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Partie I : La préparation à la gestion des risques nucléaires en France : une

Chapitre 2 La préparation à la crise nucléaire : une approche centrée sur l’aléa

2.1 La gestion de crise nucléaire : un lutte entre différentes approches

2.1.2 L’approche du CODIRPA : une approche centrée sur l’aléa technique

2.1.2.2 La définition des seuils

Comment l’accident et sa gestion sont-ils envisagés par le CODIRPA ? Lors de la phase d’urgence dans laquelle des rejets radioactifs surviennent, le principal enjeu pour les pouvoirs publics est de limiter l’exposition radioactive de la population. Deux solutions s’offrent à eux. Soit les rejets sont certains mais pas imminents, et dans ce cas les pouvoirs

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Ambroise Pascal, Le risque d’accident nucléaire : une approche territoriale, Rapport IRSN (en partie confidentielle), 2011

220 Pour préciser la différence entre l’accident grave et l’accident majeur, nous pouvons dire que les deux ont des conséquences sur la sûreté, la société, la population… Cependant, l’accident grave a une ampleur nationale et gérable alors que l’accident majeur a une ampleur internationale et est ingérable et les conséquences peuvent être telles que les services de l’Etat soient débordés. Les économistes de la sûreté attribuent principalement des coûts d’image et d’effet sur le parc nucléaire s’agissant des accidents graves alors que le cout de l’accident majeur est dominé par l’existence d’un territoire fortement et durablement contaminé.

publics disposent de quelques heures pour recourir à une évacuation préventive dans un périmètre défini. Soit les rejets sont en cours et dans cet autre cas, les pouvoirs publics recommanderont à la population de se mettre à l’abri. Les radionucléides majoritairement pris en compte pour les rejets sont l’Iode131 et le Césium137. Le premier a une demi-vie radioactive de 8 jours et l’autre de 30 ans.221 En fonction de la dispersion des rejets, du sens du vent et du niveaux des précipitations au moment de l’accident, des évacuations supplémentaires pourraient être nécessaires dans un second temps, dans un périmètre plus large, en regard de la concentration des radionucléides dans l’environnement, et particulièrement sur les sols et le bâti. Ces évacuations supplémentaires seront décidées à la suite des mesures dans l’environnement effectuées par les experts de l’IRSN et des pompiers. A l’opposé, des concentrations faibles sur certains territoires évacués pourraient permettre à la population de revenir sur ceux-ci. Ceci est la théorie générale développée dans le cadre de la préparation à la crise nucléaire qui a été reprise par le CODIRPA.

Cette question des seuils nous a semblé très intéressante. En effet, le seuil est avant tout une valeur scientifique ou administrative mais pour qu’elle soit efficace, elle doit être partagée au-delà des acteurs en charge de la gestion de l’accident.222 Dans ce cas, nous pouvons nous interroger sur ces seuils qui justifient une mise à l’abri, ou une évacuation ? Si nous reprenons l’exemple de l’accident de Tchernobyl que nous avons étudié dans le chapitre 1, nous voyons que la décision prise d’évacuer les populations en suivant des cercles concentriques autour de la centrale nucléaire ne correspondrait pas à une réalité scientifique. En effet, la contamination des sols autour de la centrale de Tchernobyl n’était pas régulière mais était représentée sous la forme de « tâches de léopard ». De la même manière, la gestion de l’accident de Fukushima s’est effectuée sur ce même modèle selon des cercles concentriques dans un premier temps, à savoir des évacuations immédiates et d’autres requises dans un second temps sur la base d’estimations de doses à partir des dépôts mesurés.

Quel modèle de gestion la France utilise-t-elle sur ce sujet ? Le CODIRPA recommande lui aussi une gestion de l’accident nucléaire par zonage (voir encadré ci-après). Nous rappellerons que la définition de ces différentes zones est réalisée à partir des projections de dose efficace pour un adulte sur une période d’un mois et pendant des rejets ne

221 Les scientifiques considèrent donc que l’Iode 131 aura totalement disparue au bout de 80 jours et 300 ans pour le Césium 137.

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Ces questions de technicisation des mesures, de mises en chiffres des questions politiques ont par ailleurs été bien décrites par Alain Desrosières, La politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique, Paris, La Découverte, 1993

dépassant pas une journée avec une météo fixe.223 Selon cette recommandation, la dose efficace corps entier ne doit pas dépassée 10 mSv pour le premier mois sinon les autorités publiques auront recours à la définition d’une Zone de Protection des Populations (ZPP). « Enfin, l’indicateur préconisé pour décider du maintien ou du retour sur place à long terme, ou au contraire de l’éloignement, est la dose efficace prévisionnelle reçue du deuxième au treizième mois, avec pour valeur guide 10 mSv ».224 Le second paramètre pris en compte pour la ZPP est la dose à la thyroïde. Si la dose à la thyroïde, calculée en estimant les voies d’atteinte d’inhalation et d’ingestion, est supérieure à 50 mSv pour un mois, alors une ZPP sera également mise en place.

