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De la bombe atomique à la connaissance des effets de l’irradiation sur

Partie I : La préparation à la gestion des risques nucléaires en France : une

Chapitre 1 La construction du système d’acteurs fonctionnel autour de la

1.2 De la bombe atomique à la connaissance des effets de l’irradiation sur

De nombreux scientifiques étrangers (Einstein, Bohr, Meitner, Frisch) et français (Joliot-Curie) ont effectué des recherches pour comprendre la nature de l’atome afin d’expliquer les phénomènes liés à la radioactivité. Otto Hahn et Lise Meitner ont décrit la fission nucléaire et les potentialités de ce phénomène.123 Certains de ces scientifiques étaient de confession juive et ont dû immigrer aux Etats-Unis et au Danemark pour poursuivre leurs recherches. Des savants ont vu les applications possibles de cette découverte en utilisant cette énergie à des fins militaires, dans une bombe atomique124. En 1939, Albert Einstein a écrit au Président Roosevelt pour l’avertir du danger que représenterait l’Allemagne nazie si elle se dotait de l’arme atomique. A la suite de ce courrier, le Président Roosevelt décida de lancer le Projet Manhattan qui avait pour objectif d’obtenir au moins trois bombes atomiques pour 1945. Le 16 juillet 1945, la première bombe atomique a été testée dans le désert du Nouveau Mexique aux Etats-Unis, démontrant la puissance générée par l’explosion. Les Américains avaient aussi constaté des effets mutagènes sur des souris exposées à de fortes irradiations.

123 Sur ce sujet, se référer à la thèse d’Histoire de Foasso : Histoire de la sûreté de l’énergie nucléaire civile en France (1945-2000), 2003

124 Le brevet de la bombe atomique a été déposé en 1939 par Frédéric Joliot. C’était un dépôt intellectuel qui précisait le Perfectionnement aux charges explosives.

La description de la réaction de fission met en évidence les systèmes de maîtrise indispensables : la régulation de la réaction en chaine pour éviter un excès de puissance exponentielle dont la cinétique dépasserait les capacités de réaction des hommes et qui pourrait engendrer une "explosion nucléaire"; le confinement des produits de fissions radioactifs dont le rayonnement peut menacer la santé des hommes, le refroidissement du cœur pour en extraire la chaleur en fonctionnement et pour extraire la chaleur émise par la radioactivité des produits de fission, même une fois le cœur arrêté. La pression des circuits de refroidissement est un autre phénomène qu'il faut aussi maîtriser dans l'installation.

Cette explication ainsi faite, nous emploierons la notion de « risque nucléaire » dans notre recherche, uniquement pour aborder les incidents et accidents pouvant se produire dans l’industrie nucléaire.

Le 6 et 9 août 1945, deux bombes atomiques ont explosées, respectivement sur la ville d’Hiroshima et de Nagasaki tuant 170000 personnes immédiatement par l’effet du souffle et de la température au niveau de l’épicentre de l’explosion. Les effets radiologiques de la bombe atomique sont principalement dus à l’irradiation par des neutrons, plus qu’à la contamination interne issue de produits de fission. Les Japonais présents en périphérie de l’épicentre ont été irradiés par des neutrons. Cette irradiation diminue avec le carré de la distance par rapport à l’épicentre de la bombe au moment de l’explosion. Les produits de fission issus de l’explosion proviennent de la fission des 700 grammes d’uranium de la bombe.125

A partir des années 50, les Américains se sont interrogés sur les effets de l’irradiation sur les survivants des bombardements au Japon en se focalisant sur les effets mutagènes. Ils ont donc créé un laboratoire, sur place, à Hiroshima pour suivre les cohortes d’irradiés afin de recueillir des données scientifiques sur les mutations.126 Cette cohorte, composée de 86000 survivants, a été étudiée de manière très fine sous un angle de recherche, c'est-à-dire que les personnes n’étaient pas toujours soignées mais leurs symptômes et maladies étaient consignés.127 Il reste dans la mémoire des Japonais que les médecins principalement militaires ne montraient aucune empathie pour les personnes étudiées puisque presque aucun soin n’était prodigué. De ces études a été tiré l’ensemble des savoirs sur les risques d’irradiation. La méthodologie était assez simple. Les chercheurs demandaient aux personnes leur localisation en regard de l’épicentre au moment de l’explosion. A partir de ces informations, les chercheurs reconstituaient la dose prise par la personne et la mettaient en lien avec la pathologie qu’elle avait pu développer. Ces résultats sont représentés par une droite représentant une « relation linéaire sans seuil », et démontre que les risques radiologiques sont proportionnels aux doses reçues.128 C’est cette droite qui établit la première estimation fine des effets de la radioactivité sur l’homme. C’est donc « grâce » à la bombe atomique et à l’étude de ses effets par des médecins militaires que les savoirs en matière de radioprotection

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A comparer aux 40 tonnes de combustible présents dans un réacteur nucléaire.

