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Le contexte de la création de l’organisation ad hoc

Partie II : L’exercice de crise : artefact ou artifice ?

Chapitre 3 Les fondements de la rationalité de l’exercice de crise

3.2 Retour sur les fondements des exercices de crise

3.2.3 Le contexte de la création de l’organisation ad hoc

Pourquoi passer en revue le contexte ? Tout simplement pour montrer que l’organisation des premiers exercices s’est mise en place avec en toile de fond une représentation du caractère impossible de l’accident, partagée par l’ensemble des acteurs. Autrement dit, l’organisation de crise qui prévalait n’était pas établie dans une recherche d’efficacité puisque l’accident n’était pas envisagé. « Cette organisation était un peu fantoche si on peut dire » (Ing/EDF). Si cette organisation reprenait la législation relative à la sécurité civile et aux plans ORSEC pour la gestion opérationnelle d’une crise nucléaire266, l’organisation du cercle d’expertise a, elle, été créée durant cette période. Il en est de même

265 Pourtant en 1984, le réacteur de Bugey 5 a connu un incident assez grave qui aurait pu plonger cette tranche

dans une situation quasi Fukushimesque. (Ing/IRSN)

266

Cf. loi du Loi no 87-565 du 22 juillet 1987 relative à l'organisation de la sécurité civile, à la protection de la forêt contre l'incendie et à la prévention des risques majeurs. L’ensemble des lois de sécurité civile qui se sont succédés confèrent à la planification le rôle centrale de la gestion de crise.

pour l’organisation qui fait jonction entre les experts et les politiques. Elle résultait aussi du rapport de force existant entre les acteurs de l’époque, et notamment entre l’IPSN et la Direction de la Sûreté des Installations Nucléaire (DSIN). Comme nous l’avons vu lors de la Partie I, la DSIN, à cette période, était rattachée au Ministère de l’Industrie et l’IPSN au CEA.

Quand nous regardons l’organisation telle qu’elle était prévue par le passé, et notamment la distinction entre le rôle de l’autorité et de l’expert, nous voyons que la situation a peu évolué par rapport à l’organisation actuelle. « Dans l’organisation de crise, jusqu’à un certain temps, on était vu comme un centre d’expertise technique qui répondait à la commande de l’ASN qui nous demandait des expertises, et ensuite on avait très peu de retour sur leurs utilisations. Un peu après 2005, on a commencé à mettre en place un minimum de procédures de retour de manière à ce que l’on sache finalement ce que l’ASN et le Préfet faisaient de nos propositions. Encore maintenant, pendant les exercices de crise, on ne fait que lire le compte rendu des audioconférences que l’ASN nous envoie. On fait partie des audioconférences d’expertise mais pas de direction. Il y a une volonté d’exclusion par l’ASN même si l’IRSN essaie de ramer dans le sens contraire. » (Ing/IRSN). Encore aujourd’hui, les tensions entre l’ASN et l’IRSN sur le positionnement de ces deux organismes sont présentes et seront évoqués plus longuement dans la prochaine section.

Pourtant la situation de l’ASN a évolué comme cela a été décrit dans la première partie. A l’époque, l’autorité de sûreté était un service de l’Etat puisqu’elle dépendait directement du Ministère de l’Industrie, et de facto ses prérogatives décisionnelles étaient supérieures, administrativement parlant, à son positionnement actuel. En effet, depuis 2006, l’ASN est devenu une AAI et par voie de conséquence, est sortie du giron de l’Etat. Toutefois, elle a réussi à garder ces anciennes prérogatives par rapport à l’IRSN même si la situation tend aujourd’hui à évoluer. De nombreux entretiens plus ou moins formels ont justifié ce maintien des prérogatives par le « charisme » de son Président, André-Claude Lacoste. Ce polytechnicien Corps des Mines était connu pour être un visiteur du soir du Premier Ministre dans les années 1990, du fait notamment de la proximité entre le Ministère de l’Industrie et Matignon (Ing/IRSN et ASN). Cette remarque n’est qu’une amorce de l’analyse que nous conduirons dans les sections suivantes sur ce sujet. Elle nous permet cependant de mieux comprendre les problèmes de positionnement de ces deux institutions dans l’organisation actuelle.

Même si nous savions que la réponse serait subjective, nous avons demandé aux ingénieurs de l’IRSN ce qui pouvait expliquer cette volonté de mainmise de l’ASN sur l’IRSN. « J’imagine peut-être à terme que d’évoluer vers un rôle quasiment administratif ne doit pas trop plaire aux brillants X/Mines qui sont, à l’origine, des scientifiques. Les équations ça leur manque peut-être et il voudrait avoir l’expertise à leur botte pour ne pas qu’elle se développe de manière indépendante. Et puis sur la sphère de la communication, dès que l’on rentre dans l’expertise, l’IRSN a beaucoup plus de chance d’attirer l’attention durable de la presse que l’ASN expliquant qu’il n’y a rien à craindre, etc. Du côté de l’IRSN, on publie des cartes et de la modélisation qui intéressent davantage les médias. » (Ing/IRSN).

Cette déclaration qui peut sembler un peu brutale au premier abord souligne tout de même deux éléments importants. Tout d’abord que l’ASN depuis qu’elle est devenue une AAI n’a plus vraiment de rôle d’expertise et donc son personnel est désormais moins composé d’experts que de personnel administratif. Cet ingénieur de l’IRSN pense également que c’est de l’expertise que vient l’intérêt de la communication et que ce sont les éléments produits par l’expertise comme les cartes ou modélisations qui intéressent les médias et la population. Les mesures faites par l’IRSN sont des informations essentielles, et leur interprétation, qui complète leur communication, est difficilement sécable des conditions de mesures et des modes de calcul d’exposition, aussi à la charge de l’IRSN. Cette vision n’est pas forcément erronée et nos divers entretiens nous font penser que l’ASN a conscience de ce point. Par ailleurs, au delà de l'intérêt pour les médias, l'expertise est la base sur laquelle se prennent les décisions, ce qui objectivement confère un pouvoir très important à celui qui produit cette expertise.267

En effet, ceci pourrait expliquer pourquoi l’ASN demande à l’IRSN ces produits d’expertise et dans le même temps, essaie de maintenir l’IRSN en dehors du réseau des communicants en période de crise. Nous postulons que l’ASN va se servir de ces éléments pour sa propre communication médiatique et va juste les intégrer comme base de leurs décisions de gestion. Nous voyons également à travers cet exemple la guerre d’image qui peut être au coeur de l’organisation de crise et que nous retrouverons plus en détails dans les sections suivantes. Cette référence à la communication montre également la part que ce domaine a pu prendre dans le système nucléaire actuel. La communication est ici entendue comme élément d’information sur la situation, entraînant interprétation et décision.

267 Voir les différents travaux de Cécile Robert sur l’expertise, et notamment en lien avec la Commission Européenne.