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L’accès aux imaginaires des lieux par les récits géographiques fictionnels

CHAPITRE 2 : L’ambiance et ses imaginaires, matière sémiotique de l’innovation

2.2 Les cartes mentales et les récits fictionnels du flâneur, clés d’accès aux

2.2.2 L’accès aux imaginaires des lieux par les récits géographiques fictionnels

et des ombres bleues, ce royaume secret « plein de fleurs immobiles et étranges » (Maeterlinck) donne une expérience directe de la spatialité aquatique. L’eau courante, parce qu’elle est mouvement et vie, déride l’espace » (Dardel, 1990 : 27).

Le lien entre la poésie, art d’écrire les imaginaires, et l’expérience des espaces et des lieux est alors clairement établi. La sémiotique des récits nous apparaît alors comme l’outil idéal pour approcher la signification de récits géofictionnels et saisir les structures de l’imaginaire, les idiosyncrasies expérientielles des espaces et des lieux. Rappelant que l’expérience polysensorielle et les émotions sont pleinement contributrices de l’expérience consommateur, le récit géofictionnel permettrait d’en identifier tant les composantes que la structure que nous entendons montrer dans les chapitres suivants. L’imaginaire de l’interviewé deviendrait alors l’espace de sa projection expérientielle et de l’expression de son récit, et lui-même un flâneur – conteur de son imaginaire expérientiel. Un métis entre le flâneur de Benjamin et un écrivain – poète des espaces et des lieux.

2.2.2 L’accès aux imaginaires des lieux par les récits

géographiques fictionnels

2.2.2.1 Le récit

Définition : Selon JM Adam, (1999), le récit, dans son acception minimale est une mise en intrigue d’au moins un événement ; selon Barthes, (1966), le récit est là, comme la vie selon un principe d’universalité.

Il faut bien différencier ici l’histoire et le récit : l’histoire, le scénario d’usage, est le terme utilisé par les concepteurs pour accompagner le travail de création ; le récit est différent, il est la représentation d’un événement selon une transformation et une

succession temporelle et relève du marketing centré sur le Client et sa perception, le

sens et la signification qu’il donne à sa consommation.

Nota : en Chine, le micro-récit fait partie naturellement de la culture et de la poésie.

Il y a plusieurs conditions pour l’existence d’un récit du point de vue de la production : • Représentation d’une succession temporelle d’actions

• Transformation plus ou moins importante de certaines propriétés initiales des actants

• Mise en intrigue qui structure et donne sens à cette succession d’actions et d’événements dans le temps et du point de vue de la réception, code narratif permettant de consommer le récit.

L’actant est celui qui accomplit ou subit l’acte. En sémiotique, le terme d’actant désigne les êtres animés ou inanimés ; ce terme désigne également les forces actantes émanant de la Nature, les émotions, qui régissent les conduites ainsi que les forces actantes émanant de la culture. Selon Barthes, (1966), l’action d’un « actant »

reçoit son sens dernier du fait qu’elle est narrée, confiée à un récit qui a son propre code et ses règles syntaxiques.

2.2.2.2 Les villes réelles et le récit géofictionnel : Gracq

Du récit de la réalité physique expérimentée fonctionnellement au récit imaginaire géofictionnel : la forme d’une Ville, géographie intérieure de Nantes, de

Julien Gracq (1985)

Gracq (1985) nous dit « je ne cherche pas ici à faire le portrait d’une ville » et précise dès les premières pages « qu’il n’existe nulle coïncidence entre le plan d’une ville dont

nous consultons le dépliant et l’image mentale qui surgit en nous.».

