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Compétences à s’orienter tlv et le courant des carrières protéenne, sans frontière et

protéenne, sans frontière et nomade

Les carrières protéenne (Hall, 1976, 2004), carrière sans frontière (Arthur, 1994 ; Arthur et

Rousseau, 1996) et carrière nomade (Cadin et al., 2003) constituent le courant dit

« boudaryless career » ou carrière sans frontière que nous avons déjà évoquée en partie dans

le premier chapitre traitant les changements des modes d’organisation du travail.

Rappelons que ce sont principalement les apports de Weick, psychologue cognitiviste, qui

fondent le développement de ces courants théoriques conceptualisant différentes formes de

carrières ou du « career-designing ». Weick distingue l’environnement faible (peu prévisible

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et instable) et fort (prévisible et stable) auquel correspondent une organisation et un type de

carrière adapté, comme le dans le Tableau 8 (ci-dessous).

Types de carrières Carrières organisationnelles Boundaryless Careers

Caractérisation de

l’environnement

Fort Faible

Formes organisationnelles Bureaucraties Self-designing organisations

Repères de carrières Objectifs Subjectifs

Parcours privilégiés Normés ou linéaires Idiosyncratiques

Tableau 8 : Quelques fondements des Boundaryless Careers selon Weick (cité par Cadin et

al., 2003)

En s’inspirant des apports de Weick, les auteurs de la théorie des carrières sans frontière ont

construit différentes typologies de parcours et ont formulé les trois compétences clés (core

competencies). Selon Cadin, ils ont transposé les caractéristiques d’une organisation

intelligente (self-designing) pour décrire les compétences clés en trois dimensions : knowing

how, knowing whom et knowing why, compétences nécessaires pour résoudre les problèmes

vécus dans un environnement faible (Cadin et al., 2003, p. 40). Il s’agit d’une définition

élargie par transposition d’un design de l’organisation vers un design de carrières.

Avant d’approfondir les trois compétences clé de ce courant théorique des carrières post

modernes, examinons la typologie de carrières qu’il propose.

Dans l’ouvrage collectif “Handbook of career theory” (Arthur, Hall & Lawrence, 1989),

Moss-Kanter élabore une distinction entre trois modèles de carrière : la carrière

organisationnelle (ou bureaucratique), articulée autour d’une logique de stabilisation dans

l’organisation et/ou d’avancement (hiérarchique), la carrière professionnelle, articulée autour

d’une logique d’accomplissement d’un projet professionnel personnel, et la carrière

marchande (ou entrepreneuriale), correspondant à une logique d’optimisation des

investissements consentis en vue de valoriser sa force de travail.

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Ces trois modèles de carrière trouvent leurs origines dans la distinction de trois espaces

particuliers caractéristiques de tout rapport salarial : le salarié se définit effectivement en

fonction d’une organisation qui l’emploie, d’un métier ou d’une spécialité qui l’insère dans la

division sociale du travail et la circulation du travail est organisée à partir d’un marché du

travail.

Plusieurs auteurs (Arthur & Rousseau, 1996 ; Cadin et al., 2003) défendent l’idée selon

laquelle le modèle marchand serait en train de devenir le nouveau modèle de référence, au

détriment des deux autres.

Le travail conceptuel réalisé par Cadin et al., (2003) aboutit à distinguer cinq grandes

catégories d’individus poursuivant des formes de carrière diversifiées, dont deux

s’apparentent à la figure de la carrière organisationnelle. Ces auteurs proposent ainsi de

différencier :

o les sédentaires ou les carrières organisationnelles classiques. Ces carrières se

déroulent en majorité dans une même organisation, avec une alternance de mobilités

verticales et horizontales dans des domaines d’activité proches, en fonction des

opportunités offertes par la structure.

o les migrants ou la navigation dans un périmètre organisationnel. Ces carrières

s’effectuent au sein d’un même périmètre organisationnel, mais se basent sur des

mobilités internes fréquentes, impliquant des réorientations en termes de métier et des

ajustements face à des changements d’environnement importants. On met en évidence

ici des transitions originales, moins organisées et sécurisantes que dans la carrière

sédentaire.

o les itinérants ou la « logique de métier ». Cette catégorie regroupe des salariés dont la

carrière est centrée autour d’un métier ou d’un secteur d’activité bien défini, et qui

changent fréquemment d’employeurs afin de renforcer leur expérience et gagner en

responsabilité. Ces parcours ne se déroulent pas sans difficultés, notamment au travers

de l’accumulation de contrats à durée déterminée dans des domaines peu qualifiés.

