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Partie I : La préparation à la gestion des risques nucléaires en France : une

Chapitre 2 La préparation à la crise nucléaire : une approche centrée sur l’aléa

2.1 La gestion de crise nucléaire : un lutte entre différentes approches

2.1.3 Le programme PRIME : une méthodologie centrée sur la vulnérabilité du

2.1.3.3 Du territoire impacté au territoire soupçonné

« La vision du territoire du risque a changé. Trois territoires se côtoient géographiquement et symboliquement. Le premier territoire, celui des mesures avérées, sera celui que l’on pourra tracer à partir des mesures scientifiques qui détermineront les niveaux de contamination ; la carte sera connue après la phase d’urgence, voire après la phase de transition si les aspects hydrologiques rendent la détermination complexe. Cette carte est celle donnée par le logiciel de PRIME et en général, les travaux du CODIRPA portent essentiellement sur ce territoire-là. Un second territoire sera constitué par les zones pour lesquelles subsisteront des incertitudes qui seront levées après la phase d’urgence. Leurs habitants vivront une phase d’indétermination pendant laquelle on aura appliqué des mesures de précaution, en fonction sans doute de réactions ou d’interrogations des services de l’Etat pendant la gestion d’urgence et de la phase de transition. Un troisième territoire sera constitué par le territoire soupçonné par les habitants, les consommateurs des produits, les touristes et ceux qui voudront en partir, territoire pour lequel les effets de boycott ne doivent pas être sous-estimés. Son périmètre est essentiellement défini par la perception qu’ont les habitants et usagers du territoire de ses dangers »234

Des populations vont devoir vivre sur le deuxième et troisième type de territoire décrit par cette recherche. Pour Geneviève Baumont, unique experte en sciences sociales à l’IRSN235, les gestionnaires de la crise doivent être conscients des enjeux liés à la vision du territoire et à la capacité de résilience de la population suite à un accident. Au-delà de la prise de conscience, ils doivent même s’y préparer. Sans reprendre l’ensemble de préconisations émises par son rapport, nous voyons qu’il se dégage deux notions importantes : la confiance que peut avoir la population à l’encontre des décideurs et leurs capacités à gérer correctement la phase d’urgence et post-accidentelle. La question de la confiance est un élément à cultiver avant un accident. Mis à part le traumatisme généré par l’accident nucléaire en lui-même, certaines questions vont invariablement et légitimement être posées par la population des territoires non évacuées : Pourquoi ceux qui habitent 1km plus près ont été évacué et pas

234 Baumont Geneviève, op. cit

moi ? Etes-vous sûr que je suis en sécurité là où j’habite ? Puis-je manger les produits de mon jardin ?

L’actuel Directeur Général de l’IRSN, M. Repussard, a d’ailleurs identifié cette problématique en rappelant que « l’étude socio-économique montre en effet qu’une part élevée des coûts pourrait résulter du handicap économique né de l’accident au détriment d’une partie du territoire suspectée de contamination, à tort ou à raison. Cette observation est très directement liée au fait que la société est consciente du potentiel d’accident catastrophique associé aux réacteurs de puissance, comme le montre avec constance depuis plus de vingt ans le « baromètre de la perception des risques » publié par l’IRSN : c’est en effet le principal argument cité lors de chaque enquête à l’encontre du nucléaire, avec la question de la gestion des déchets ultimes. »236

236 Revue Contrôle n°180 disponible sur http://www.asn.fr/index.php/Bas-de-page/Sujet-Connexes/Gestion-post-accidentelle/Controle-n-180-la-gestion-post-accidentelle-d-un-accident-nucleaire

L’accident nucléaire : des enjeux territorialisés

Un travail exploratoire d’Ambroise Pascal, un ingénieur de l’ENGREF en stage à l’IRSN sur l’économie de la sûreté, est venu légitimer cette position. Il montre la nécessité d’adopter une approche territoriale pour se préparer à un accident nucléaire. Il peut largement se compléter avec l’étude PRIME et son annexe « vulnérabilité et résilience » que nous avons déjà évoqué. A partir d’un article de Marc Poumadère (2009) qui « avance que les dernières décennies ont vu les efforts se concentrer sur la culture du risque (d’abord sur le plan technique puis sur le plan organisationnel et humain), au détriment de l’information des populations et de la réduction des vulnérabilités par une approche comportementale », Ambroise Pascal conclu que « la doctrine française de gestion des accidents (CODIRPA) se doit de concilier les recommandations scientifiques, les attentes de la population, une élaboration concertée et des facteurs politiques. » (Pascal, 2011).