Le livre de Gracq consiste, selon ses propres mots repris du milieu du récit, « en un

paysage imaginaire qui nait de la prospection décousue de la ville ». L’auteur y décrit

une ville vivante, presque anthropomorphique, et dotée d’un caractère, d’une personnalité, de sensations et de sentiments. Nous y trouvons un moyen moderne de la nouvelle mobilité urbaine, le tramway, qui devient un élément important de sa mythologie expérientielle. Gracq cite l’Automne à Pékin de Vian où un tramway part en flânerie aléatoire. Les indices atmosphériels de Nantes suscitent chez l’auteur des images, des sensations, des émotions, des réminiscences de parfums oubliés. On relève que le quartier Graslin lui semble « électrisé par ses pôles contradictoires » ce qui vient alimenter l’hypothèse de travail de considérer l’ambiance comme un langage et un système sémiotique. Dans ce récit, les espaces n’ont pas nécessairement de relations topographiques entre eux mais ils sont reliés par l’itinéraire d’une expérience. Ce récit expérientiel de la Ville nous suggère qu’il est possible de capter des imaginaires de la Ville, non reliés directement à une réalité physique.

2.2.2.3 Les villes imaginaires et le récit géofictionnel : Calvino

L’apport des imaginaires de la littérature à une réflexion sur les imaginaires expérientiels d’ambiances : les villes invisibles chez Italo Calvino

Les Villes invisibles, que publie Italo Calvino en 1972, se présente comme un ouvrage qui présente les portraits de villes imaginaires (Abbrugiati 2011)

Le récit géofictionnel consiste en une narration d’un dialogue imaginaire entre un voyageur, Marco Polo, et un empereur Mongol, Khoubilaï Khan, ici appelé Kublai, le Grand Khan, l’empereur des Tartares. À la fin du XIIIe siècle, le marchand vénitien a vécu en Chine, à la cour du Grand Khan. Comme l’Empereur ne peut visiter toutes les villes qu’il a conquises, il demande à Marco Polo de voyager pour lui et de les lui décrire.

Le récit relate donc l’ambassade du Vénitien dans tout l’Empire, qui comprend presque toute la Chine de l’Ouest et le Tibet. Cette fiction reprend la trame du récit de voyage que Marco Polo a publié à son retour en Italie, l’un des ouvrages les plus lus à la fin du Moyen Âge, Le Livre des merveilles, aussi appelé La Description du monde ou Milione en italien. Chaque ville porte un nom imaginaire (Diomira, Smeraldina, Adelma, etc.), et s’inscrit comme une hétérotopie, support d’expériences merveilleuses. 2.2.2.4 Les cartes mentales dans les récits imaginaires des villes utopiques Ville réelle et ville rêvée

Les utopies des Hommes influencent la conception des Villes et inversement les Villes existantes stimulent les imaginaires des architectes et urbanistes, des cinéastes et des romanciers. Les fictions nourrissent depuis des siècles les conceptions de la Ville (Atlantide de Platon dans Timée et Critias, île d’Utopie chez Thomas Moore) Inversement, le cinéma de fiction et la littérature notamment réinterprètent l’atmosphère des Villes (Gotham City dans la série Batman par exemple), et l’on pourrait encore citer des exemples de mobilité imaginaire (le 5ème élément de Besson ou Minority report de Spielberg). La part rêvée et intangible des Villes irréelles (l’atmosphère) est influencée par les composantes tangibles et intangibles des villes réelles.

La ville est omniprésente dans le manga et les mondes urbains imaginaires nous rappellent très fortement l’image des métropoles mondiales actuelles. D’ailleurs, certains mangakas n’hésitent pas à faire évoluer leurs personnages dans des univers urbains réels et notamment Tokyo.

Les expositions universelles, dès le XIXe siècle, ont ouvert la voie. Celle de Shanghai en 2010 (« better city better life ») inspire nos travaux de recherche. Les parcs à thèmes et la « disneyisation » du monde multiplient l’édification de villes imaginaires qui deviennent bien réelles (Dreamlands, 2010). Le Moyen Orient avec Dubaï, mais aussi l’Extrême Orient inventent de nouvelles villes, accentuant ce passage au réel d’imaginaires stéréotypés. La Chine, dans son 11e plan quinquennal (2006-2010) destiné à désengorger Shanghai, a projeté la construction de 10 nouvelles villes autour du concept de parc à thème. Les exemples sont multiples où le cadre urbain se mue en décor et brouille les frontières entre le réel et le rêve. (cf le récit de mon voyage à l’Exposition Universelle en annexe F).

Pour Benjamin, (1936) l’expérience de la ville moderne est celle d’un excès de

sensations, et « presque tous les sens interviennent et se conjuguent pour composer l’image ».

