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La création du Service Central de Sûreté des Installations

Partie I : La préparation à la gestion des risques nucléaires en France : une

Chapitre 1 La construction du système d’acteurs fonctionnel autour de la

1.4 Le passage à la filière PWR et le renforcement de la sûreté nucléaire

1.4.2 La création de deux nouveaux organismes en charge du contrôle et de

1.4.2.1 La création du Service Central de Sûreté des Installations

acheté les plans des PWR, et FRAMATOME147, a construit lui-même les centrales et a francisé ensuite à la marge les PWR. Le CEA a créé des services d’ingénieurs qui se sont appropriés les méthodes américaines et les ont développées en menant des tests dans les réacteurs d’essai.

1.4.2 La création de deux nouveaux organismes en charge du contrôle et de l’expertise

1.4.2.1 La création du Service Central de Sûreté des Installations Nucléaire

Le changement de filière modifie le paysage de l’industrie nucléaire. Le CEA n’est plus le promoteur de la technologie. EDF opte pour un parc de réacteurs standardisés. L’industriel FRAMATOME possède la nouvelle licence Westinghouse pour les centrales nucléaire et la Compagnie Générale d’Electricité pour la partie conventionnelle. L’augmentation du nombre d’acteurs et les tensions naissantes entre EDF et le CEA amène le Ministère de l’Industrie à se doter d’un service chargé de contrôler la sûreté nucléaire en 1973 : le Service Central de Sûreté des Installations Nucléaire (SCSIN) – surnommé par le personnel de la filière -le zinzin-. La tutelle du CEA et d’EDF est assurée pour le côté industriel par la Direction générale de l'énergie et des matières premières (DGEMP) qui est devenu la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) en 2007.

Le SCSIN était donc une branche du Ministère de l’Industrie qui a confié ses missions à des fonctionnaires au parcours proche de ceux qui géraient les risques miniers et industriels, issus des écoles des mines et dirigés par les élites formées dans le Corps des mines.

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Exemple du système de refroidissement du réacteur

147 Framatome a été créé en 1958 par un consortium franco-américain dans le but de construire des installations nucléaires.

Le Corps des Mines148 qui est le plus vieux corps d’inspection sur le risque industriel avait le contrôle des mines et autres secteurs industriels comportant des risques, depuis les appareils à pression jusqu’au nucléaire, Il est sous la tutelle du Ministère de l’Industrie. Il réunit les élèves du haut du classement sortant de l’Ecole Polytechnique. Le Corps des Mines avait donc une double mission de promotion de l’industrie nucléaire, tout en maintenant les règles de sûreté. Les DRIRE, chargées après 1983 du contrôle des installations classées pour l’environnement dans les régions étaient également composés des ingénieurs des Mines.

148 Voir encadré ci-après

Le Corps des Mines : un Corps qui assure la pérennité l’industrie nucléaire

Ce système de grands corps d’Etat a parfaitement été analysé par Marie Claude Kessler (1986). Elle parle d’ « aristocratie technocratique » pour définir cette empreinte que certains grands corps, comme les ingénieurs des Mines, peuvent avoir sur les décisions étatiques. Elle met également en évidence, bien que son ouvrage ne soit pas uniquement centré sur le corps des Mines, la manière dont les membres de ce corps s’implantent dans les administrations centrales et le pantouflage entre les secteurs privés et publics. Sur ce thème, l’article de Erhard Friedberg et Dominique Desjeux (1973) sur les réseaux et grands corps d’Etat : le corps des Mines nous fournit des données chiffrés de ces implantations dans les administrations et l’industrie nucléaire. Ils montrent l’évolution constante et conséquente de l’implantation des ingénieurs des Mines dans l’Administration Centrale de l’Industrie (33.3% des effectifs sont dans cette administration en 1970) et l’intérêt croissant de ce corps pour l’industrie nucléaire notamment (17,4% des effectifs choisissent ce domaine en 1970).

