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L’évolution des modes d’organisation du travail des années 70 à nos jours

Chapitre 1. L’orientation dans la société post–moderne

1.2 L’évolution des modes d’organisation du travail des années 70 à nos jours

nos jours

Jusqu’aux années 70, le contexte socio-économique était marqué par la stabilité de l’emploi.

Depuis cette période dite « des trente glorieuses », des crises économiques à répétition ont

profondément modifié les paysages des organisations. Les travaux de Cadin et son équipe

(Cadin, Bender & De Saint-Giniez, 2003) mettent en relief différents types d’organisation du

travail, suivant les périodes et une typologie des parcours professionnels qui en résultent.

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Partant de l’étude d’une entreprise de haute technologie, ces auteurs ont défini les

caractéristiques d’une organisation émergente qui se différencie des organisations

traditionnelles. Plusieurs vagues de changement organisationnels ont été analysées. Les

carrières ou trajectoires professionnelles sont décrites comme le résultat de ces changements

d’organisation de travail. En se fondant sur les travaux de Miles et Snow (1996), Cadin et son

équipe ont présenté un résumé de cette évolution sous forme d’un tableau. Le Tableau 1

fournit les caractéristiques descriptives de ces changements organisationnels et différents

types de carrière.

Les vagues Deuxième vague Troisième vague Quatrième vague

Les périodes 1960-1970 1975-1995 2000-à ce jour

Les prescriptions

managériales

Tout faire soi-même.

Croître sans cesse.

Management par des

mécanismes

administratifs

Faire ce qu’on sait le

mieux faire et

externaliser le reste.

Croître par le

développement des

partenariats

Manager par des

mécanismes de marché

Etre capable de tout

faire, n’importe où et

n’importe quand.

A la fois collaborer et

être en compétition

Création continue de

savoir

Les organisations Pyramidale Sphérique Cellulaire

Les carrières Employeur unique stable.

Promotion hiérarchique.

L’employeur gère la

carrière

Multiples employeurs et

développement de

l’expertise.

Mobilité de projets

Carrière définie avec

employeur.

Professionnel en

auto-emploi.

Extension du champ

d’expertise.

Gestion de carrière

par soi-même.

La panoplie des

compétences

Technique ou

commerciales.

Techniques,

commerciales et de

coopération.

Techniques,

commerciales, de

coopération et de

gestion de soi.

Tableau 1 : Formes organisationnelles et types de carrières (Source : Miles & Snow, 1996)

Selon ces auteurs, ce ne sont pas des périodes successives, mais des modèles organisationnels

qui coexistent. Il est important de noter que premièrement, les organisations pyramidales sont

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loin d’avoir disparues et que deuxièmement, dans ce panorama, la logique de poste qui

sous-tend l’organisation pyramidale se trouve remplacée par la logique de compétence.

Comme toutes ces formes d’organisation coexistent, on ne peut pas réduire les parcours

professionnels à une trajectoire linéaire mais il faut penser les parcours en termes de

trajectoire protéiforme qui permet de passer indistinctement d’un type d’organisation à

l’autre.

Deux concepts fondateurs ou « idéaux-types » fondent les relations entre travailleur et

entreprise : « l’agency » (ou modèle de l’agent) et la « community » (ou modèle de la

communauté). Sur la partie du modèle de l’agent, l’individu est capable de prendre des

décisions et d’agir conformément à ses intérêts. Il doit faire preuve de volontarisme, de

discipline de marché et faire jouer le levier de la compétence. Sur la partie du modèle de la

communauté, la fonction des ressources humaines doit activer la capacité à rebondir, à tisser

des réseaux et à participer à la société civile. L’implication des fonctions de RH dans la

société civile se traduit par a/ une prise en compte des flux de connaissance et des dynamiques

d’évolution des compétences et b/ la participation à la constitution du marché du travail

comme une ressource potentielle, un bien commun. L’entreprise a un rôle à jouer dans la

gestion des interruptions et reprises d’activité : elle doit soutenir la capacité à rebondir des

travailleurs pris dans des cycles multiples alternant des périodes de surinvestissement et de

désinvestissement au cours d’une vie professionnelle. Les réseaux de relations tissés par les

individus sont à la fois des biens privés pour l’individu et des biens publics pour les firmes.

L’entreprise ne doit pas dissuader le développement de ces réseaux et doit considérer les

associations d’anciens de l’entreprise comme une ressource potentielle. L’ensemble de ces

interactions entre l’individu et l’entreprise contribuent à définir de nouvelles relations

d’emploi.

On retient que le courant de carrière sans frontière et de la carrière nomade ne fait pas

l’apologie d’un transfert des responsabilités de développement des compétences sur les

individus. Il plaide pour un équilibre entre « agency» et « commununity ». Cependant, face

aux exigences de performance économique de plus en plus fortes, il atteste des inégalités

accrues et des risques non négligeables, surtout dans le domaine de formation. Autrement dit,

l’apparition d’un déséquilibre entre « community » et « agency » au détriment de la

« community » (Cadin, 2003, p. 207).