o les frontaliers ou l’aller-retour organisation-marché. Pour les auteurs, ce groupe

rassemble des personnes naviguant entre plusieurs statuts, salarié ou indépendant, que

ce soit de façon successive ou cumulative. Ils manifestent une forte autonomie

vis-à-vis de leurs employeurs, mais s’identifient à une industrie ou un métier. Chaque

mobilité tire avantage des inscriptions organisationnelles précédentes qui confèrent

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des ressources (en termes de compétences techniques, de relations, de portefeuilles de

clients, etc.) qui sont réutilisées.

o les nomades ou une « carrière sans filet ». Cette dernière catégorie désigne des

individus et des formes de carrière les plus « risquées » et les plus proches de l’idée

d’une indépendance des individus vis-à-vis des organisations. Ce groupe s’affranchit

en effet des frontières organisationnelles, soit en par une volonté de privilégier

l’auto-emploi, soit par un effet de contexte les ayant mené à vivre plusieurs reconversions

radicales. Ces parcours s’effectuent en marge des organisations : l’implication ne peut

y être qu’éphémère. Pichault propose d’articuler la typologie des modèles de carrières

et celle des trajectoires comme suit :

Modèle

organisationnel

Modèle professionnel Modèle marchand

Espace de référence L’entreprise Groupe professionnel Le marché du travail

Logique de progression Evolution hiérarchique

et/ou intégration à long

terme

Augmentation de la

« professionnalité » Opportunités salariales, maximisation du profit

personnel

Lien à l’employeur Fort, grande loyauté,

mobilité réduite

Faible, mobilité

conditionnée à

l’acquisition

de compétences

Faible, mobilité importante

Intérêt pour le contenu

du travail Modéré, intérêt pour les conséquences

indirectes

(niveau hiérarchique,

prises de

responsabilité,

appartenance, stabilité

contractuelle, etc.)

Fort, moindre intérêt pour

les conséquences

indirectes

(salaire, horaire, grade,

etc.)

Faible, intérêt pour le

salaire permettant, le cas

échéant, de réaliser des

projets hors travail

Formes de trajectoire Sédentaires ou

migrantes Itinérantes ou frontalières Nomades ou sans filet

Tableau 9 : Modèles de carrière (Pichault & Deprez, 2008).

Sullivan, (1999) apporte un éclairage supplémentaire sur la différence entre deux types de

carrières, carrières traditionnelles et carrières sans frontière. Le Tableau 10 présente une

synthèse des différences entre deux types de carrières.

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Carrières traditionnelles Boundaryless careers

Relations d'emploi Sécurité contre fidélité Employabilité contre-performance

et flexibilité

Frontières De l'entreprise De plusieurs entreprises

Compétences Compétences spécifiques Compétences transférables

Mesure de succès Salaire, promotion et statut Intérêts du travail

Responsabilité dans la

gestion de la carrière

L'organisation L'individu

Formation Programme formel Formation tout au long de la vie

Etape Liée à l'âge Liée à l'apprentissage

Tableau 10 : Synthèse de différences entre deux types de carrière (Sullivan, 1999).

En résumé, nous avons vu que la théorie des carrières a produit des connaissances sur

différentes formes d’organisation du travail et les différents parcours qui en découlent. Les

auteurs de ce courant ont mis l’accent sur les carrières subjectives (career designing) comme

une forme d’adaptabilité aux organisations postmoderne (self-designing organizations).

Analysons à présent les trois dimensions des compétences clé (core competencies)

indispensables pour réussir une carrière subjective selon Arthur et al., (2005) : les dimensions

« Knowing How» (Savoir-faire), « Knowing Whom » (Connaître qui), « Knowing Why »

(Savoir pourquoi). Elles expriment par elles-mêmes des compétences clés à s’orienter tout au

long de la vie :

o Knowing How (savoir et savoir-faire) : reprend les savoir et savoir-faire de l’individu.