Nous ne reviendrons pas, ici, sur les enjeux inhérents à chaque phase de l’accident nucléaire que nous avons traités précédemment. Nous pouvons cependant aller plus loin. Nous entendons par là que les enjeux techniques, sanitaires, environnementaux, économiques, etc., ont été donné à partir des calculs d’un accident sur un territoire enveloppe non spécifique d’un lieu donné.

Toutefois, la pondération de ces enjeux va dépendre largement de la typologie du territoire, de la population y habitant, et du tissu industriel. Si le territoire entourant la centrale nucléaire est prioritairement agricole ou viticole comme c’est le cas autour de la centrale nucléaire du Blayais, les enjeux économiques ne seront pas les mêmes qu’autour de la centrale de Flamanville qui est située sur l’océan Atlantique, dont le territoire contaminé serait pour moitié dans la mer.1 Ceci n’est qu’un exemple. La densité de population autour de la centrale nucléaire du Bugey qui est d’environ 1300000 personnes dans un rayon de 30kms n’est pas la même que la centrale de Belleville qui n’en compte que 110000 pour le même rayon. Encore un exemple, la présence d’activité industrielle ou de service de grande ampleur, telle que le port de Dunkerque, situé à 10kms de la centrale de Gravelines ou de l’aéroport Saint Exupéry, très proche de la centrale du Bugey, ou encore du parc d’attraction Disneyland, situé à une cinquantaine de kilomètres au Nord-Ouest de la centrale de Nogent-sur-Seine, pose la question de leur devenir en cas de contamination radiologique des sols importante.

Occupation des sols autour des sites nucléaire français (Pascal, 2011)

A travers cette carte, nous voyons la répartition de l’occupation des sols autour de chaque centrale nucléaire française. Elle est prioritairement composée de terres agricoles, à l’exception des centrales nucléaires du bord de mer. Ce point est très important car une contamination des sols suite à un rejet pourrait avoir un impact considérable sur les cultures locales qui conduirait les agriculteurs soit à

Lors d’un entretien avec un ingénieur participant au programme PRIME, celui-ci allait encore plus loin en précisant qu’avec le même type de culture les impacts pourraient être différents en fonction, par exemple, de l’entreposage des récoltes. Si l’agriculteur entrepose son foin à l’extérieur ou dans un hangar, la contamination de sa récolte ne sera pas la même. Cet exemple peut sembler banal, mais il montre bien que la réalité des conditions de vie ou de travail autour de chaque centrale n’est pas uniforme et qu’une approche territorialisée lors de la préparation à l’accident nucléaire pourrait mieux comprendre l’importance des conséquences pour les populations touchées.

La France possède actuellement 58 réacteurs servant à produire de l’électricité répartis sur 19 sites nucléaires. Si nous nous intéressons à la démographie autour de chaque site nucléaire, nous voyons que, dans un rayon de 30kms autour de ces sites, la densité de population peut-être jusqu’à 10 fois plus importante en France qu’à Fukushima. « Dans la France au 260 sortes de fromages », comme l’avait perçu le Général De Gaulle, chaque territoire possède des enjeux et des vulnérabilités qui lui sont spécifiques. Ainsi, nous pourrions nous demander s’il ne serait pas dans l’intérêt des pouvoirs publics de réaliser une préparation ad hoc à chaque territoire plutôt que de développer un modèle générique de préparation. De plus, comme le montre le tableau ci-après, la démographie autour des centrales nucléaires est extrêmement variable, rendant la gestion d’un accident nucléaire encore plus spécifique à la centrale nucléaire impactée.

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2.2 L’organisation réglementaire des pouvoirs publics pour la gestion