On remarque que l’individu « agentique » décrit selon le modèle « agency », est un sujet

volontaire qui recherche une réflexion approfondie sur soi et la valorisation optimale de son

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portfolio de compétences. Alors que cette curiosité de soi émane plus souvent de l’institution

comme offre lorsqu’il s’agit des personnes les plus fragiles et se trouve parfois en rupture

avec l’expression volontaire. On parle alors d’une démarche d’accompagnement d’auto

valorisation pour une meilleure reconnaissance sociale des acquis d’expériences.

Il est à noter que ce sont les apports théoriques de Weick, psychologue cognitiviste qui ont

inspiré les théoriciens de ce courant. Weick met en avant la dichotomie entre l’environnement

fort (l’environnement prévisible et stable) qui correspond aux formes organisationnelles dites

bureaucratiques et l’environnement faible (environnement instable ou turbulent). Les

organisations qui performent le mieux face aux environnements faibles sont selon lui des

« self-designing organizations » (Weick & Berlinger, 1989). Il propose de distinguer deux

types de carrière : la carrière subjective et la carrière objective et indique une méthodologie

d’analyse de ces carrières. La démarche « objective » consiste à analyser les trajectoires

professionnelles à partir d’éléments extérieurs au sujet tels que le salaire, le niveau

hiérarchique, les effectifs encadrés, le grade, la vitesse de progression dans une structure,

etc. ; La démarche « subjective » privilégie les vécus individuels et la manière dont l’individu

met du sens dans son parcours. Le Tableau 2 résume les idées de Weick qui ont fondé les

théories de la carrière sans frontière et de la carrière nomade.

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Types de carrière Carrières organisationnelles Carrières sans frontière

Caractéristiques de

l’environnement

Fort Faible

Formes organisationnelles Bureaucraties Self-designing organizations

Repère de carrière Objectifs Subjectifs

Parcours privilégiés Normés ou linéaires Idiosyncratiques

Tableau 2 : Caractéristiques des Boundaryless Careers selon Weick (cité par Cadin et al.,

2003)

L’originalité de Weick réside dans la possibilité de transposer ses méthodes d’étude des

parcours en système de valeur personnel. Il distingue deux rapports individuels à la carrière et

le type d’organisation du travail correspondant :

 Un rapport objectif qui correspond à la valorisation prioritaire des éléments objectifs

de la carrière tels que : l’obtention des jalons objectifs comme le grade, le niveau

hiérarchique ou le niveau de salaire.

 Un rapport subjectif qui met au premier plan la signification personnelle du parcours

accompli. Cela ne signifie pas que les jalons objectifs soient ignorés mais ils ne

représentent pas ce qui importe le plus pour l’individu.

Les organisations de type bureaucratique ont besoin des gens qui privilégient la carrière

objective et elles offrent les jalons et les situations qui correspondent aux valeurs de ces

sujets. Les « self-designing organizations » ont besoin de gens plus atypiques car c’est leur

singularité qu’elles vont bâtir des innovations, des solutions nouvelles, des marchés

nouveaux.

On note également que la capacité d’autogestion de carrière chez l’individu est aussi une

transposition des capacités spécifiques aux « self-designing organizations ». En effet: les

caractéristiques qui permettent à l’organisation « self-designing » d’être efficace sont les

mêmes que celles dont l’individu a besoin pour réussir dans la gestion de sa carrière.

Pour l’organisation comme pour l’individu, face aux incertitudes et aux changements rapides,

Weick propose le travail de clarification, de mise en mot et de structuration et de mise en lien

les éléments inconnus afin de mieux les connaitre et les surmonter.

Dans le contexte des organisations, dans le domaine professionnel, le « sensemaking »

correspond concrètement à réaliser l’étude du marché du travail, son évolution ou à suivre une

formation pour une meilleure adaptation à de nouvelles technologies, ou encore à explorer

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une culture étrangère susceptible d’ouvrir de nouvelles perspectives de marché. Ce travail

oblige l’organisation à aller chercher une réponse en dehors de son répertoire de réponses

habituelles et constitue pour elle un défi adaptatif, « adaptatives challenges ». Ce processus

de structuration ou de cadrage porte le nom de « Sensemaking » (Weick, 1995).

Pour l’individu, Weick met l’accent sur l’enjeu du subjectif des carrières et préconise

d’appliquer le même processus de « sensemaking » ou de recadrage de la réalité (reframing).

Ce travail de recadrage peut s’effectuer sous forme de récit de vie, qui constitue, selon

l’auteur, une réponse essentielle à apporter aux problèmes vécus dans un environnement

faible (Weick, Sutcliffe & Obstfeld, 2005). En effet, le récit de vie est considéré comme un

appui possible pour assurer ce travail de « recadrage ». Il facilite l’exercice de « mise en

sens » des expériences vécues et permet une relecture de ce qui était en jeu dans les choix

effectués ou dans les actions initiées. Weick parle également de l’activité de cartographie des

éléments inconnus pour mieux les représenter, les rendre plus plausibles et plus proches de la

réalité, les coordonner et mieux les résoudre.

