels de l’orientation, d’une part, de mieux comprendre ce que créativité signifie

et d’autre part, de bien connaître les différentes applications possibles de la créativité. Afin

d’illustrer l’importance de cette prise en compte de la créativité en matière de conseil, nous

examinons ci-dessous quelques références.

Dans un article commun, McMahon et Patton, (2006) citent la proposition de Peipert d’étudier

la créativité dans la double perspective de l’individu qui s’oriente et doit penser et planifier

son parcours et des conseillers dans leurs pratiques professionnelles (Peiperl, Arthur &

Anand, 2002) suivant en cela d’autres auteurs (Amundson, 2010 ; McMahon & Patton, 2002 ;

Peavy, 2004).

Frey (1975) étudie la créativité dans les interactions entre les conseillers et leurs clients et

propose de considérer la créativité - au sens large du terme - comme une combinaison

complexe des ressources du conseiller et de son client dans une dynamique produisant des

actions telles que générer un nouveau plan, développer des perspectives, formuler des

comportements alternatifs ou commencer une nouvelle vie (Frey, 1975, p. 23). Pour Hurt

(1998), la créativité est définie de manière encore plus large car, il s’agit alors de « n’importe

quelle nouvelle action à l’origine d’une réaction » (Hurt, 1998, p. 40). Gladding and

Henderson distinguent différents registres de la créativité : a/ « une combinaison ou

recombinaison d’éléments produisant un processus nouveau» ; b/ « le fait de voir et de faire

des choses d’une manière différente », c/ « l’association d’une chose ou d’une idée connue

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auteurs précisent que la créativité résulte aussi des outils que le conseiller utilise pour

permettre un changement chez un client (Gladding & Henderson, 2000, p. 246).

Dans notre première revue de littérature consacrée à la créativité (chapitre 3.3), nous avons pu

observer une certaine convergence concernant le profil des créatifs : la créativité se manifeste

à travers des comportements ou attitudes comme être ouvert aux changements ou curieux

(comme par exemple, apprendre et s’adapter aux nouvelles technologies). Elle se manifeste de

même dans la volonté d’étudier ou de découvrir de nouvelles méthodes de travail, de

s’engager dans de nouvelles voies ou de réagir sans hésitation face à des situations d’urgence.

A ce propos, nous avons formulé un certain nombre d’exemples concrets illustrant la

manifestation de la capacité créative observée à travers des situations réelles du conseil et de

l’accompagnement en orientation (Chapitre.3.1).

A partir d’un ensemble de conceptions théoriques, certains auteurs, comme Carson (1999),

ont effectué un rapprochement entre le processus créatif et celui du conseil en orientation,

plus précisément, celui de l’approche constructiviste et narrative proposée par Savickas et son

équipe. Pour Carson (1999). Il y a recouvrement entre le processus de la pensée divergente et

l’approche constructiviste en psychologie du conseil concrétisé par une tendance à la

construction de multiples histoires ou la curiosité et la collaboration respectueuse dans le

travail de co-construction de sens (« Clearly, there are parallels between the elements of

divergent thinking and the process of career counselling, with its orientation towards

multiples stories, possibilities, curiosity, respectful and tentative collaboration,

meaning-making and co-construction. ») (Carson, 1999, p. 329). Afin de mieux illustrer les

applications de la créativité au domaine du conseil de carrière, Carson a proposé une liste de

caractéristiques du conseiller créatif et quelques techniques créatives à utiliser dans un

entretien constructiviste. A titre d’exemple, pour le trait de «la tolérance à l’ambigüité», le

conseiller (créatif) est celui qui pose souvent la question «pourquoi» à son client ; De même,

le conseiller peut utiliser une technique d’exploration de sens plus large et plus variée (selon

le principe de la pensée divergente) : il/elle peut ainsi mieux aider son client à explorer et à

élaborer un grand nombre de sens et de résultats possibles à partir d’une expérience vécue. Le

conseiller peut découvrir le sens caché ou évité par le client par cette technique d’exploration

créative. Les auteurs reconnaissent, néanmoins, que la créativité et ses applications ne sont

pas encore bien comprises par tous dans le domaine du conseil en orientation (Carson, 1999 ;

McMahon & Patton, 2006, p. 159).

Pour notre part, nous retrouvons dans cette analyse théorique le sens de la définition

consensuelle de la créativité : « une des ressources ou une capacité à produire une réponse qui

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soit à la fois nouvelle et adaptée aux contraintes dans un contexte donné» (MacKinnon,

1962 ; Amabile, 1996 ; Feist & Barron, 2003 ; Lubart, 1994 ; Sternberg & Lubart, 1995 ;

Sternberg, 2005). Cette réponse peut concerner une idée, un comportement, des produits,

services ou encore des procédures Lubart (2003).

En effet, au regard de la thèse soutenue par (Carson, 1999), il semble pertinent de tenter

d’intégrer la créativité dans le domaine du conseil et de l’accompagnement en orientation et

de l’évaluer par des tests créatifs tels que le test de la pensée divergente et convergente. Pour

rappel, ces outils de mesure et leurs qualités métrologiques ont été décrits dans le chapitre 8.

10.1.1.2. Adaptabilité de carrière

Comme la créativité, la notion d’adaptabilité de carrière, quant à elle, peut-être définie sous

des angles différents. Ainsi, Kossek, Roberts, Fisher et Demarr (1998), la conçoivent comme

la capacité d’une personne à s’adapter aux différentes circonstances qui apparaissent au cours

de sa vie professionnelle et à gérer le stress consécutif aux nouveaux contextes de travail.

