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Partie I : La préparation à la gestion des risques nucléaires en France : une

Chapitre 1 La construction du système d’acteurs fonctionnel autour de la

1.4 Le passage à la filière PWR et le renforcement de la sûreté nucléaire

1.5.2 L’accident de Tchernobyl en 1986

Le 26 avril 1986, le réacteur n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl a explosé. L’accident a causé rapidement une quarantaine de morts dus à l’explosion et aux fortes irradiations et contamination.159 Par la suite, des pathologies de la thyroïde ont été observées chez les enfants. En Biélorussie, « de 1991 à 2005, 6 848 cancers de la thyroïde ont été constatés pour les enfants âgés de moins de 18 ans en 1986, dont la majorité (5 127 cas) parmi les enfants qui avaient moins de 14 ans en 1986. »160 L’AIEA et l’OMS161 ont donné des chiffres variables pour le nombre de cancers attendus dans les 50 ans après 1986. Ces chiffres font, encore aujourd’hui, l’objet de controverses. Les agences sanitaires notent également une large détérioration de l’état de santé des personnes les plus exposées.162L’accident de Tchernobyl a également entraîné une contamination très importante et sur le long terme des territoires d’Ukraine, de Biélorussie et de Russie. Des perturbations économiques, sociales, psychologiques, institutionnelles sont également à noter dans ces

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L’auto-évacuation un peu anarchique de la population a causé deux morts sur la route. Cet événement est souvent rappelé, en boutade, par les ingénieurs pour expliquer que l’évacuation est parfois plus dangereuse que le risque nucléaire lui-même.

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Les chiffres exacts varient mais il existe un certain consensus sur 2 morts immédiats par polytraumatismes, 28 personnes en deux mois, et 14 autres ultérieurement par irradiation externe.

160 IRSN, Tchernobyl, 25 ans après, Collection thématique, 2011

161 Sur ce sujet voir le rapport de l’AIEA de 2006, « Le forum sur Tchernobyl » disponible sur internet :

http://www.iaea.org/Publications/Magazines/Bulletin/Bull472/French/47202790406_fr.pdf et de l’OMS de 2005, « Tchernobyl : l’ampleur réelle de l’accident », disponible sur internet :

http://www.who.int/mediacentre/news/releases/2005/pr38/fr/index.html

pays. Dans le reste de l’Europe, une contamination mesurable est observée, ainsi qu’une vive émotion, notamment en France.

Le réacteur n°4 de la centrale de Tchernobyl était en service depuis 1983, et le 25 avril 1986, il devait subir des opérations d’entretien impossibles à réaliser pendant le fonctionnement. Avant d’arrêter le réacteur, un essai particulier devait être effectué afin de vérifier la possibilité d’alimenter le circuit de refroidissement de secours du réacteur par l’un des groupes turboalternateurs de production d’électricité, en cas de perte du réseau électrique, avant la reprise en secours par les groupes électrogènes. Des essais de ce type avaient déjà été réalisés mais ils avaient tous donné lieu à des difficultés électriques. Pour réaliser cet essai, les opérateurs ont donc coupé les circuits de refroidissement de secours et ont baissé la puissance du réacteur, conformément au programme d’essai. Ces opérations ont engendré un certain nombre de dysfonctionnements entrainant à la fin une augmentation de la puissance du réacteur et un accroissement de la vapeur dans le cœur. Le calculateur de tranche avait donné l’information selon laquelle l’arrêt immédiat du réacteur était requis, sans enclencher d’action automatique. A ce moment, les opérateurs, qui n’étaient pas sensibilisé à la lecture de ces dysfonctionnements, ont bloqué le signal d’alarme et ont décidé de continuer leur essai. La situation devient divergente et critique, et les contre-mesures initiées par le chef opérateur pour revenir à la normale ont produit l’inverse de l’effet escompté. En quatre secondes, la puissance du réacteur a atteint 100 fois sa valeur nominale ce qui entraîna sa destruction partielle. La partie supérieure du réacteur a été soufflée libérant dans l’atmosphère de nombreux produits de fission.

La très haute température de la première bouffée des rejets, suite à l’explosion, a entraîné des gaz et des aérosols à une altitude allant de 1000 à 1500 mètres. Cette altitude relativement élevée a eu pour conséquences de limiter les impacts locaux mais a facilité la diffusion des produits radioactifs à l’échelle européenne. Dans les jours qui ont suivis, les rejets avaient une altitude plus faible, de l’ordre de 200 à 400 mètres. Ils ont été dispersés dans toutes les directions autour de la centrale suivant les conditions météorologiques. La pluie a lessivé le panache augmentant considérablement les dépôts de radioactivité (principalement du Césium 137), à plusieurs milliers de kilomètres de la centrale nucléaire dans les régions les plus arrosées lors du passage du nuage. Ces dépôts ne sont pas uniformes et sont répartis en « tâches de léopard ». Le problème majeur de cette répartition aléatoire, au gré des pluies, est la difficulté à identifier rapidement la contamination à certains endroits éloignés de la centrale nucléaire (Nord-Est).