Nous venons d’examiner les apports de la carrière nomade à la compréhension des

changements d’organisation du travail et leurs conséquences sur des parcours d’orientation. Il

existe d’autres perspectives d’analyse assez proches proposées par les auteurs du courant

« construire sa vie» ou « life-designing » pour qui les changements des modes

d’organisation du travail ont une influence souvent néfaste sur les individus et sur leur

l’équilibre de vie. Autrement dit, pour les travailleurs les plus démunis, la précarité de

l’emploi est un événement subi, vécu plus souvent comme un traumatisme que comme un

levier de développement de compétence. Le Tableau 3 présente l’impact de ces changements

des organisations entre le 20ème et le 21ème siècle et l’évolution des rapports individu-travail.

On voit dans ce tableau la différence entre deux époques, lamodernitéet lapostmodernité. La

première se caractérise par une grande prolifération des métiers et une diversification des

emplois salariés au début du 20ème siècle qui permettaient des trajectoires professionnelles

plus prévisibles offrant une bonne sécurité d’emploi. L’adaptation du travailleur à son

environnement professionnel correspondait principalement aux conduites individuelles qui

sont la planification des étapes successives pour une mobilité ascendante. Par opposition,

l’organisation nouvelle du travail du 21ème siècle se caractérise, elle, par une pénurie d’emploi

et une grande instabilité professionnelle. Dans ce contexte, les travailleurs, quelque soit leur

âge et leur niveau de qualification, sont confrontés aux changements et aux transitions

multiples : « […] les travailleurs précaires de l’âge de l’information doivent ainsi devenir des

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apprenants tout au long de leur vie, sachant maintenir leur employabilité et pouvant créer

leur propres opportunité. Ainsi les travailleurs doivent développer leur capacité à anticiper

les changements et leur avenir dans des contextes mouvants et donc à accroître leur

adaptabilité professionnelle » (Savickas et al., 2009).

20ème siècle 21ème siècle

Environnement stable : parcours linéaire,

trajectoire prédéterminé, contrat à vie avec

l’employeur. La carrière dépend complètement de

l’organisation.

Rapport entre l’individu et son travail est

caractérisé par la stabilité et la prévisibilité. On a

un métier à vie.

Le développement personnel est plus stable car

certaines étapes de transition sont prévisibles.

Les théories et techniques de l’orientation se

fondent sur postulat de prévisibilité

Décisions de choix professionnels appartiennent

plus à l’organisation et à la hiérarchie qu’à

l’individu.

Plus de repères et de soutien psychologique dans

la société.

Environnement dynamique et changements

fréquents : les parcours sont devenus imprévisibles

et protéiformes. Les trajectoires de vie sont plus

aléatoires.

Le rapport avec le travail change : travail sur des

projets à court terme. Le travailleur doit gérer

davantage son parcours, construire des scénarios

« individuels » afin de maintenir son employabilité.

Dans la logique d’autogestion des parcours,

l’individu doit mobiliser plus de flexibilité et

d’adaptabilité.

Les théories et techniques de l’orientation sont

actuellement en crise, même si certaines d’entre elles

restent pertinentes dans cette ère nouvelle.

Les valeurs dans la société : indépendance,

autonomie et autodétermination sont mises en avant.

L’individu doit construire des scénarios individuels.

Perte de repères traditionnels.

Tableau 3 : Nouvelle organisation sociale du travail du début du 21ème siècle et son effet sur

le contrat social entre employeur et employé

Ces changements de contexte impliquent la mobilisation des ressources dont la personne

dispose. Ils influent aussi la manière de concevoir l’activité de s’orienter (Guichard, 2012).

En effet, pour cet auteur, du fait de la difficulté et multiplicité de ces transitions et de

l’impossibilité à prévoir l’avenir, il est important de réfléchir sur le sens de son existence. La

question se pose en termes de « qu’est-ce qui est important dans sa propre vie ? » ou bien

« Quel est le sens de ma vie aujourd’hui ? Quelles sont mes perspectives ? ». Dans la

construction d’un nouveau paradigme de l’orientation pour le 21ème siècle, il propose, une

démarche de conseil mettant au centre la question du sens de la vie et sens du travail (di Fabio

& Bernaud, 2010 ; Bernaud, 2011). Suivant ce courant, l’accent est mis, d’une part, sur la

construction identitaire et d’autres parts, sur la flexibilité humaine et sur l’adaptabilité en

gestion de carrière (Savickas, 2007).

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Nous reviendrons sur ces deux approches théoriques pour un développement plus approfondi

dans les chapitres III et IV. A présent, examinons le deuxième élément du contexte

concernant la nouvelle loi relative à l’orientation et à la formation tout au long de la vie,

l’OFTLV, la loi du 24 nov.2009 pour situer notre étude dans d’un cadre législatif ce qui

permettra de mieux prendre en compte les demandes sociales en matière d’orientation.