Dans une approche psychosociale, Fugate et al., (2004), la considèrent comme une des

composantes de l’employabilité qui renvoie à l’auto-efficacité, au locus de contrôle interne, à

l’ouverture, à l’intérêt pour l’apprentissage, à l’optimisme etc.

En observant l’évolution des tendances de la nouvelle économie depuis des années 80-90,

beaucoup d’auteurs ont remis en cause la notion de carrière stable ou de « métier à vie » et

proposent de nouveaux modèles théoriques pour mieux prendre en compte les caractères

mouvementés voir chaotiques des parcours d’orientation actuels (Bright & Pryor, 2005 ;

Riverin-Simard, 1996). Ainsi, les modèles tels que ceux de « carrière sans frontière » et de

« carrière nomade » mettent l’accent sur la transformation des trajectoires professionnelles et

personnelles et par conséquent, le contrat social et psychologique entre l’individu et ses

employeurs. En effet, sous les contraintes de l’économie globale, les carrières sont de moins

en moins linéaires et de moins en moins rattachées à une seule organisation susceptible

d’offrir une stabilité ou une mobilité ascendante qu’auparavant.

Partant du même constat, Savickas (1997, 2005) a proposé de substituer la notion de maturité

vocationnelle étudiée par Super dans les années cinquante par celle d’adaptabilité de carrière

qu’il considère plus approprié au regard du contexte du marché chaotique de l’emploi auquel

nous faisons face actuellement. L’auteur définit cette adaptabilité de carrière comme « la

capacité d’un individu à mobiliser les ressources nécessaires pour faire face à des tâches

d’orientation, à des transitions professionnelles et à des traumatismes personnels. »

(Savickas, 2005, p. 51). Cette notion d’adaptabilité de carrière renvoie à la capacité

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d’autorégulation et aux compétences psychosociales, ensemble d’attitudes et de

comportements que l’individu mobilise pour s’adapter à son environnement changeant et

incertain. Elle a été conçue comme a) résultant d’une adaptation à cet environnement plutôt

que déterminée par la maturation de structures internes :« […] Les carrières ne se

développent pas, elles se construisent quand la personne s’implique dans les rôles

professionnels en cohérence avec ses concepts de soi » (Savickas, 2005, p. 43) et b) elle n’est

pas une somme d’expériences professionnelles mais consiste en la mise en forme subjective

par l’individu de ses expériences : «La carrière désigne une construction subjective qui

impose un sens personnel aux souvenirs passées, aux expériences présentes et aux intentions

d’avenir en les mettent en intrigue autour d’un thème de vie organisant la vie professionnelle

de l’individu. Ainsi la carrière subjective qui guide, régule et soutient les conduites

d’orientation provient non pas de la découverte de faits préexistants, mais d’un processus

actif de production de sens» (Savickas, 2005, p. 43). De cette définition de carrière découle la

perspective constructiviste qui met l’accent sur le rôle du processus interprétatif, des

interactions sociales et de la construction du sens des expériences de vie.

Il est important de préciser que la notion d’adaptabilité de carrière est issue du travail

développé par Super et que les notions telles que « la capacité à résoudre des tâches

développementales », « la planification », « l’exploration des concepts de soi et de

l’environnement » et « la prise de décision » développées dans le concept de maturité

vocationnelle ont été maintenues. De ce fait, l’adaptabilité de carrière peut être vue comme un

concept bonifiant incluant celui de la maturité vocationnelle et s’appliquant autant pour les

adolescents que les adultes (Savickas, 1997).

Bien qu’il n’existe ni modèle générique ni consensus sur l’adaptabilité de carrière, cette

notion est perçue comme une méta compétence car elle permet de développer d’autres types

de compétences (Morrison & Hall, 2002 ; Creed, Fallon & Hood, 2009). Considérée comme

une prédisposition individuelle à se maintenir constamment et durablement dans un

environnement, elle est le produit à la fois de la compétence adaptative (être capable de

s’adapter) et de la motivation adaptative (avoir envie de s’adapter). Autrement dit, il faut que

ces deux éléments se réunissent pour qu’une adaptation (réactive ou proactive) à une situation

perçue comme difficile se produise (Morrison & Hall, 2002, p. 210 ; Hirschi, 2012, p. 3).

Quatre dimensions (les 4 C) permettent d’apprécier la variabilité inter individuelle de

l’adaptabilité de carrière : 1) la préoccupation de son avenir professionnel (Concern) ; 2) le

développement du contrôle de cet avenir professionnel (Control) ; 3) la curiosité

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aspirations (Confidence). La signification de chacune de ces dimensions a été abordée dans la

partie du chapitre 8 consacrée à la méthodologie générale. Selon Guichard, l’ensemble de ces

quatre dimensions permet de répondre à la question : « comment la personne s’engage-t-elle

dans son orientation ? » (Guichard & Huteau, 2006, p. 223).

Notre synthèse de la littérature a mis en évidence, malgré quelques éléments convergents, que

les deux registres de compétences à s’orienter, la créativité d’une part, et l’adaptabilité d’autre

part, restent deux thématiques de recherche disjointes, chacune isolée dans un espace distinct.

Dans le but de mieux intégrer la créativité dans le domaine du conseil et de

l’accompagnement en orientation, nous nous proposons de mener une étude exploratoire des

liens possibles entre les deux principales dimensions de la créativité et les quatre dimensions

de l’adaptabilité de carrière. Nous examinerons également l’articulation d’autres variables

telles que le raisonnement logique, la personnalité et la motivation et l’ensemble des

dimensions de l’adaptabilité de carrière.