Chapitre 3. La notion de créativité
3.5. Créativité : approche multivariée au regard de l’orientation
3.5.2. Facteurs conatifs
Les facteurs conatifs se réfèrent aux comportements préférentiels et/ou habituels d'un individu
et se déclinent en trois catégories distinctes :
les traits de personnalité
les styles cognitifs ;
et la motivation.
D’abord, examinons les traits qui caractérisent une personnalité créative.
Les traits de personnalité en lien avec la créativité
De nombreuses recherches exploratoires sur des personnes créatives ont été réalisées en se
focalisant sur les traits de personnalité. Peu à peu, sur le plan théorique et empirique, six traits
de personnalité ont pu être isolés : la persévérance, la tolérance à l'ambiguïté, l'ouverture à
de nouvelles expériences, l'individualisme, la prise de risque, la confiance en soi et le
psychotisme. Ces résultats ont été confirmés par une méta-analyse effectuée par Feist (1998).
Persévérance et la créativité : Rossman (1931) affirme que la persévérance est le
trait le plus souvent mentionné dans ses rapports avec la créativité. Pendant la
réalisation d'un travail créatif, on rencontre souvent des obstacles ou des difficultés qui
entravent la résolution du problème. Pour parvenir à la solution, la capacité à accepter
des obstacles et à les surmonter est essentielle pour pouvoir réussir à résoudre son
problème. Pour illustrer cette qualité indispensable au créateur, Lubart rapporte
l'exemple de l'inventeur du stylo Bic, qui a su persévérer pendant trois ans pour
imposer son idée qui consiste à remplacer les stylos plumes qui duraient plusieurs
années par des stylos Bic à durée de vie limitée. Aujourd'hui, la vente de ces stylos
jetables représente 60 % du marché annuel des ventes de stylos en Europe.
La tolérance à l'ambiguïté est un trait stable de la personnalité créative (Furnham,
1994) et est définie comme une préférence pour l'ambiguïté sur une échelle bipolaire
opposant deux pôles : intolérance et tolérance à l'ambiguïté. De manière générale, la
personne tolérante à l'ambiguïté acceptent et/ou désirent les situations, idées ou stimuli
ambigus alors que les personnes intolérantes à une situation ambiguë présentent des
réactions de stress, réagissent hâtivement et de façon inappropriée. Ces personnes
évitent souvent de faire face à une telle situation, (Norton, 1975 ; Zenasni & Lubart,
2001). Cette tolérance à l'ambiguïté est une qualité importante pour la créativité, car
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elle permet de ne pas se contenter de solution immédiate, partielle ou non optimale
face à un problème complexe. Cette capacité à composer avec l'ambiguïté permet à au
créateur d'examiner un large éventail de stimuli ou situations, même ambigus et
complexes, comparativement aux autres personnes qui peuvent ressentir de la gêne
face à ceux-ci et qui renoncent à travailler dans de telles situations. En 1984,
Comadena, considérant que tolérance à l'ambiguïté et flexibilité mentale sont très
liées, remarqua que dans des séances de « brainstorming », les sujets tolérants à
l'ambiguïté (TA+) proposant significativement plus de solutions aux problèmes posés.
Dans une autre étude (1900), sur un échantillon de 50 instituteurs, on a pu observer
une corrélation de r=0.31 entre la créativité et la tolérance à l'ambiguïté (p. 35).
Ouverture aux nouvelles expériences et créativité : Le niveau de curiosité vis-à-vis
au monde extérieur ou le degré d'ouverture à la nouveauté diffère selon des individus.
Certains personnes sont relativement réticentes, d'autres sont plus ouvertes et
confiantes face à l'inconnu. Les personnes ayant une attitude fermée à la nouveauté
vivent les situations nouvelles avec anxiété, elles se montre méfiantes et se protègent
de la nouveauté en la considérant comme potentiellement dangereuse. Par conséquent,
ces personnes préfèrent les situations connues ou les idées qui ont déjà fait leurs
preuves, ne cherchant pas à prendre des risques en adoptant une solution ou une idée
nouvelle. Dans une recherche effectuée sur un échantillon de 268 hommes, McCrae et
Costa (1987) ont obtenu une corrélation significative (r=0.39) entre l'ouverture à des
expériences nouvelles et les performances créatives (il s'agit des épreuves de pensée
divergente). Ils ont pu en conclure que l'interaction entre la qualité d'ouverture à la
nouveauté et le processus créatif est indispensable pour rendre possible une production
créative. Suite à une méta-analyse, déjà évoquée plus haut, Feist (1998), a conclu que
les personnes créatives ont tendance à être plus ouvertes aux nouvelles expériences, à
avoir plus confiance en elles, à être moins conventionnelles et moins consciencieuses
que la population standard. Il ajoute que ces personnes créatives sont plus ambitieuses,
dominantes, hostiles et impulsives comparativement aux autres de la population
standard (p. 396).