223 A titre de comparaison, le rejet a duré plus de 15 jours à Tchernobyl 224 Rapport du GT1 du CODIRPA, p. 13

L’accident nucléaire : une gestion zonale

Les pouvoirs publics possèdent tout un arsenal de dispositifs réglementaires à leurs dispositions pour protéger la population en cas d’accident nucléaire. Nous étudierons deux d’entre eux car ils sont symptomatiques de la doctrine CODIRPA : le Plan Particulier d’Intervention (PPI) et les Zonages post-accidentels. Ils ont tous les deux pour objectif de définir des zones sur lesquelles des mesures de protection doivent être prises. La justification de la définition de ces zones est basée sur des critères objectifs de normes de radioprotection.

Les périmètres PPI

Le décret n° 88-622 du 6 mai 1988 relatif aux plans d’urgence, pris en application de la loi du 22 juillet 1987, imposait aux préfets de département d’établir des plans d’urgence pour « faire face à des risques particuliers ». Il distinguait notamment les plans particuliers d’intervention (PPI) pour les risques liés à l’existence ou au fonctionnement d’installations nucléaires. Le Décret n°2005-1158 du 13 septembre 2005 relatif aux plans particuliers d'intervention concernant certains ouvrages ou installations fixes et pris en application de l'article 15 de la loi n° 2004-811 du 13 août 2004 relative à la modernisation de la sécurité civile vient préciser les modalités de fonctionnement et d’application de ces PPI. Le Décret s’appuie « sur les dispositions générales du plan ORSEC départemental. Il décrit les dispositions particulières, les mesures à prendre et les moyens de secours pour faire face aux risques particuliers considérés. » Il comprend :

1° La description générale de l'installation ou de l'ouvrage pour lesquels il est établi, et la description des scénarios d'accident et des effets pris en compte par le plan ;

2° La zone d'application et le périmètre du plan, et la liste des communes sur le territoire desquelles s'appliquent les dispositions du plan ;

3° Les mesures d'information et de protection prévues au profit des populations et, le cas échéant, les schémas d'évacuation éventuelle de celles-ci, y compris l'indication de lieux d'hébergement ;

4° Les mesures incombant à l'exploitant pour la diffusion immédiate de l'alerte auprès des autorités compétentes et l'information de celles-ci sur la situation et son évolution, ainsi que, le cas échéant, la mise à la disposition de l'Etat d'un poste de commandement aménagé sur le site ou au voisinage de celui-ci ;

5° Les mesures incombant à l'exploitant à l'égard des populations voisines et notamment, en cas de danger immédiat, les mesures d'urgence qu'il est appelé à prendre avant l'intervention de l'autorité de police et pour le compte de celle-ci, en particulier :

a) La diffusion de l'alerte auprès des populations voisines ;

b) L'interruption de la circulation sur les infrastructures de transport et l'éloignement des personnes au voisinage du site ;

c) L'interruption des réseaux et canalisations publics au voisinage du site ;

6° Les missions particulières, dans le plan, des services de l'Etat, de ses établissements publics, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics et les modalités de concours des

organismes privés appelés à intervenir ;

7° Les modalités d'alerte et d'information des autorités d'un Etat voisin mentionnées à l'article 7 ;

8° Les dispositions générales relatives à la remise en état et au nettoyage de l'environnement à long terme après un accident l'ayant gravement endommagé survenu dans une installation.

Le PPI sert à coordonner l’ensemble des moyens mis en œuvre pour gérer une situation accidentelle. Il précise l’étendue et la nature des risques, les outils d’aide à la décision disponibles, et notamment les mesures de radioactivité, et les actions de protection de la population (mise à l’abri et à l’écoute, évacuation de la population…). Depuis peu, les PPI ont également un volet sur la gestion post-accidentelle des évènements radiologiques pour traiter les conséquences à long terme de la radioactivité.

Comme le stipule la Directive Ministérielle du 7 avril 2005, « des exercices de mise en œuvre du plan particulier d'intervention sont obligatoires. Les modalités en sont définies par le décret n° 2005-1157 du 13 septembre 2005. La périodicité maximale de ces exercices est fixée à cinq ans [ou] trois ans. L'exploitant est tenu de participer aux exercices et entraînements d'application du plan décidés par le préfet. » Ces exercices de crise dans lesquels sont testés les PPI seront amplement évoqué et étudié dans la seconde partie de notre recherche.

Les zonages post-accidentels

L'alimentation est la principale source d'exposition de la population, une fois le panache passé. « Les denrées contaminées produites ou stockées à proximité du lieu de l’accident nucléaire constituent la principale source d’exposition (environ 90% de l'exposition totale) de la population de la zone touchée, en phase post-accidentelle, si aucune restriction de consommation et de commercialisation de ces denrées n’y est décidée. » (GT2 CODIRPA)

Le CODIRPA recommande que deux zones soient distinguées pour la gestion des territoires les plus contaminés:

- Une Zone de Protection des Populations (ZPP), à l’intérieur de laquelle des actions seraient menées dans le but de réduire les doses susceptibles d’être reçues par les personnes qui s’y trouvent.