Il ne correspond pas seulement aux habilités et acquis professionnels mais intègre

aussi les acquis extra professionnels ou des routines acquises hors contexte

professionnel.

o Knowing whom (connaître qui et de qui) : compétences sociales, des relations

privilégiées. Notion qui enveloppe la connaissance des réseaux professionnels, extra

professionnels, réseaux amicaux ou associatifs, d’autres groupes d’affinités, etc. Tous

ces contacts sont des opportunités de rencontre, de découverte qui peuvent jouer de

manière déterminante dans une carrière.

o Knowing Why (savoir pourquoi) : reprend l’idée de culture et correspond à l’identité

et aux motivations, également aux intérêts et aux valeurs d'une personne. Par

extension, ces compétences renvoient aussi aux identités professionnelles et

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personnelles. Ainsi, la famille peut avoir une forte incidence sur la motivation et la

manière de définir son identité. C’est aussi de connaître le sens ou ce qui fait sens pour

la personne.

L’ensemble de ces compétences permet à la personne de construire des représentations

d’elle-même, de mieux réussir son intégration dans le monde du travail et de construire des

stratégies de carrière dite « intelligente » face aux aléas des organisations du travail. Elles

constituent son « capital de compétences ».

Hall (1976, 2004) met l’accent sur la capacité d’autodétermination (Self-Initiated Skill) pour

caractériser la carrière protéenne définie comme un processus dirigé par la personne et non

par l’organisation. Plus précisément, être nomade c’est savoir s’adapter, avoir une flexibilité

mentale et culturelle accrue pour être apte et rester fonctionnel face aux changements rapides.

Il s’agit de prendre en compte le fait que l’organisation change au cours du temps en fonction

de l’environnement économique. Pour s’adapter à ces changements, l’individu doit gérer ses

parcours, non pas en fonction de l’entreprise, mais plutôt en fonction de ses besoins

psychologiques (valeurs, accomplissements personnels). Le critère de réussite doit être

intrinsèque et ne pas dépendre de l’organisation. Ainsi, faire une carrière protéenne implique

être positif à l’idée de devoir gérer soi-même sa carrière et être responsable et autodéterminé

dans ses choix. Hall définit ainsi cette capacité d’autodétermination comme être capable

d’adapter ses performances à l’organisation changeante. Il considère l’adaptabilité au sens

de Savickas comme un facteur supérieur dont dépend cette capacité d’autodétermination

(Briscoe & Hall, 2006).

En distinguant deux types de mobilité, d’une part la mobilité physique et d’autre part, la

mobilité psychologique et culturelle. Hall et son équipe proposent une échelle de mesure

d'attitudes protéennes comportant deux dimensions : la première correspond à la capacité

d'auto-gestion de sa carrière (self-initiated skill) et la deuxième s’intitule «une carrière guidée

par ses propres valeurs » (self-directed and values-driven career attitude's mesure). Nous

avons traduit en français cette échelle en 2010 en vue d’une adaptation sur une population

française (travaux en cours).

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Quant au processus d’acquisition et de construction de ces compétences clé au cours d’une

carrière nomade, Cadin et al., (2003, p. 62) propose un processus circulaire. Ce processus est

encore provisoire car il manque d’études empiriques pour sa validation. La Figure 9

(ci-dessous) dessine donc les parcours sans frontière qui active une prophétie créatrice et invente

une opportunité, un destin, un emploi, un rôle etc.. A ce titre, Cadin intitule ce schéma « le

schéma de l’enactment de carrière ».

Chacune des approches théoriques abordées jusque-là nous montre le caractère mouvant des

parcours et la nécessité de développer différentes compétences d’adaptation pour faire face

aux transitions. Le passage au 21ème siècle est marqué par le fait que l’environnement du

travail devient de moins en moins lisible du fait des changements multiples et rapides des

organisations du travail. La prévisibilité, possible au 20ème siècle dans un contexte de plein

emploi, ne l’est plus aujourd’hui dans un contexte de l’économie mondialisée.

Nous proposons, dans la suite de cette analyse, un focus sur un registre particulier de

compétences clés à s’orienter tlv. Il s’agit de compétences liées à l’adaptabilité. Nous les

abordons selon deux perspectives différentes, la première qui a trait au courant « construire sa

vie », par Savickas et al., (2009) et la deuxième qui correspond à un modèle de la psychologie

différentielle : la théorie de l’adaptabilité individuelle proposée par Ployhart et Bliese (2006).

Compétences de carrière

(knowing how, whom, why)

Expériences

(professionnelles, bénévoles,

personnelles)

Capital de carrière

(humain, social et culturel)

Arènes institutionnelles

(compagnie, métier, industrie,

société)

Figure 9 : Concept clé de la carrière nomade : l’enactment de carrière : des relations

bijectives (source : Théorie de la carrière nomade, Cadin, 2000, p.79)

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