Le MIT a d’ailleurs engagé un projet sur la Senseable city et on trouvera ci-après le tableau des recherches menées sur la Ville et la position originale de notre recherche sur les « imaginaires expérientiels » des ambiances urbaines (Tableau n°10).

Tableau n°10 : le champ des recherches sur les ambiances urbaines

Type de valorisation Fonctionnelle Symbolique Expérientielle

Monde virtuel

Cyber Urban spaces & atmospheres

Sustainable and smart cities

Refers to a city or urban unit which seeks to take into account together the

social, economic, environmental and cultural planning for

and with people. Urban performance depending not only on

the city's physical attributes, but also, on

IT networks

Urban connected social city networks

& senseable city

(MIT project) Augmented city atmospherics strolling & imaginaries of mobility experiences (this research) Monde sensible Urban atmospheres Urban sensing (sounds, smells…) Refers to the vast

range of sensory stimuli (eg sounds) that the city produces

and to the categories of perceived stimuli.

Urban story-telling

Despite the ubiquity of technology and other

narrative media, storytelling remains a

powerful form of interpersonal communication. In cities, it can greatly strengthen ties and foster local knowledge

of a neighborhood Urban sensory or emotional themes The experience of themed physical layout and appearance of city spaces impacts the way one perceives the city together with our emotions (joy, …)

Monde réel Actual urban environments Urban patterns ecology Refers to the interrelationship between human behavior and our built

surroundings and to the effects of city planning on people’s

mental health and well-being (fatigue,

stress), and our functional relationship to space. Urban liveability Refers to a level of perceived well-being based on various measurable and intangible criteria in an urban area. p100 Urban wandering Refers to occasionally engaging in unpredictable actions in our cities, as opposed to moving

through them with expected, predictable

patterns of behavior. The element of

surprise is an important one.

Notre tableau décrit selon deux dimensions principales les axes de recherche sur l’ambiance de la Ville et les types de recherches menées sur la ville sensible.

L’axe des X, en abscisse, représente le type de valorisation de l’ambiance : • Fonctionnelle : la relation fonctionnelle des individus à l’espace habité

• Symbolique : la façon dont les éléments et les signes de l’ambiance urbaine participent de la qualité de vie en ville

• Expérientielle : la flânerie en tant qu’expérience subjective de la ville Sur l’axe des Y, en ordonnée, on trouve :

• L’ambiance réelle

• L’ambiance en tant que système sensible • L’ambiance virtuelle

Innover à partir des récits des consommateurs ?

Nous ne pensons pas en termes de data, mais en termes de récits. C’est pourquoi les créateurs designers – inventeurs sont non seulement dotés de capacités à penser en images, en symboles et en histoires, d’associer à une objectivité scientifique des images issues de leurs pensées et de leurs imaginaires, mais sont aussi la raison pour laquelle la communication autour de l’innovation a tendance à habiller de façon souvent artificielle des innovations qui ne prennent leur source ni dans le progrès scientifique, ni dans les usages. On peut déplorer cette tendance qui conduirait, en s’amplifiant, à produire des innovations chimériques avec le risque pour les entreprises de ne jamais rencontrer que des pseudos marchés qui n’existent que dans le storytelling des concepteurs et de prendre de considérables risques financiers en l’absence de business plans sérieux.

Dès lors que les innovations sont la rencontre d’une invention et d’un marché, pourquoi ne pas considérer les innovations comme pouvant prendre leur source dans les récits et les imaginaires de futurs clients, eux-mêmes bien réels, qui bien que dépourvus du corpus de connaissances scientifiques (à l’inverse des inventeurs) sont à même de produire les histoires de leurs désirs et de leurs envies, dont ils seraient les héros ? Notre recherche dans ses implications managériales vise donc à étudier les possibilités de création d’ambiances augmentées à partir des imaginaires expérientiels, selon l’expression des futurs usagers, dans le sillage des recherches ayant permis autrefois de mettre au jour les rapports fonctionnels des usagers à la ville à travers notamment la verbalisation de leurs parcours commentés.