La brève étude que nous avons fait de ce système peut illustrer les recherches de Marie Claude Kessler, Erhard Friedberg et Dominique Desjeux. Nous avons vu apparaître tout au long de ce chapitre, le nom d’ingénieurs sortant des grands Corps d’Etat, et principalement du Corps de Mines. Ce Corps est attaché à l’industrialisation du programme électronucléaire depuis son démarrage. Comme le rappelle très justement Mycle Schneider (1998 : p. 2) : « C’est surtout le Corps des Mines qui a estimé que le programme nucléaire était une nécessité. Dès le début, le nucléaire a tout naturellement été une affaire pour le Corps des Mines. C’était le prolongement de la logique des mines qui rassemblèrent les trois éléments fondamentaux du pouvoir militaire de l’Etat: la poudre, le fer et le charbon. Les trois ingrédients pour fabriquer et alimenter les canons. Pierre Guillaumat fabriqua le canon nucléaire. André Giraud, son successeur spirituel, était le maître d’œuvre de l’électronucléaire. Le Corps des Mines a toujours prétendu garantir la

pérennité de l’Etat. Début 1997, André-Claude Lacoste, actuel directeur de la sûreté des installations nucléaires (DSIN) [et actuel Président de l’ASN] et Ingénieur général des mines, déclarait en ouverture d’un cours sur la sûreté nucléaire à l’Ecole des Mines: « J’ai été nommé au poste actuel en Conseil des Ministres en février 1993. Depuis février 1993, j’ai eu l’honneur de servir sous les ordres de cinq ministres de l’Industrie et de trois ministres de l’Environnement. »

Lors d’un de nos entretiens avec un ingénieur du Corps des Mines de l’IRSN, nous lui demandions quels étaient les rapports entre les experts techniques et le pouvoir politique ? Il nous répondit : « le politique a toujours un droit de regard mais certaines choses se traitaient directement avec la Présidence de la République quand il s’agit de faire des choix. Lorsqu’il était question de la bombe, de Gaulle traitait en direct […] A l’époque, les relations entre techniciens et politiques étaient très prégnantes. Aujourd’hui c’est beaucoup plus dilué. »

Le Président de la COGEMA, de 1988 à 1999, était M. Syrota, qui était également le Président du Conseil Général des Mines, de 1993 à 1997. Le Président du Conseil Général des Mines avait le pouvoir de nommer les Présidents d’EDF, du CEA et des instances de contrôle de la filière nucléaire au Ministère de l’Industrie. Le ministère de l’Industrie est en grande partie composé d’ingénieurs des Mines, ce qui a fait dire à M. Syrota « Bienvenue dans notre maison, monsieur le Ministre » à Franck Borotra, nouvellement nommé Ministre de l’Industrie.

Les Directeurs des différentes directions du CEA étaient principalement issus de l’Ecole Polytechnique ou de l’Ecole Centrale, mais dans les unités de recherche se trouvaient également des personnes issues du monde universitaire. « Le corps des Mines a servi non pas comme une « mafia occulte » mais par des gens qui ont eu la même formation et qui se comprennent relativement facilement. Ils peuvent également se tutoyer au premier abord. Le revers de la médaille est qu’ils ont une même forme de culture au départ. » (Interview Ingénieur des Mines IRSN) Cette culture technicienne dont fait état cet ingénieur des Mines conduit à un entre soi et à une grille de lecture unique des problèmes et de la façon de les résoudre. Dans cette grille de lecture, il est très souvent privilégié une approche purement technique des problèmes, laissant de côté sa dimension sociale. De ce fait, la réponse à ces problèmes se fera uniquement sur un terrain technique (Borraz, 2008).

« Jean Servant149, ingénieur du Corps des Mines et premier patron du nouveau SCSIN explique pourquoi le contrôle avait alors pris la forme d’un service administratif : « Ça venait en partie du ministère, et un peu de l’opinion - le ministère était sensible à l’opinion - et ça venait paradoxalement aussi des constructeurs de centrales nucléaires qui disaient : Nous ne pouvons pas admettre que la sûreté de nos installations soit jugée, par un organisme, le CEA, qui a été autrefois le promoteur d’une technique concurrente à la nôtre. » Craignant que « le CEA aille démontrer que nos centrales ne sont pas sûres parce qu’elles viennent de Westinghouse aux Etats-Unis » ils demandaient « des garanties sur l’indépendance du jugement qui sera porté sur la sécurité de nos centrales. » »150

« L’indépendance de la sûreté nécessite quelques conditions pour que cela fonctionne bien. Ce ne sont pas les textes qui garantissent la véritable indépendance. L’indépendance est dans les têtes. » (Ing/IRSN) Dans les années 1970, Jean Servant écrivait déjà qu’on ne pouvait pas garantir qu’il n’y aurait pas d’accident. « Celui-ci démissionna d’ailleurs de son poste de Directeur de la SCSIN car il jugeait la sûreté nucléaire trop aléatoire et reprochait la trop grande mainmise du ministère de l’Industrie, et du Corps des Mines. La poursuite de l’industrie nucléaire n’a pas été impactée par cet épisode : le Ministre de l’Industrie, André Giraud, était un ancien patron du CEA. » (Ing/IRSN)