126 Présentation des résultats de la cohorte sur le site du CEA : http://www-dsv.cea.fr/institutes/unite-protection-

sanitaire-contre-les-rayonnements-ionisants-et-toxiques-nucleaires-prositon/pour-comprendre/effets-sanitaires/effets-aleatoires-tardifs/etudes-epidemiologiques-des-effets-des-rayonnements-ionisants

127 Voir l’ouvrage les Notes d’Hiroshima d’Ôé (1963) qui décrit la manière dont les études sur les survivants étaient réalisées par les médecins militaires américains.

128 Le taux de proportionnalité retenu par le CIPR est de 5% par sievert dans le cas des cancers mortels résultants d'une exposition.

se sont renforcés.129 Les médecins militaires sont restés des acteurs majeurs dans le domaine de la radioprotection. Par exemple, c’est à l’hôpital de Percy à Clamart (92), hôpital militaire, que se traitent les symptômes aigus développés par ceux qui se sont accidentellement irradiés avec des sources gammamétriques qui sont largement utilisées dans l’industrie pour contrôler, par exemple, les soudures des tuyauteries ou pour stériliser les aliments.

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, apparaissent également dans le monde entier, les premiers mouvements pacifistes et anti-nucléaires qui militaient contre l’utilisation de la bombe atomique. Le lien entre nucléaire civil et nucléaire militaire que nous retrouvons encore dans les perceptions que peuvent avoir la population est largement issue des explosions atomiques au Japon et de la course aux armements militaires. Elles ont sans doute été renforcées par les arguments développés lors des premières luttes anti-nucléaires et par la propagande de la guerre froide. Pour que la dissuasion nucléaire marche, il faut que la bombe fasse peur.

129 Exemple : un témoignage m’a été rapporté : « Une personne féminine de l’IRSN demande à un médecin militaire comment elle peut être sûre de ne pas avoir de cancer de la thyroïde. Le médecin ne lui donne aucune indication et lui dit qu’elle ferait mieux de s’occuper du cancer du sein à la place. Elle a demandé le même conseil à un médecin allemand impliqué dans la gestion des territoires contaminés de Tchernobyl. Celui-ci lui a donné l’ensemble des indications qu’elle attendait, voire plus. »

Superphénix : symbole d’une lutte syndicale et antinucléaire

Une des premières cristallisations des mouvements antinucléaires s’est faite autour du réacteur Superphénix. La contestation s’est focalisée sur le risque de cette technologie que les opposants estimaient trop dangereuse et pas assez bien maîtrisée. De plus, l’enquête publique réalisée pour implanter le surgénérateur à Creys-Malville était faite à l’époque dans un rayon de 5kms autour de la centrale. Jusqu’en 1979, et l’accident de Three Mile Island, aux Etats-Unis, ce rayon paraissait encore pertinent car aucun accident n’avait occasionné de rejets à l’extérieur de la zone de confinement. Après l’accident de Tchernobyl en 1986, ce rayon est devenu plus difficile a justifié mais la réglementation pour l’établissement du rayon des enquêtes publiques pour les Installations Nucléaires de Base (INB) est quand même restée à 5kms.

Déjà en 1975, les membres de la CFDT du CEA de Cadarache se sont enchaînés aux grilles pour demander un moratoire sur la construction de Superphénix, au Ministre de l’Energie, André Giraud. Il reprochait au réacteur de ne pas être prêt, ainsi que la trop grande quantité de plutonium fabriqué. Les membres de la CFDT étaient du côté de l’ONG Atoms for Peace. Les dangers du surgénérateur ont été relaté dans les dossiers électronucléaires de la CFDT rédigé en partie par Bernard Laponche, polytechnicien et syndicaliste au CEA.

En 1976, le Premier Ministre Jacques Chirac décide, malgré les nombreuses contestations, la construction de la centrale de Creys-Malville, avec son réacteur Superphénix. En 1977, une grande manifestation est menée à Creys-Malville pour s’opposer au projet. Les forces de l’ordre interviennent et tirent sur les manifestants. Vital Michalon, instituteur, est tué.

La centrale est mise en service en 1985 et après de nombreuses défaillances techniques (1987 notamment), le Premier Ministre, Lionel Jospin, décide d’arrêter la centrale avec l’arrêté ministériel du 30 décembre 1998. Dominique Voynet alors ministre de l’Environnement a beaucoup œuvré pour la fermeture de Superphénix. Bernard Laponche était son conseiller technique sur les questions énergétiques et de sûreté nucléaire.