2.2.3 La flânerie dans la ville et le sens du parcours expérientiel

2.2.3.1 Le parcours du flâneur et l’expérience du paysage

Nous évoquons ici la vision expérientielle de la Ville, telle qu’elle a été analysée chez Michel de Certeau (1990). Au cours de notre période de thèse, cette vision de la Ville a été scénarisée dans une exposition photographique Vues d’en haut à Metz, elle-même scénarisée de façon expérientielle (Figure 27). Cette scénographie correspond à un type de parcours expérientiel dans un musée d’un visiteur parcourant un musée au gré de ses sensations que nous avons nous-mêmes expérimentée.

FIGURE 27: FLANERIE DANS LA VILLE VUE D’EN HAUT (SOURCE : MUSEE DE METZ)

La Fable mystique : « Est mystique celui ou celle qui ne peut s’arrêter de marcher et

qui, avec la certitude de ce qui lui manque, sait de chaque lieu et de chaque objet que ce n’est pas ça, qu’on ne peut résider ici ni se contenter de cela. Le désir crée un excès. Il excède, passe et perd les lieux. Il fait aller plus loin, ailleurs. Il n’habite nulle part… » (Michel de Certeau, 1990, p. 411),

Dans le chapitre 7 de « L’invention du quotidien », qui est intitulé « Marches dans la ville », la ville dont le cas est examiné par de Certeau est New York, qu’il montre successivement vue d’en haut, du sommet d’un gratte-ciel, et vue d’en bas, au cours d’une déambulation. Le marcheur engage avec la ville un corps à corps et dans sa stratégie de mobilité, la ville y est d’une part une réalité objective sous la forme d’une unité ordonnée, permanente et stable, mais aussi d’autre part une expérience.

Source : Michel de Certeau et la mystique du quotidien, 6 avril 2005,

http://stl.recherche.univ-lille3.fr/seminaires/philosophie/macherey/macherey20042005/macherey06042005.ht ml

2.2.3.2 Typologie sémiotique de parcours du paysage et parcours du flâneur Typologies de parcours dans le métro chez Floch

Les recherches sémiotiques de Floch, 1995 sur le flâneur dans le métro parisien suggèrent d’investiguer la notion d’imaginaire de la flânerie et la manière dont elle a été retranscrite dans la littérature géofictionnelle. Beyaert-Geslin, (2005) a montré l’intérêt d’étudier la notion de parcours dans des espaces et sa dimension narrative pour la sémiotique ainsi que le lien entre le parcours de la signification et le parcours dans des espaces proposant des potentialités actantes.

Le parcours du flâneur dans le métro (Floch) illustre la manière dont un paysage peut être non seulement actantialisé mais aussi offrir des potentialités actantes. Concernant le paysage, Kessler, (1999) détermine comme Floch, (1995) des profils de promeneurs dont celui du flâneur, évoque « l’expérience concrète du cheminement sans but » (Parouty-David, 2005).

Par conséquent, en parallèle des approches de la géographie structurale, nous proposons d’investiguer une voie de recherche de la sémiotique des récits qui consisterait à décrire la typologie sémiotique des récits géofictionnels.

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FIGURE 28 : LE PARCOURS DU FLANEUR SELON FLOCH, 1995

Selon Benjamin, (1936) la ville s’assimile à une structure mentale, la flânerie est un déplacement dans un imaginaire structuré activé par les espaces et les lieux. La déambulation dans l’espace urbain est souvent associée à un imaginaire géofictionnel et à une expérience sensorielle. Le flâneur est d’ailleurs souvent associé à un rêveur, à l’imagination activée par les éléments des lieux qui rentrent en écho avec ses capacités imaginantes. L’idée de flânerie suggère une mobilité affranchie de contraintes du déplacement purement fonctionnel et qui se nourrirait de plaisirs ludiques ou émotionnels qui en font un outil de l’expérience vécue telle que nous l’avons précédemment définie. L’idée de l’enchainement de paysages traversés suggère une transformation qui s’opérerait au gré du déplacement qui ordonnerait le déplacement et la transformation du flâneur au fur et à mesure de ce déplacement ainsi qu’un parcours génératif de la signification.

2.2.4 S’inspirer des récits géographiques fictionnels pour saisir les