Individualisme : Cette caractéristique de personnalité est proche de la tendance qu'a
un individu à se conformer ou non à l'opinion dominante du groupe. Dans certaines
études, la mesure du degré d'individualisme correspond à la mesure du conformisme
ou de l'indépendance/dépendance de jugement. Le groupe de personnes créatives
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obtient une moyenne plus élevée que le groupe peu créatif au questionnaire mesurant
l'indépendance de jugement (Barron, 1969 ; Barron & Harrington, 1981). Ainsi, la
capacité créative ne peut s'exprimer que par la capacité qu'a l'individu à passer outre
le jugement partagé par la majorité.
Du point de vue sociologique, Dubet (2007), analyse « l'enjeu de l'individualisme »
dans le modèle de société moderne. Si l'organisation du travail dans la société
traditionnelle garantissait une place à chacun, dans la société actuelle, l'individu doit
faire preuve d'autonomie, être capable de devenir acteur de son parcours et de ses
idées. Il observe que les transformations des institutions de « socialisation » classiques
comme la famille, l'école, et les politiques sociales déplacent peu à peu leur rôle vers
l'individu qui doit faire face à une instabilité constante. Notre société actuelle veut
faire de l'homme un être toujours plus actif, un acteur responsable et autonome. Mais
ce gain de liberté le fragilise et l'inquiète. Dubet (2007) conclut son analyse sur
l'importance de l'implication du pouvoir politique qui doit fournir les ressources
nécessaires à l'action de l'individu qui se mobilise, et de favoriser la confiance en soi.
Ce sont là les véritables enjeux de ce modèle de société moderne qui valorise l'idéal de
l'individualisme. A propos de cette notion de ressources sociales, nous indiquons aussi
le concept de l’environnement capacitant développé par Sens qui permet à l’individu
déployer ses capacités d’action tout en étant soutenu par un environnement qui
participe à ses engagements. Dans cette perspective, la capacité créative contribue à la
capacité d'adaptation de l'individu dans la société moderne. Elle lui permet d'être plus
confiant et d'agir avec plus de souplesse dans un contexte d'instabilité constante. On
évoque la notion de « flexsécurité. ».
La prise de risque : la tendance à prendre des risques est nécessairement impliquée
dans la créativité puisque par essence les idées créatives se démarquent des idées
habituelles du groupe d'appartenance. Cette tendance à prendre des risques diminue
avec l'âge. La plupart des adultes âgés éprouvent plus d'aversion pour les
comportements à risque que les personnes plus jeunes. Le manque de prise de risque
conduit inévitablement à la conformité, et la conformité rend impossible la
manifestation de la créativité.
Le psychotisme : ce trait concerne le rapport d'un individu avec la réalité. Les
personnes ayant un score du trait « psychotique » élevé ont tendance à avoir des
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troubles d'inhibition cognitive. Ces troubles sont liés à la tendance à développer des
associations lointaines et parfois étranges. Selon Eysenck (1995), ce trait
« psychotique » explique le fait que la créativité soit parfois évidente chez les malades
mentaux. Il note également que le « psychotisme » n'est pas identique à la psychose,
mais un niveau élevé de « psychotisme » peut conduire à une maladie mentale. La
capacité créative nécessite donc une capacité à maîtriser les idées ou associations qui
ont peu ou pas de rapport avec la réalité tout en gardant une ouverture d'esprit pour
percevoir des idées nouvelles et faire des liens entre elles.
Ces traits de personnalité sont donc des « patrons ou patterns » de comportements qui sont
constants dans le temps et peu variables dans l'espace (Huteau, 1985). Ils interagissent et sont
indispensables à la production d'un acte créatif. Pour Cox (1926), certains de ces traits de
personnalité pourraient avoir un rôle causal dans le développement de la créativité. Selon
Mumford et Gustafson (1988), les traits de personnalité facilitent l'utilisation efficace des
composantes cognitives intervenant dans le processus créatif et aident à transformer les idées
abstraies en produits réels.
Pour conclure ce chapitre, nous avons tenté de cerner la notion de capacité créative à travers
le modèle multivarié proposé par Lubart (2003). La créativité dépend d'une combinaison
interactive des facteurs cognitifs, conatifs, émotionnels et environnementaux. Cette capacité
créative se mesure sur chacun des facteurs en interaction. La combinaison de ces niveaux de
valeur différentes permet d'expliquer la variabilité intra et interpersonnelle :
La variabilité intra-individuelle permet de comprendre si la capacité créative est une
aptitude générale ou une aptitude spécifique à un domaine ou une activité.
La variabilité interpersonnelle permet d'expliquer la créative éminente et la créativité
ordinaire. En effet, il est extrêmement rare qu'un individu se trouve à un niveau
d'excellent sur toutes les composantes de tous les facteurs.
Dans ce chapitre, nous avons aussi examiné le processus créatif et observé que ces différents
facteurs ne se combinent pas de manière additive mais multiplicative. Ainsi, un niveau élevé
de capacités cognitives et de connaissances augmente considérablement la performance
créative (Lubart & Sternberg, 1995, p. 168).
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Dans le document
Créativité, adaptabilité et compétences à s’orienter tout au long de la vie.
(Page 74-78)