- Une Zone de Surveillance renforcée des Territoires (ZST), à l’intérieur de laquelle une surveillance spécifique des denrées alimentaires et des produits agricoles destinés à être commercialisés serait mise en place, afin de vérifier que les niveaux maximaux admissibles (NMA) fixes par la règlementation ne sont pas dépassés.

Chacune des zones a une finalité différente et celles-ci sont délimitées en utilisant des indicateurs de nature différente : indicateurs dosimétriques pour la ZPP et indicateurs exprimes en concentration de radioactivité dans les denrées pour la ZST.1

Représentation schématique du zonage post-accidentel (source CODIRPA)

La délimitation du périmètre de la ZPP

La définition initiale du périmètre de la ZPP se fait à partir de l’évaluation prédictive des doses susceptibles d’être reçues au cours du mois suivant la fin de l’accident, sans tenir compte de l’efficacité des actions de réduction de la contamination qui seraient à mettre en œuvre dans la zone.

Les recommandations en termes de doses sont issues des travaux de la Commission International de Protection Radiologique dans la CIPR 103 qui incitent les pouvoirs publics à ne pas laisser une population sur un territoire si la dose efficace est supérieure à 100 mSv sur la première année suivant l’accident. Par mesure de précaution, le CODIRPA a souhaité abaisser cette dose à 20 mSv pour la première année (10 mSv au cours du premier mois et 10 mSv du deuxième au treizième mois). Ces valeurs ne prennent pas en compte les doses reçues

Ces évaluations sont faites par l’IRSN en tenant compte des données disponibles et d’hypothèses raisonnablement prudentes sur les conditions d’exposition des populations et sont régulièrement mises à jour en fonction des nouvelles données disponibles.

La ZPP est ainsi délimitée à partir du résultat le plus pénalisant parmi les deux indicateurs d’exposition suivants :

- soit la dose efficace prévisionnelle reçue au cours du premier mois suivant la fin des rejets, toutes voies d’exposition confondues y compris l’ingestion de denrées locales contaminées. Le CODIRPA a retenu une valeur guide de l’ordre de 10 mSv.

- soit la dose équivalente prévisionnelle à la thyroïde reçue au cours du premier mois suivant la fin des rejets. La valeur guide retenue est de l’ordre de 50 mSv.

La délimitation du périmètre de la ZST

La zone de surveillance renforcée des territoires est déterminée à partir d’une évaluation prévisionnelle de la contamination des denrées et produits agricoles locaux. L’extension de la ZST recouvre l’ensemble des lieux ou les résultats de ces évaluations montrent un risque de dépassement des Niveaux Maximaux Admissibles de la réglementation Euratom1. Ces évaluations sont faites par l’IRSN, en considérant dans un premier temps toutes les catégories génériques de denrées (légumes feuilles, légumes fruits, légumes racines, fruits, lait de vache, viande), susceptibles d’être récoltées puis commercialisée au cours du mois à venir, sans attendre de savoir quel type et quelle quantité de denrées appartenant à ces diverses catégories sont effectivement présents sur les territoires impactes par les retombées radioactives. La définition initiale de la ZST ne prend pas en compte les éventuelles actions de réduction de la contamination qui pourraient être menées en milieu agricole au cours des premières semaines suivant la fin des rejets.

lors du passage du nuage aux premiers moments de la phase accidentelle. Nous pouvons également effectuer une autre remarque en nous servant du travail d’Ambroise Pascal : « Cela pose la question du risque qu’il peut y avoir à se prononcer en faveur de seuils de plus en plus stricts. En effet, s’il est possible, devant un accident, d’adopter des seuils plus stricts que ceux préconisés par les instances internationales, il est difficile de revenir sur des propos tenus « en temps de paix ». Or, dans le cas d’un accident très grave, il pourrait être impossible de procéder à l’évacuation de la population dans les zones contaminées au-delà de 10 mSv par an. »225 En effet, les pouvoirs publics pourraient donc être confrontés à un double problème. D’une part, un accident de grande ampleur et touchant un territoire dont la vulnérabilité est importante pourrait dépasser les moyens techniques, humains et économiques prévus ce qui conduirait à ne pas évacuer des populations aux valeurs dosimétriques prévues par le CODIRPA. D’autre part, le CODIRPA ne prend absolument pas en compte l’avis de la population et sa volonté ou non de partir d’un territoire contaminé et surtout son envie de revenir sur un territoire, liée à son histoire industrielle et sociale. Cependant, dans l’hypothèse, plus ou moins avouée par les gestionnaires de la crise, qui veut que jamais un accident majeur ne surviendrait sur le territoire français, l’application d’un principe de précaution très strict, comme c’est le cas avec la division par 5 de la dose recommandée par la CIPR 103, est une « bonne pratique » en termes d’image. Mais en cas réel, un accroissement des doses pourraient créer la méfiance envers des experts « inconstants », et rajouter une crise d’image vis à vis des experts, en plus d’une crise nucléaire majeur.