La gestion de l’accident a été compliquée et retardée par l’incrédulité de la direction de la centrale nucléaire. Les habitants de la ville voisine de la centrale, Pripyat, située à 3kms n’ont été prévenus que dans la journée du 27 avril, recevant des doses individuelles moyenne de 33mSv163 pendant ces deux jours164. Dans les jours qui ont suivi, plus de 90000 personnes ont été évacuées. Les populations les plus fortement irradiées de manière externe sont celles habitant dans un rayon de 4 à 15kms, avec pour certaines, des doses individuelles moyennes de l’ordre de 540 mSv. Ces fortes doses reçues sont dues au retard pris dans leurs évacuations. De plus, les habitants de Biélorussie, situés de manière très proche au nord du site, n’ont pas été informés de l’accident et ont été évacués encore plus tardivement. La frontière entre l’Ukraine et la Biélorussie « s’est avérée un barrage efficace à l’information et à la prise de décision de mesures de protection ».165 Les biélorusses n’ont pas bénéficié de distribution de comprimés d’iode stable, ni de restriction alimentaire. La situation a été la même à Briansk en Russie où de nombreux cas de cancers infantiles de la thyroïde ont été détectés quelques années après l’accident, et sont directement imputables à celui-ci. Les doses ci-dessus sont celles liées à l’irradiation immédiate au moment du panache, à l’exclusion de la contamination ingérée par les habitants du fait de la consommation de produits contaminés.

Concernant les autres pays, le panache radioactif issu de la première bouffée a traversé une grande partie de l’Europe du 26 avril au 10 mai.166 En France, l’impact aurait été faible avec une exposition moyenne engagée au cours des douze mois qui ont suivi l’accident de l’ordre de 0,06 mSv par individu167. Toutefois, nous constatons que prendre l’exposition moyenne de population a tendance à lisser les écarts et minimiser les expositions fortes dues à des conditions locales très défavorables. De plus, la contamination interne liée à la consommation de produits contaminés n’est pas prise en compte. La thèse de médecine de Sophie Fauconnier soutenue en 2001 qui s’est intéressée aux cas de cancers de la thyroïde en Corse indique que les denrées alimentaires Corse étaient plus contaminées en Iode 131 que les niveaux maximum admis par la législation. La consommation de ceux-ci aurait entraîné une hausse de cancer de la thyroïde en Corse. Cette thèse est très contestée par les autorités sanitaires. En 1986, Michèle Rivasi, qui est aujourd’hui Députée européenne Europe Ecologie

163 Libmann Jacques, Eléments de sûreté nucléaire, Les éditions de physique IPSN, 1996

164 Par comparaison, la dose efficace pour une radiographie des poumons est de 0,1 mSv. Par équivalence, la population aurait subi 330 radiographies pulmonaires en 2 jours.

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Libmann Jacques, op. cit, p.232

166 A ce sujet, voir la vidéo disponible sur http://www.irsn.fr/FR/popup/Pages/tchernobyl_video_nuage.aspx 167 Ibid.

Les Verts, crée le premier laboratoire d’expertise nucléaire indépendante168 en réaction aux « mensonges de Tchernobyl », la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD).

Quelles sont les conséquences en termes de sûreté nucléaire pour la France ? « Les experts français de l’IPSN ont insisté sur les aspects facteurs humains et organisationnels de l’exploitation des réacteurs, et sur la très faible culture de sûreté du système russe. » (Ing/IRSN). Par exemple, le manque d’entraînement des opérateurs et la différence de conception entre les réacteurs russes169 (RBMK) et français (REP) ont été abondamment détaillés. La sûreté des réacteurs français ne semblait pas devoir être revue dans la mesure où le modèle soviétique, RBMK, n’était pas le même que celui des REP français. Des réflexions plus générales sur la sûreté ont toutefois été initiées par les experts de l’IPSN pour comprendre les mécanismes de transferts dans l’environnement des contaminants ou pour identifier des scénarios complexes conduisant à des accidents de criticités. Les autorités se sont interrogées sur la question de la gestion post-accidentelle et sur l’ampleur des moyens nécessaires après un tel accident. Ces moyens devraient permettre à la fois de pouvoir contenir des incendies, d’évacuer un grand nombre de personnes, de prendre en charge des personnes fortement irradiées. Mais également de contenir la contamination d’un territoire et ensuite de le décontaminer, de surveiller la chaîne alimentaire et le suivi des personnes.

Mais c’est surtout dans un domaine moins technique que des réflexions vont être engagées : celui de l’information du public et de la communication en cas d’accident. Un défaut d’information des populations a été clairement identifié autour de la centrale de Tchernobyl mais également en France.170 Dans cette optique, le Conseil Supérieur de la Sûreté et de l’Information Nucléaires (CSSIN) a été créé par décret en 1987. C’est un organe consultatif pour les ministères en charge de l’environnement et de l’industrie. « Sa mission s’étend à l’ensemble des questions touchant à la sûreté nucléaire et à l’information du public

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Le terme « indépendant » peut prêter à caution 169 Aux concepts de sûreté minimale

170 Le 29 avril, le Pr Pellerin déclare au JT de 20h que le nuage « ne menace personne actuellement, sauf

peut-être dans le voisinage immédiat de l'usine, et encore » au vu des conditions météorologiques. Durant la météo du

JT, une carte est montrée avec un panneau STOP à la frontière signifiant que le nuage ne passerait pas par la France grâce à l’anticyclone des Açores qui devait détourner le nuage. Puis, le 30 avril, le Pr Pellerin indique à l’AFP qu’il y avait une augmentation de la radioactivité en France mais que cela ne justifiait pas de prendre des mesures de santé publique particulières. En raison du 1er mai, l’information a été relayée le lendemain par les différents journaux. Ce n’est qu’une dizaine de jour plus tard que certains journaux, tel Libération, ont crié au scandale quant aux « mensonges » de Pellerin et du gouvernement. L’erreur de Pellerin a surement été d’avoir mésestimé un possible changement d’orientation du souffle du vent lorsque le nuage se trouvait encore en Suède.

et des médias. Ce conseil rassemble des personnalités venant d’horizon très divers. »171, comme des associations écologistes, des journalistes, des exploitants, haut fonctionnaire, syndicats, etc.172 Ce conseil a préconisé d’établir une échelle de gravité des accidents destinée à faciliter la communication auprès du grand public. Cette échelle a été développée par la DSIN, des journalistes, l’IPSN et EDF et s’est appelée « échelle de gravité des incidents et accidents dans les réacteurs électronucléaires ». Elle a inspiré l’échelle INES développée par l’AIEA en 1991, qui sera ensuite adoptée par la France 1994.

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Issu du rapport d’activité de l’association ACRO en 2000, p. 7

172 Pour obtenir plus de renseignements sur la nature de ses membres, voir www.asn.fr/index/CSSIN_Bilan_activite_Mai2007.pdf

En matière de radioprotection, avant Tchernobyl, l’étude des effets sur l’homme des rejets lors d’un accident nucléaire n’avait été faite que pour l’irradiation externe, mais pas pour la contamination interne du fait de l’ingestion de produits contaminés. A partir des années 2000, l’IPSN a, par exemple, engagé une étude, ENVIRHOM (2001) avec pour L’échelle INES

Pour pouvoir comparer l’importance des accidents qui peuvent se produire, l’AIEA a créé une échelle dite échelle INES (International Nuclear Event Scale) qui décrit l’importance de chaque niveau d’accident. Comme le précise l’Autorité de Sûreté nucléaire en France (ASN), l’échelle INES, créée après Tchernobyl, classe, selon leur importance tous les événements se produisant dans les installations nucléaires et lors des transports de matières radioactives. Trois critères fondent le classement : les conséquences à l’extérieur du site, appréciées en termes de rejets radioactifs pouvant toucher le public et l’environnement ; les conséquences à l’intérieur du site, pouvant toucher les travailleurs, ainsi que les installations ; la dégradation des systèmes de sûreté, visant à empêcher les accidents. Le niveau 5, l’accident grave, a été atteint lors de l’accident de Three Mile Island (cœur fondu, mais très faibles rejets à l’extérieur), le niveau 7 a été atteint à Tchernobyl et Fukushima (cœur fondu et rejets importants conduisant à des mesures de protection de la population).

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objectif de permettre une meilleure évaluation des risques liés à l’exposition chronique de radionucléides à la fois sur l’environnement et sur la santé de l’homme.173 Ces recherches sont basées sur l’étude des populations de rats ingérant des produits contaminés en les comparant à des rats témoins.

D’un point de vue politique, l’accident de Tchernobyl de 1986 a fait évoluer le paysage institutionnel de la sûreté nucléaire et a affirmé la position d’un acteur, encore assez méconnu, l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (OPECST). Cet office a été créé par une loi du 8 juillet 1983. Il est composé de 18 députés et 18 sénateurs. Ses missions sont d’« informer le Parlement des conséquences des choix de caractère scientifique et technologique, afin, notamment, d'éclairer ses décisions. »174

1.6 Vers une plus grande indépendance de l’expertise et de l’autorité